Février 2003 Initiatives

La naissance d’une nouvelle campagne sur le sida est toujours le fruit d’une réflexion très importante… En concertation avec de nombreuses associations de lutte contre le sida, un thème doit être choisi qui soit dans la ligne de la campagne mondiale et du plan de prévention du sida de la Communauté française.
Pour 2002 et 2003, l’ONUSIDA a choisi pour thème ‘Stigmatisation et discrimination’. En mettant l’accent sur ces deux points, la campagne mondiale encourage les gens à briser le silence et les barrières qui font obstacle à la prévention et la prise en charge efficaces du sida.
Le Plan de prévention sida en Communauté française prévoit quant à lui de ‘promouvoir des attitudes et des actions anti-discriminatoires vis-à-vis du sida’.
C’est donc tout naturellement que la Plate-forme Prévention Sida a souhaité mettre en avant le même thème à l’occasion de la Journée mondiale du sida du 1er décembre dernier. Elle s’est entourée d’un groupe de travail regroupant différents acteurs de terrain, actifs dans le champ de la prévention du sida ainsi que des spécialistes en communication. Après trois campagnes d’affilée axées sur l’usage du préservatif, le bureau de la Plate-forme a souhaité développer à nouveau l’axe de la solidarité avec les personnes séropositives…

‘En vivant ensemble, la vie reprend vie’

Durant le mois de décembre, une campagne publicitaire a diffusé ce message de solidarité avec les séropositifs à travers un spot TV, des annonces dans la presse et des affichettes. Le même thème sera également repris en spot radio au printemps 2003.
Cette campagne tranche sur la plupart des autres campagnes consacrées au sida, qui ont souvent un caractère utilitariste et normatif.
La plupart des campagnes , explique Thierry Martin , directeur de la Plate-forme prévention sida, essaient de braquer l’attention du public sur le danger que représente le sida. Un peu comme d’autres campagnes ont attiré notre attention sur le danger de fumer. Je ne veux pas dire que ces campagnes sont inutiles. Au contraire, le sida est le fléau de la fin du 20e et du début du 21e siècle. Même si certains parlent de banalisation ou si la génération de l’après trithérapie (jeunes de 15-24 ans) vit dans l’illusion que les médicaments guérissent le sida et la séropositivité, l’épidémie progresse de façon alarmante .
Ces campagnes de prévention contribuent donc à notre information et à notre éducation. Mais il faut reconnaître qu’elles ont rarement parlé de solidarité envers les séropositifs. Or, avouer sa séropositivité amène l’exclusion, car le sida fait peur. Dans l’esprit du public, le sida est synonyme de mort et être séropositif, c’est être condamné à mort. Il faut pourtant savoir qu’être séropositif (c’est-à-dire présenter une réponse positive aux tests sérologiques du HIV) ne veut pas nécessairement dire que l’on a le sida. On peut rester séropositif pendant une longue période, plus de dix ans, sans développer la maladie clinique qui définit et constitue un diagnostic du sida. Pourquoi excluons-nous alors le séropositif du monde des vivants?
A cette question, peu de campagnes publicitaires apportent une réponse.’

Le concept visuel et le texte de la campagne évoquent deux jeunes jouant au basket. Homos ou hétéros? Aucune importance. Et le meilleur des deux (depuis longtemps et rien n’indique que cela va changer, précise l’autre), est, aussi, séropositif.
‘Nous menons une campagne ‘vie’, et le sport, c’est le dynamisme. Bien sûr, le séropositif vit avec le poids d’une menace future, mais il vit. Alors, pourquoi l’exclure, le regarder comme quelqu’un qui n’a plus droit à la vie, et surtout, à la vie avec les autres?’
Une précision de taille quant au visuel: le séropositif est représenté par une silhouette sommairement dessinée à la craie (ou, dans le sport TV, il se transforme en silhouette de craie). Mais ici, contrairement à celles tracées sur le sol après un accident mortel, par exempte, cette silhouette est debout, dynamique, active. Bien en vie.
C’est bien sûr un message positif à l’égard des séropositifs, mais surtout, c’est une façon forte d’inviter les séronégatifs à modifier leur regard.’
Ce concept créatif a été construit en étroite collaboration avec les associations membres de la Plate-forme prévention sida, et a été très bien accueilli, lors de pré-tests, par les séropositifs ainsi que par les séronégatifs. D’autant qu’il s’inscrit dans une vision à long terme. Les silhouettes de craie pourraient, au fil de campagnes futures, se retrouver dans différents contextes de la vie en société: vie amoureuse, vie professionnelle…

