Les acteurs de la promotion de la santé de la Région wallonne et de la Région Bruxelles-Capitale n’auront probablement jamais autant entendu parler de Plans que depuis ces dernières années. Dans le jargon de la profession, ce mot a désormais une signification bien spécifique. Il est même possible qu’il faille éviter ce mot pour les 15 prochaines années à venir au risque de voir ces acteurs pâlir ou être victimes d’une crise d’angoisse.De fait, avec l’élaboration des nouvelles politiques régionales de promotion de la santé – que nous appelons « Plans de promotion de la santé » – c’est tout un secteur qui ressent les conséquences du processus long et complexe d’élaboration d’un Plan. Malgré tout, ce contexte aura constitué une opportunité pour le secteur de se réaffirmer et de se fédérer. Le service universitaire de promotion de la santé de l’Université catholique de Louvain, le RESO, s’est attelé à la réalisation d’une analyse de quelques politiques nationales et régionales afin d’alimenter les réflexions amorcées lors de la construction des Plans bruxellois et wallon. Cette analyse a fait l’objet de la rédaction d’un rapport de synthèse que nous avons appelé, en bon Belges que nous sommes[1] : « Tirez votre Plan ! Une analyse de « Plans » pour promouvoir la santé en Flandre, en France, au Québec et en Suisse ».Ce rapport de synthèse s’adresse aux politiques, experts et professionnels belges et d’ailleurs qui, dans le cadre de l’élaboration d’une politique de promotion de la santé, seraient susceptibles de participer ou d’être directement impliqués dans celle-ci.Il s’est rapidement avéré que la dénomination Plan n’était pas généralisée dans tous les pays … Nous en avons donc donné la définition suivante : « Toute production des politiques (stratégies, politiques, programmes …), autant nationales que régionales, visant à structurer le secteur de la santé hors soins, à prioriser les objectifs de santé à atteindre et à guider les actions des associations oeuvrant pour améliorer la santé et le bien-être des populations dans une vision de la santé faisant écho à la charte d’Ottawa. »[2]L’étape ultérieure a été de sélectionner les Plans que nous allions analyser. Notre premier choix s’est porté sur le Plan de la Région flamande[3] pour son ancrage dans un contexte similaire à celui des Régions bruxelloise et wallonne. Ensuite, nous avons préféré choisir des pays francophones, afin de bien comprendre les nuances liées à la langue, et proches du contexte socio-économique de la Belgique. Ce qui nous a amenés à sélectionner un Plan national et un Plan régional pour les pays (et province) suivants : la Suisse[4][5], la France[6][7] et le Québec[8][9]. Ce qui fait un total de 7 Plans analysés.Généralement, les Plans suivent un développement similaire : ils commencent par des éléments de contexte et de conception, continuent sur un diagnostic de l’état de santé de la population, poursuivent sur les priorités du Plan (en termes d’objectifs et d’actions), abordent la mise en œuvre de ces priorités et terminent par la présentation des méthodes et démarches d’évaluation du Plan. L’objectif de ce rapport de synthèse est de mettre en exergue des faits saillants des Plans sélectionnés en termes de conception, de contenu, de mise en œuvre et d’évaluation. Ces 4 parties constituent le corps du rapport et de cet article.
La démarche d’élaboration
Premier constat en matière de conception, les Plans analysés sont tous sous la tutelle du ministre ou de l’instance publique en charge de la santé. Deuxième constat, il y a une volonté d’adopter une approche inclusive et participative de la part des décideurs. Bien que les méthodes d’élaboration soient succinctement développées dans les Plans, tous ont bénéficié de moments de concertation avec les différentes parties prenantes (professionnels, usagers, etc.). Cette approche inclusive prend la forme de groupes de travail ou de mise en consultation du Plan.
