Décembre 2010 Par P. HUON Initiatives

Une vaste campagne de prévention, de dépistage et de distribution d’antirétroviraux (ARV) y a débuté au mois d’avril. L’objectif: tester 15 millions de personnes d’ici 2011. Dans ce pays, un des plus infectés de la planète, le sida touche 5,7 millions de personnes – dont 280.000 enfants – sur 48,7 millions d’habitants. Selon les estimations, la maladie tue environ un millier de Sud-Africains chaque jour.
« Il s’agit de la plus grande campagne de prévention et de dépistage dans toute l’histoire de la pandémie du sida ». Mark Heywood , directeur de l’ONG Aids Law Project, est particulièrement enthousiaste. Selon lui, 2010 est l’année de l’espoir pour la lutte contre le sida en Afrique du Sud.
« Nous sommes prêts à prendre le taureau par les cornes », a déclaré le ministre de la Santé, Aaron Motsoaledi .
En décembre 2009, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, Jacob Zuma avait affiché sa volonté de combattre la pandémie. Afin d’encourager la population à faire de même, le président sud-africain a d’ailleurs effectué publiquement un test de dépistage, le 8 avril dernier. Un changement de politique radical par rapport au déni affiché pendant des années par son prédécesseur, Thabo Mbeki.

Traitement gratuit

« Il y a clairement un changement d’attitude », constate Éric Goemaere , coordinateur médical de Médecins Sans Frontières (MSF) en Afrique du Sud. « Il fut un temps où le personnel de MSF était perçu ici comme une bande de racistes qui testait des médicaments toxiques , les antirétroviraux , sur la population . Alors , un plan comme celui , c’est une révolution !». Car outre le dépistage, le nouveau plan national prévoit aussi d’augmenter le nombre de personnes ayant accès aux ARV.
En février, lors de la présentation du budget annuel, le ministre des Finances, Pravin Gordhan , a annoncé que l’Afrique du Sud consacrerait 3 milliards de rands (300 millions d’euros) supplémentaires à la lutte contre la pandémie au cours des trois prochaines années. « Notre programme d’antirétroviraux subviendra aux besoins de 2 , 1 millions de personnes d’ici 2012 / 2013 » a-t-il déclaré. Actuellement, environ 900 000 personnes ont accès à un traitement gratuit (elles n’étaient que 483 000 en avril 2008).
« C’est en offrant un traitement que l’on peut encourager les gens à se faire tester et à accepter la maladie » constate Éric Goemaere. « Si on ne leur donne pas la possibilité de se soigner efficacement , beaucoup préfèrent ignorer leur statut » ajoute-t-il. En Afrique du Sud, les antirétroviraux n’ont été distribués à la population dans le secteur public qu’à partir de 2004 (quelques projets tests avaient eu lieu auparavant).
Depuis le 1er avril, tous les bébés de moins d’un an porteurs du VIH peuvent désormais recevoir gratuitement des ARV dans les établissements publics, et les femmes enceintes sont traitées plus tôt pour prévenir la transmission du virus à leur nouveau-né. Selon l’Unicef, « avec un traitement ARV administré pendant la grossesse et l’allaitement , le taux de transmission de la mère à l’enfant est de moins de 3 %. Sans le traitement , il se situe entre 30 et 35 %».
Également visées par ce plan: les personnes qui combinent infection au VIH et tuberculose. Cette dernière est la maladie opportuniste responsable du plus grand nombre de décès chez les patients séropositifs. Et environ 70% des personnes tuberculeuses en Afrique du Sud sont également séropositives ou atteintes du sida. Jusqu’ici, les médicaments antirétroviraux ne leur étaient administrés que lorsque la maladie avait déjà significativement réduit leurs cellules immunitaires (200 cellules de type CD4 (1) par millimètre cube de sang; un taux qui passe désormais à 350 cellules/mm3).
Julia Dipuo , 36 ans, est une des premières personnes à bénéficier de ces nouvelles mesures. Assise au milieu de plusieurs dizaines d’autres patients qui attendent leur tour à l’hôpital Helen Joseph de Johannesburg, elle a rendez-vous avec un médecin qui doit lui prescrire aujourd’hui, pour la première fois, des ARV. Un traitement dont sa survie dépend. Testée positive au VIH il y a 3 ans, souffrant également de tuberculose, Julia a déjà connu plusieurs complications sérieuses. Aujourd’hui, elle est néanmoins optimiste. « Quand j’ai appris que j’étais séropositive , j’étais effondrée » se souvient-elle. « À l’époque , je n’ai reçu aucun support . Aujourd’hui , on m’a expliqué comment j’allais devoir prendre mon traitement et quels étaient les éventuels effets secondaires . Je me sens enfin soutenue ».
La clinique pour le VIH et le sida de l’hôpital public Helen Joseph est considérée comme une des meilleures du pays. Pourtant, avec seulement 3 médecins pour recevoir plus de 300 patients, Julia Dipuo sait qu’elle devra patienter toute la journée pour voir son tour arriver. « Nous sommes débordés », lance un médecin pressé qui passe dans le couloir. « Je ne sais pas comment on va pouvoir accueillir des patients supplémentaires dans l’état actuel des choses ».