Un autre regard sur les séropositifs

A côté de la campagne médiatique, une exposition de 64 photos noir et blanc du photographe Alain Kazinierakis , assortie d’extraits des témoignages recueillis lors de séances de prises de vue s’est tenue dans les Galeries royales Saint-Hubert de Bruxelles. Un travail remarquable qui méritait bien un lieu à sa mesure. Après Bruxelles, cette exposition sera visible dans d’autres villes de la Communauté française (Mons et Nivelles entre autres). Elle a aussi fait l’objet d’un bel ouvrage réalisé en collaboration avec Thierry Martin.

Des images-témoins pour favoriser la rencontre, non pour choquer

Alain Kazinierakis, né en 1962 à Liège, a étudié la photographie à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts Saint-Luc, à Liège. Primé à plusieurs reprises pour ses travaux réalisés en Belgique et dans le monde, il concentre depuis plusieurs années l’essentiel de ses recherches sur l’Afrique. Témoin engagé, il y photographie les populations touaregs, les camps de réfugiés, les rapatriements, les combattants de la rébellion, etc.
Il explique ainsi sa démarche:
‘Il était important de faire un état des lieux, de voir comment les gens, aujourd’hui, vivent le sida. Le sida, c’est bien plus qu’une maladie, cela concerne aussi la relation avec les autres. Pensez aux adolescents atteints du VIH: cela fait plus de 15 ans maintenant que les adolescents sont confrontés au VIH, qu’ils vivent leurs premières relations amoureuses avec la peur du virus. Pour accepter cela, il faut vraiment avoir apprivoisé ce virus très jeune ‘.
Sur le concept de l’exposition et du livre:
Ce sont des témoignages, parce que le témoignage est le point de rencontre le plus important. À travers l’exposition et le livre, nous mettons les visiteurs/lecteurs face à des personnes contaminées par le VIH, des personnes qui travaillent sur ce virus, des ‘gens ordinaires’ aussi… Nous proposons des rencontres, qui permettent de se faire un avis, qui poussent à se poser des questions .
Il y a deux types de photos: des portraits, de personnes contaminées ou non, et des ‘photos-reportages’ sur le travail des associations de prévention. En aucun cas, ce ne sont des images qui cherchent à choquer ou à créer un sentiment d’horreur. Le but est de mettre un visage sur des individus, de donner des identités aux chiffres. À chaque photo correspond le témoignage de la personne photographiée. Ce genre de démarche est important parce qu’il met en évidence la nécessité de se protéger, les problèmes de discrimination, les tabous, les carences en matière d’information,… Tout cela simplement à travers ce que les gens vivent et disent.
Les gens rencontrés ont été, pour une part, contactés via des associations de prévention, mais surtout, par le bouche-à-oreille. J’ai été étonné de voir à quel point les gens étaient prêts à participer, à se laisser photographier et à témoigner.’
Sur les personnes photographiées:
‘Ce qui m’a particulièrement touché, ce sont des gens atteints depuis 15, 20 ans déjà. Ils se montrent rarement cyniques ou désespérés. Au contraire, ils font des projets de vie, y compris des projets de couple. Une femme, par exemple, va se remarier l’année prochaine. Les progrès des traitements y sont sans doute pour quelque chose, mais ces traitements restent lourds et chers.
Je ne suis pas surpris par le fait que les séropositifs ne sont pas différents de vous ou moi. Leur séropositivité ne se ‘voit’ pas et ils vivent souvent de façon assez ‘normale’, sans trop de crainte. Ils en ont parlé autour d’eux, dans la plupart des cas.
Mais cela ne supprime pas la discrimination. Ils ont souvent peur pour leur travail, par exemple, où la moindre faille peut être utilisée. Parfois, aussi, la séropositivité est très difficile à vivre, ressentie – et considérée par l’entourage – comme honteuse…
J’ai également suivi et photographié des gens qui travaillent au niveau de la prévention, notamment au festival de Dour ou dans les casernes. Il y a encore beaucoup de sous- information et notamment de mauvaise compréhension de la réalité de la maladie et des façons de se protéger. Cela reste vraiment un problème: trop de gens ne se protègent pas, ou pas toujours. L’information se heurte aussi à des tabous propres aux cultures.