Le contenu des Plans
Le cœur d’un Plan, ce sont ses priorités de santé. Celles-ci permettent d’éviter un éparpillement des ressources afin de les concentrer sur des sujets auxquels la préséance est donnée. Pour choisir les priorités de santé, diverses méthodes et sources de données sont utilisées : l’analyse de l’état de santé de la population, les résultats de l’évaluation du Plan précédent, un alignement sur les orientations de l’OMS, l’utilisation de critères de priorisation.Les priorités sont ensuite énoncées sous forme d’objectifs. En ce sens, leur contenu est riche en informations. Les thèmes sur lesquelles portent les objectifs des Plans analysés se déclinent en 5 grandes catégories : les problématiques de santé, les déterminants de la santé, les populations spécifiques, les milieux de vie et les stratégies d’action. Les principaux thèmes au sein de ces grandes catégories ont été répertoriés et présentés sous la forme de tableaux synthétiques pour permettre une comparaison entre les pays. Au terme de ce travail de classification, nous avons donc obtenu 5 tableaux à l’image de celui ci-dessous.Ces tableaux ne sont pas destinés à rapporter les thèmes non abordés par les Plans ou à tirer des conclusions sur des éventuelles omissions. Il s’agit plutôt d’un outil de simplification et de schématisation qui permet d’avoir une vue d’ensemble globale et immédiate des thèmes prioritaires des Plans.Comment lire ce tableau ? Nous proposons ici l’exemple du tableau portant sur les objectifs ciblant des problématiques de santé. Dans la deuxième colonne, on voit l’ensemble des thèmes qui ont trait à des problématiques de santé. Pour chaque Plan, nous avons indiqué si un ou plusieurs de leurs objectifs portaient sur chacun de ces thèmes. Si c’est le cas, la case est en couleur. On remarque par exemple que le Plan national français et le Plan flamand ne formulent pas d’objectifs ciblant des problématiques de santé. Sur base des 5 tableaux, nous nous sommes posés deux questions : par quelle(s) approche(s) les objectifs des Plans ont-ils été formulés et quels sont les thèmes prioritaires des objectifs ? En termes d’approches de formulation des objectifs, nous avons observé qu’un même Plan peut combiner plusieurs approches. Le Plan flamand définit ses objectifs en ciblant presque uniquement des milieux de vie et les Plans français adoptent une approche ciblant principalement des stratégies d’action. Au Québec, les Plans diversifient beaucoup plus leurs approches, mêlant l’approche par problématiques de santé, par population et par stratégies. Enfin, en Suisse, le Plan national utilise une approche par stratégies et par population alors que le Plan régional utilise une approche par problématiques de santé.En termes de thèmes prioritaires ciblés par les objectifs, nous constatons qu’ils sont assez similaires entre les Plans. Par exemple l’alimentation, les assuétudes, la qualité et l’accès aux soins et à la prévention. Toutefois, certains thèmes plus spécifiques (parce que probablement plus dépendants du contexte) sont abordés dans certains Plans seulement, comme par exemple la nutrition prénatale et postnatale dans le Plan régional québécois, les problèmes d’adaptation sociale dans le Plan national québécois, les personnes en période de rupture dans le Plan régional français ou les milieux du loisir pour enfants dans le Plan de la Région flamande. Certains objectifs suggèrent une timide ouverture vers la démarche de « santé dans toutes les politiques » en visant l’environnement ou l’enseignement par exemple.
La mise en œuvre des Plans
Dans la suite logique des choses, les Plans abordent ensuite la mise en œuvre de leurs objectifs. Il s’agit ici de comprendre comment il est prévu d’atteindre les objectifs des Plans. Avec la définition des objectifs, cette partie est centrale. Le Plan flamand et les Plans nationaux suisse et québécois développent d’ailleurs la mise en œuvre sous la forme d’un « plan de mesures » plus concret. Le plan régional français est quant à lui décliné en programmes territoriaux. Le Plan régional québécois se présente sous la forme de « fiches » détaillées. Le Plan régional suisse est mis en œuvre par des contrats de prestations avec les acteurs de terrain. Enfin, le Plan national français a été mis en œuvre par une loi[10].
