Janvier 2006 Par D. PIETTE Stratégies

Le processus d’écriture de la charte: participation réelle mais difficile

Depuis deux ans, un texte de proposition pour une ‘charte de Bangkok’ circulait dans des cercles de plus en plus ouverts, dans chaque continent et chaque grand groupe linguistique.
De nombreuses suggestions et critiques ont fusé de toutes parts, arguant du fait que la Charte d’Ottawa était suffisante et loin d’être mise en place dans chaque pays. Alors, pourquoi faire une nouvelle charte, plutôt que des recommandations ou des déclarations comme lors des 4 conférences précédentes? De plus, la première version de la nouvelle charte semblait dater de 30 à 40 ans!
C’est à Bangkok que j’ai reçu une réponse riche de promesses: la promotion de la santé est née en Europe et la Charte d’Ottawa est perçue par certains pays en développement comme la Charte des pays industrialisés. Cette façon de voir ouvrait de nouveaux horizons relatifs à la globalisation, au développement durable, au marché équitable. Et nous donnait une petite leçon de modestie, à nous les représentants des pays nantis.
Que s’est-il passé à Bangkok?
Chaque participant a reçu la dernière version de travail de la charte. Chaque rapporteur envoyait la synthèse de son atelier au groupe d’auteurs et chacun pouvait envoyer à ces derniers ses commentaires par courriel.
Les auteurs ont réellement essayé de tenir compte de l’essentiel des propositions qui leur étaient faites. Le problème, c’est que le texte évoluait sans cesse et qu’un concept introduit un jour pouvait disparaître le lendemain!
Un grand débat s’est alors ouvert. La réflexion portait sur l’essentiel de la promotion de la santé, les meilleurs arguments en faveur de ce que l’on voulait avancer et la meilleure façon d’introduire ces notions dans le projet de charte. Processus passionnant.
Le groupe des participants ressemblait à une fourmilière où chacun volait d’une réunion à un ordinateur puis à une autre réunion. C’est ainsi que le concept de ‘settings’ a été rajouté in extremis (et affreusement traduit en français par ‘la situation locale’) et que l’accent mis sur la transmission de l’information a été adouci. Je veux parler ici des fameux concepts IEC, c’est-à-dire Information, Education et Communication, sans analyse préalable de la situation, et de son concept successeur, le ‘CCC’ (communication pour un changement de comportement) encore moins efficace et ‘blâmant on ne peut mieux la victime’. Hors conférence, ces deux concepts, non utilisés dans les pays industrialisés, sont des inventions de certain pays dominateur qui ne veut surtout pas entendre parler de politique ou d’économie de la santé.
Revenons à Bangkok. Le résultat de ce travail est certes intéressant mais largement incomplet. En particulier, il a été impossible de faire passer des propositions comme l’effacement de la dette du tiers monde ou, mieux encore, la fixation d’un prix juste pour les matières premières. En effet, si les multinationales payaient les matières premières à leur juste prix (comme les individus le font de plus en plus pour certains produits du commerce équitable), la plupart des pays du tiers monde pourraient facilement payer leurs dettes… Trop risqué de toucher au privé? Trop peur de fâcher le grand frère et de voir la charte rejetée?

Une charte de Bangkok ressemblant à un compromis à la belge?

Enfin, la charte elle-même, malgré l’essai de classement, semble un puzzle dont les pièces sont encore mal assemblées: l’important se perçoit mal, le fil conducteur se perd et on a l’impression de lire plusieurs fois la même chose.
Le résultat est – à mon opinion- un document intermédiaire qu’il conviendrait de rendre aux régions de l’OMS pour qu’elles le terminent. Je trouverais intéressant de voir comment chacune des régions recomposerait son puzzle avec ses propres réalités, sensibilités et cultures. On est encore loin du développement culturel de la promotion de la santé.
En guise de première conclusion, il nous faut néanmoins souligner le bel effort de participation, comme jamais une réunion de l’OMS ne l’avait fait. Et comme deuxième conclusion, une proposition: la prochaine charte devrait se préparer et s’écrire en espagnol ou en chinois ou pourquoi pas en swalihi, mais plus en anglais! En effet, quelles richesses ne sont-elles pas cachées dans ces cultures?

Enfin: la santé spirituelle…

Au début des années nonante, une proposition de changement de la définition de la santé de l’OMS a été soumise à et rejetée par l’Assemblée annuelle mondiale. Il s’agissait d’ajouter ‘spirituelle’ à côté de la santé physique, sociale et psychologique. Cette notion fait une (très) discrète apparition dans la charte de Bangkok.
Par santé spirituelle, il faut entendre croyance ou réflexion religieuse ou laïque. Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement de religion, mais aussi d’humanisme, de la façon dont chacun perçoit le monde, l’autre, les autres, l’évolution de la société, la place qu’il ou elle y prend.
La promotion de la santé ne devrait pas faire l’impasse d’une réflexion sur le monde que nous voudrions voir dans le futur. Cette vision prophétique, laïque ou religieuse, influence implicitement ou non nos relations avec les autres, avec le savoir, avec l’éducation, avec le social et le politique. ‘Clarifier ses valeurs’ est un objectif trop peu développé dans notre société, dans l’éducation, dans la promotion de la santé.
On peut vite saisir ce que ce concept offre par exemple à la prévention de la violence sous toutes ses formes, y compris militaire, économique, institutionnelle ou politique. Espérons que cette première introduction du ‘spirituel’ amènera une réflexion grandissante sur les valeurs qui sont les nôtres, individuellement ou collectivement.
Danielle Piette , une des participantes à la Sixième Conférence mondiale sur la promotion de la santé