Témoignage

Liesbeth, 44 ans
TM: Dans quelles circonstances avez-vous appris votre séropositivité ?
Lors d’un test systématique, quand j’étais dans un centre de thérapie pour personnes toxicomanes. Je ne sais pas quand et comment j’ai été contaminée, si c’est par rapport sexuel ou par une aiguille infectée. C’était au début des années 80.
TM: Et comment se sont passées les années suivantes ?
Au début, je me disais que je n’arriverais pas à l’an 2000. J’avais déjà organisé ma vie avec cette idée, et ça allait, ça ne me faisait pas peur. Maintenant, il faut que je me réorganise, je suis toujours là et ça ne risque pas encore de finir tout de suite. Je vais plus loin, je commence à penser à des choses qui pour moi n’en valaient pas la peine…
TM: Mais maintenant, la situation a évolué. Les mamans séropositives qui veulent un enfant peuvent suivre un traitement pour que l’enfant ne soit pas atteint .
Oui, c’est bien, mais de toute façon, maintenant je suis trop vieille. C’est peut-être dommage, mais il y a plein de maladies ou de situations qui peuvent empêcher une femme d’avoir des enfants, et il faut bien que les gens s’en accommodent. Et puis, même si l’enfant est en bonne santé, ce n’est pas tout. Nous-mêmes, on n’est pas sûrs d’être encore là dans dix ans, on n’est pas sûrs que les médicaments vont fonctionner. Moi j’estime que, quand on est malade, on n’est pas toujours capable de remplir son rôle de parent. Au plan affectif, je me suis mariée en 1998, alors que j’étais séropositive depuis une quinzaine d’années.
TM: Et vous n’avez jamais fait l’objet de discrimination, d’insultes?
Si, entre séropositifs. Pour le reste, non, mais il faut dire que quand je travaillais comme secrétaire dans une firme importante de programmes d’ordinateurs, je n’avais rien dit. Je ne sais pas ce que ça aurait donné si j’avais dit que j’étais séropositive. J’ai fait en sorte qu’on ne puisse pas me discriminer, j’ai choisi la solution de facilité.
TM: Et comment cela se passe-t-il avec votre traitement? Est-ce encore lourd à supporter?
Eh bien on est en vie, et je pense qu’il faut être content de l’être. C’est vrai que le traitement est lourd, mais il y a d’autres maladies qui ont aussi des traitements lourds. Dans le cas du cancer, la chimiothérapie, ce n’est pas la joie non plus… C’est vrai qu’au départ, quand on a des problèmes de diarrhées, de troubles du sommeil, ce n’est pas évident. Mais je veux continuer à prendre mon traitement, parce que je veux rester en vie et que je veux être active. En même temps, j’ai décidé de ne pas prendre d’autres médicaments, même pas de l’aspirine si j’ai la fièvre. J’ai horreur des cachets, et je ne veux pas en prendre plus qu’il n’en faut.
TM: Comment voyez-vous l’avenir?
Je vis toujours un petit peu au jour le jour. C’est vrai que c’était bizarre, au début, de savoir que je n’étais pas encore morte… Mais en même temps je suis prête, je ne me fais pas non plus de fausses idées.
TM: Quand une personne séropositive rencontre un partenaire et qu’ils sont sur le point d’avoir des relations sexuelles, pensez-vous qu’elle doit dire qu’elle est séropositive?
Ce n’est pas évident. De toute façon ce qu’on doit faire quand on est séropositif, c’est protéger l’autre personne. Mais c’est vrai aussi que le préservatif n’est pas sûr à cent pour cent, même s’il y a quand même beaucoup moins de risques.
Propos recueillis par Thierry Martin. Extrait de ‘Vivre ensemble’, photographies d’Alain Kazinierakis, entrevues de Thierry Martin, Editions Luc Pire, Plate-forme prévention sida, 128 p., 2002, 29,95 €.