Les dispositifs d’évaluation de la mise en œuvre des Plans
Nous faisons le constat que dans les Plans sélectionnés, des indicateurs d’évaluation de l’implémentation et de l’efficacité sont prévus mais il ne semble pas clair cependant si les dispositifs d’évaluation permettraient de vérifier la présence d’effets de contexte. Autrement dit, « dans quelle mesure le contexte (socio-économique, culturel, ethnique, etc.) et les acteurs (professionnels, citoyens, etc.) interagissent avec l’implémentation des Plans, affectent leur fidélité et affectent leur potentiel d’efficacité pour la santé des personnes et des communautés »[11].L’évaluation des programmes et actions de promotion de la santé est au cœur de nombreux débats entre acteurs/chercheurs/décideurs. Nous souhaitons mettre en avant que l’évaluation des interventions de promotion de la santé vise d’une part à permettre de produire des connaissances autant sur les effets de ces interventions que sur leurs processus et d’autre part à mesurer leur efficacité et leur efficience. L’enjeu est de s’appuyer sur ces connaissances pour optimiser les actions de terrain. En réponse à un besoin d’outils et de méthodes adaptés aux réalités des interventions de promotion de la santé, nous avons relevé quelques initiatives présentées dans les Plans analysés, comme par exemple l’outil quint-essenz en Suisse, la matrice utilisée en Flandre ou encore la recherche interventionnelle en santé des populations dans laquelle la France et le Québec investissent de plus en plus.Dans un ouvrage publié en 2013 par Carole Clavier et Evelyne de Leeuw, intitulé « Health promotion and the policy process »[12], les auteures soutiennent qu’en promotion de la santé, les acteurs et les chercheurs auraient tout à gagner de mieux comprendre comment les politiques publiques sont élaborées afin de les influencer positivement, de les évaluer adéquatement et de les implémenter efficacement. Notre rapport fait écho à leur constat qui souligne que l’axe premier de la charte d’Ottawa « élaboration de politiques pour la santé », manque d’une base théorique solide pour appuyer l’action. Les résultats de notre analyse sont un pas dans ce sens. L’analyse complète est téléchargeable sur le site : https://uclouvain.be/reso
[1] L’expression « tirez votre plan » est un belgicisme qui signifie « débrouille-toi ».
[2] Malengreaux Ségolène, « Tirez votre plan ! Une analyse de « Plans » pour promouvoir la santé en Flandre, en France, au Québec et en Suisse », Woluwé Saint Lambert : RESO, 2017, p.9 Téléchargeable sur https://uclouvain.be/reso
[3] « Strategisch plan – de vlaming leeft gezonder in 2025 », Agentschap Zorg & Gezondheid, 2016. Téléchargeable sur : https://www.zorg-en-gezondheid.be/sites/default/files/atoms/files/Strategisch_Plan_GezLev_vGCCorr.pdf
[4] « Stratégie Nationale Prévention des maladies non transmissibles (stratégie MNT) 2017-2024 », Berne, Office fédéral de la Santé Publique et la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé, 2016. Téléchargeable sur : https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/themen/strategien-politik/nationale-gesundheitsstrategien/strategie-nicht-uebertragbare-krankheiten.html?_organization=317
[5] « Stratégie cantonale de prévention et de promotion de la santé 2016-2026 », République et canton de Neuchâtel. Téléchargeable sur http://www.ne.ch/autorites/DFS/SCSP/prevention/Documents/Strat%C3%A9gie_cantonale_pr%C3%A9vention_promotion_sant%C3%A9_rapport%20complet.pdf
[6] « Stratégie Nationale de Santé, feuille de route », Ministère des Affaires Sociales et de la Santé, Septembre 2013. Téléchargeable sur : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/SNS-Feuille_de_route.pdf
[7] « Projet Régional de Santé des Pays de la Loire », version actualisée du 26 mars 2016, Agence Régionale de Santé Pays de la Loire. Téléchargeable sur : https://www.pays-de-la-loire.ars.sante.fr/le-projet-regional-de-sante-1ere-generation-2012-2016
[8] « Programme national de santé publique pour améliorer la santé de la population du Québec 2015-2025 », Ministère de la Santé et des Services Sociaux, Gouvernement du Québec, 2015. Téléchargeable sur http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2015/15-216-01W.pdf
[9] Direction de santé publique de la Montérégie (2016), « Plan d’action régional de santé publique 2016-2020 », Longueuil, Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre. Téléchargeable sur http://extranet.santemonteregie.qc.ca/depot/document/3858/PAR-VF.pdf
[10] LOI 2016-41 du 26 janvier 2016 de « modernisation de notre système de santé »
[11] Malengreaux Ségolène, « Tirez votre plan ! Une analyse de « Plans » pour promouvoir la santé en Flandre, en France, au Québec et en Suisse », Woluwé Saint Lambert : RESO, 2017, p.46 Téléchargeable sur https://uclouvain.be/reso
[12] CLAVIER C. and de LEEUW E., « Health promotion and the policy process », Oxford University Press, 2013.