Opération de grande envergure

« Imaginez la situation dans les campagnes , où les gens doivent souvent parcourir plus de 50 km pour recevoir leurs ARV », fait remarquer Éric Goemaere. L’autre grand objectif du plan national de lutte contre le sida est justement de rendre ces traitements plus accessibles. « Dans notre province , nous avons déjà fait passer le nombre de cliniques où les antirétroviraux peuvent être prescrits de 70 à 110 » explique Qedani Mahlangu , en charge de la Santé au gouvernement de la province de Gauteng (où se situent Johannesburg et Pretoria, ndlr). « Cela permet aux patients d’avoir plus facilement accès à leur traitement et de se faire soigner au même endroit pour leurs différents problèmes de santé , notamment le VIH / sida et la tuberculose » ajoute-t-il. Actuellement, environ 450 centres de santé à travers le pays sont accrédités pour distribuer des ARV. L’objectif annoncé est de multiplier ce chiffre par dix d’ici un an. « Un projet ambitieux , mais peu réaliste », affirme-t-on cependant chez MSF.
« Il faudra un certain temps avant que ce plan puisse s’appliquer à l’ensemble du pays », confirme le docteur Pappie Majuba , de l’ONG Right to Care. « De nombreuses cliniques , particulièrement en zones rurales , souffrent d’un énorme manque de moyens et de personnel de santé correctement formé . On ne pourra pas résoudre tous ces problèmes en un an ».
« Il est important de former plus d’infirmières au cours des années à venir » reconnaît Qedani Mahlangu. « Nous avons déjà augmenté la capacité de certains collèges et nous travaillons aussi en partenariat avec des ONG pour enseigner les compétences spécifiques à la distribution d’ARV au personnel déjà diplômé ». Le ministre de la Santé a par ailleurs annoncé qu’il avait envoyé plusieurs milliers de lettres pour demander aux médecins et infirmier(e)s retraités de revenir au travail pour aider à la mise en place de la campagne.
Mais, selon la coordinatrice du service VIH de l’hôpital Helen Joseph, Sue Roberts , il faudra aussi changer les mentalités. « Le problème , c’est que beaucoup de personnes ne se rendent à l’hôpital qu’une fois qu’elles sont très malades , déplore t elle . Souvent , elles ne savent même pas qu’elles sont séropositives . Maintenant la politique de l’hôpital sera de proposer systématiquement un test aux patients . Si la personne accepte , celui ci sera effectué immédiatement . Par ailleurs , il y aura un stand qui sera installé dans le hall d’entrée de l’établissement , où les gens pourront recevoir des informations et des préservatifs . C’est par là qu’il faut commencer si on veut limiter le nombre de nouvelles infections ».

Le rôle essentiel de l’aide américaine

L’Afrique du Sud, première puissance économique du continent africain, est généralement très réticente à recevoir de l’aide des pays occidentaux. Sur la question du sida, néanmoins, le pays n’a guère le choix.
Les États-Unis sont ainsi les premiers bailleurs de fonds en Afrique du Sud pour la lutte contre la pandémie. En 2009, le pays a reçu 385 millions d’euros d’aide américaine. Un montant grâce auquel 650.000 personnes bénéficient d’un traitement antirétroviral et 600.000 orphelins sont pris en charge. Mais de vives inquiétudes pèsent actuellement sur le financement de la lutte contre le sida. La crise ne favorise pas la générosité… Or, selon Michel Sidibé , directeur d’Onusida, en cette période charnière, une stabilisation ou une diminution des investissements serait particulièrement dommageable. « Les donateurs ne doivent pas réduire leurs investissements à un moment où la riposte commence à enregistrer des résultats », a-t-il déclaré. « Nous avons besoin de 10 milliards de dollars supplémentaires chaque année pour financer les soins dans le monde ». Car le nombre de malades ne cesse d’augmenter : quand deux personnes sont mises sous traitement sur la planète, cinq autres contractent le VIH.
En 2003, le président George Bush avait mis en place un vaste programme d’aide d’urgence à l’Afrique: Pepfar (President’s Emergency Plan for Aids Relief). Doté à l’origine d’un budget de 15 milliards de dollars américains répartis sur une période de cinq ans, celui-ci a été au final de 18,8 milliards de dollars. Cet argent a permis de financer le traitement de plus de 2 millions de personnes infectées par le VIH et d’apporter des soins à 10 millions d’autres personnes touchées par le virus dans le monde, y compris les orphelins. Mais Pepfar a aussi été critiqué pour son approche de la prévention, conforme à l’idéologie de certains groupes chrétiens américains. « Pour obtenir des financements , de nombreuses ONG ont été tenues de rédiger leurs programmes en respectant les vues des groupes religieux », explique Thomas Wheeler , de l’Institut sud-africain des affaires internationales. « Les travailleurs sociaux devaient ainsi encourager l’abstinence et la fidélité plutôt que l’usage du préservatif ». Mais la situation a grandement évolué depuis la mise en place de l’administration Obama et le remplacement de Mark Dybul, le très controversé coordinateur de Pepfar. Cependant, selon Thomas Wheeler, « quand une aide vient d’un pays étranger , celui ci attend toujours une forme de compensation . Ainsi , de nombreux programmes financés par Pepfar utilisent des médicaments issus des firmes américaines , plus chers que les génériques ».
Patricia Huon , Infosud Belgique

(1) Les cellules CD4, ou lymphocytes T, sont des globules blancs qui organisent la réponse du système immunitaire contre certains microorganismes tels que les bactéries, les virus et les infections fongiques.