VIH, données épidémiologiques récentes

Après quelques années de diminution régulière, le nombre de personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine est à nouveau en hausse. En revanche, le nombre de décès liés à la maladie du sida est en diminution.
Le nombre de personnes affectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est à nouveau en hausse. Les chiffres de la Section d’épidémiologie de l’Institut scientifique de la santé publique en font foi: après quelques années de diminution, de 1992 à 1997, le nombre de nouveaux diagnostics VIH a augmenté de 39% de 1997 à 2001. Le nombre de cas recensés est passé ainsi de 692 à 965.
Le Rapport distingue nettement les personnes infectées par le virus et les personnes malades: en effet, les séropositifs n’ont pas tous développé la maladie.
Les taux d’infection les plus élevés sont présents à Bruxelles puis dans les provinces de Liège, d’Anvers, du Brabant wallon et du Hainaut. Parmi les patients de nationalité belge, les hommes sont en moyenne quatre fois plus nombreux que les femmes. Parmi les séropositifs non-belges, les trois quarts (75,5 %) sont originaires d’Afrique sub-saharienne et 3,3 % sont originaires d’Afrique du Nord. Près d’un non-Belge sur six est d’origine européenne.

Transmission hétérosexuelle

Parmi les personnes infectées, les contacts hétérosexuels constituent le mode de transmission du virus le plus fréquent. Ils représentent approximativement 65 % des infections diagnostiquées récemment contre 40 à 50 % au début de l’épidémie. Parmi les patients masculins de nationalité belge, les contacts homosexuels ou bisexuels constituent la voie de transmission la plus importante (66,2 %) tandis que chez les femmes la transmission hétérosexuelle est prépondérante (76 %). Parmi les personnes séropositives non-belges, le rapport hommes/femmes est beaucoup plus proche de l’unité que pour les Belges: la transmission hétérosexuelle est en effet largement prépondérante dans ce groupe. L’augmentation des diagnostics posés en 2000 dans la population masculine semble liée de manière égale aux modes de transmission homosexuel et hétérosexuel; cette augmentation ne continue pas en 2001. Parmi la population des hommes infectés, la part attribuée aux contacts homosexuels se situe entre 40 et 50 % et elle a peu évolué au cours du temps.
Enfin, environ 6 % des patients infectés sont des toxicomanes qui s’injectent de la drogue par voie intraveineuse. Ils sont relativement plus nombreux en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre. Ce mode de transmission est particulièrement important chez les jeunes: il représente en effet 17 % du mode de contamination des patients âgés de 15 à 24 ans.

Diminution des décès

Parmi les 14.872 personnes pour lesquelles le diagnostic d’infection à VIH a été posé depuis les débuts de la maladie, 2940 personnes ont développé la maladie au 31 décembre 2001. Parmi ces malades, 1649 étaient décédés, 477 étaient perdus de vue et 814 étaient en vie et suivis médicalement à la fin de l’année 2001.
Grâce à l’utilisation des nouvelles associations d’antirétroviraux, le nombre de personnes qui développent la maladie a diminué depuis 1996. En 1997, 1998 et 1999, on enregistrait respectivement 125, 118 et 107 cas de développement du sida. En 2000 et 2001, l’incidence est en augmentation, avec 130 et 154 nouveaux cas de sida. Il semble que ceci s’explique partiellement par la proportion importante de personnes qui découvrent leur séropositivité au moment même du diagnostic du sida: le nombre de patients dans ce cas était de 22 % en 1995 et 1996 et de 38 % en 2000 et 2001. Cette proportion est particulièrement élevée (39 %) dans la population hétérosexuelle.
Le nombre de décès liés à la maladie, lui, reste en diminution. Durant la période de 1992 à 1995, on rapportait 170 décès par an. En 1999, 2000 et 2001, on a déploré respectivement 32, 44 et 38 décès. Cette importante diminution de la mortalité est à mettre en relation avec l’utilisation des nouvelles associations d’antirétroviraux qui a débuté dans le courant de l’année 1996.

Vivre avec la maladie

La conjugaison de l’incidence des cas de sida et de la diminution importante de la mortalité entraîne actuellement une accélération de l’augmentation du nombre de personnes qui vivent avec la maladie. Logiquement, ces personnes possèdent les mêmes caractéristiques sociologiques que les personnes infectées qui n’ont pas développé la maladie. Elles vivent surtout dans les grandes villes et particulièrement à Bruxelles, Anvers et Liège. Parmi les malades de nationalité belge, le rapport hommes/femmes est largement plus élevé que parmi les malades d’autres nationalités. Les contacts homosexuels ou bisexuels concernent deux tiers des malades belges de sexe masculin. Chez les femmes belges et chez les malades non-belges, quel que soit leur sexe, les contacts hétérosexuels sont prépondérants. Les toxicomanes qui s’injectent de la drogue par voie intraveineuse représentent 4,8 % des malades belges et 8,4 % des malades d’autres nationalités.
En ce qui concerne l’incidence du sida, la Belgique et les pays voisins font état d’une évolution parallèle: diminution du nombre des personnes qui ont développé la maladie jusqu’en 1996 et limitation de cette diminution après 1996. La part prise par la transmission hétérosexuelle en Belgique est supérieure à la moyenne européenne (45,4 % contre 17,6%).
En revanche, en ce qui concerne l’infection par le VIH, la comparaison entre pays européens n’est que partiellement possible car tous les pays ne disposent pas d’un système de surveillance. Toutefois, un accroissement du nombre d’infections VIH a été constaté aussi au Royaume-Uni, en Irlande, au Danemark, en Finlande au Luxembourg et en Suède.
AMP
Sasse A., Defraye A., «Épidémiologie du sida et de l’infection à VIH en Belgique. Situation au 31 décembre 2001», IPH/EPI Reports n° 2002 – 027, Institut scientifique de la santé publique, Section d’épidémiologie, rue Juliette Wytsman 14, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 – 642 50 39. Fax: 02 – 642 54 10. Courriel: a.sasse@iph.fgov.be Site Web: http://www.iph.fgov.be/epidemio (le texte du rapport est disponible sur le site).

Témoignage

Jamal, 23 ans
TM: Je pense que tu as été dans la rue pour distribuer des permis de séduire et des capotes, je crois que cela ne s’est pas aussi bien passé que tu le pensais?
Cela ne s’est pas passé du tout comme je pensais, je pensais que les gens viendraient vers moi et prendraient le permis facilement. Mais déjà je me suis rendu compte qu’il y avait au moins quarante pour cent des personnes qui ne voulaient pas le permis de séduire avec son préservatif. Celles qui le connaissaient venaient le prendre facilement, on discutait un peu, il y en avait même qui revenaient pour pouvoir le distribuer à leurs amis. Mais j’ai eu beaucoup de problèmes à distribuer les permis de séduire, c’est difficile à dire mais c’était surtout avec les étrangers. Peut-être sont-ils mal informés.
TM: Des gens de ta communauté?
Oui de ma communauté. Pas au niveau des jeunes, je parle des gens de plus de 25-26 ans.
TM: Vois-tu des solutions pour que ça passe mieux?
Pour les jeunes Maghrébins de maintenant, oui, mais pour la génération précédente, ça n’est pas possible. Je crois que c’est foutu.
TM: Et toi, en famille, tu abordes ces questions-là?
Non pas du tout, jamais sauf il y a trois mois quand j’ai dû faire mon stage dans une association de prévention.
TM: Crois-tu que c’est facile pour deux jeunes d’aborder la question du préservatif aujourd’hui?
C’est beaucoup plus facile, j’en suis sûr et certain. Parce que maintenant c’est devenu un truc banal, c’est le préservatif, c’est tout, on connaît. Il n’y a plus cette peur. Au début, on voyait cela comme une barrière à l’amour ou au plaisir. Maintenant on sait que c’est pour se protéger alors on les fait de plus en plus fins pour avoir plus de sensations. Il y a de nouveaux goûts, on pense à tout, quoi.
TM: Qu’est-ce que cela évoque comme réflexion pour toi quand on organise une marche le jour de la Journée mondiale du sida et qu’il n’y a que trois cents personnes?
Je préfère dire qu’il faisait mauvais et que les gens n’avaient pas envie de sortir.
TM: Tu crois que c’est la raison?
Ce n’est pas la raison mais je préfère me dire ça. Je me dis que les gens bougeraient davantage s’ils avaient autour d’eux quelqu’un de séropositif. Sur les trois cents personnes présentes, il y avait surtout des personnes qui travaillent dans ce secteur, d’autres qui sont séropositives ou bien des personnes dont un parent est séropositif ou est mort du sida.
Moi je sais que j’en ai parlé autour de moi mais personne n’a bougé. C’est aussi la période de ‘ blocus ‘ pour les examens, ça excuse et ça n’excuse rien en même temps.
Propos recueillis par Thierry Martin. Extrait de ‘Vivre ensemble’, photographies d’Alain Kazinierakis, entrevues de Thierry Martin, Editions Luc Pire, Plate-forme prévention sida, 128 p., 2002, 29,95 €.

Derrière les chiffres, quelle réalité sociologique?

Les chiffres cités plus haut indiquent une reprise de l’augmentation des nouveaux cas de séropositivité ces dernières années.
Comment expliquer le fait que l’on dépiste à nouveau plus de nouveaux séropositifs? La réponse ne peut se réduire en une hypothèse unique. L’explication de cette évolution est forcément multifactorielle et s’il est possible d’agir sur certains de ces facteurs, d’autres nous échappent. Les points ci-dessous reprennent différents phénomènes, des ‘indicateurs’ sociologiques dont la conjonction peut expliquer cette évolution, sans pour autant que l’on puisse déterminer vraiment l’impact de chacun d’entre eux. Ce ne sont donc que des indicateurs parmi d’autres.
L’évolution de l’attitude des pouvoirs publics . Durant les premières années ’90, les pouvoirs publics ont consacré un gros effort financier et humain à la problématique et à la prévention du sida. Cela s’est notamment traduit par des campagnes de sensibilisation, tant grand public que ciblées vers les groupes plus vulnérables. Jusqu’à engendrer parfois un sentiment de ‘matraquage’ induisant le ‘ras-le-bol’.
On a alors observé une plus grande discrétion dans certaines des actions menées en Communauté française: celles à destination des publics cibles (homosexuels, prostituées, population migrante) ont été maintenues, mais, pour le grand public et les milieux scolaires, les messages de prévention se sont faits moins visib1es. Le sida a changé de statut au niveau des problèmes de santé publique. D’autres problèmes sanitaires (on pense notamment à la crise de la ‘vache folle’) ont pris le dessus.
L’effet de génération . Au début des années ’90, les élèves du secondaire commençaient leur vie sexuelle dans un contexte où le sida était très visible. Le sida est moins évident aujourd’hui. Certains jeunes n’ont jamais eu d’information structurée à ce sujet. Actuellement, les seules informations en milieu scolaire sont dues à des initiatives individuelles. On peut toutefois faire remarquer que si les adolescents ont évidemment besoin d’un bagage informatif sur le sida, ils ne sont pas les plus exposés, que la tranche d’âge la plus touchée est celle des plus de 25-34 ans.
L’effet de génération chez les jeunes homosexuels . La faible information en milieu scolaire concerne également les jeunes homosexuels. Ceux-ci ne fréquentent généralement pas (encore) les milieux homos, qui, eux, restent bien informés. D’où un cumul de vulnérabilité parmi ce public.
Le relâchement des mesures systématiques de protection . Certains indicateurs laisseraient penser que certains individus prennent plus de risques, en ont ‘marre’ d’utiliser systématiquement un préservatif. Ce relâchement serait un phénomène assez naturel, pour ne pas dire normal, dans la longue histoire d’une épidémie. Il faut remarquer qu’il s’observe également en milieu homosexuel, même si globalement l’effort de prévention reste toujours actif et systématique.
L’apparition de nouveaux traitements, plus efficaces . La chute de l’immunité est mieux maîtrisée, la vie des malades est prolongée, leur qualité de vie est améliorée, l’apparition des symptômes peut être fortement retardée.
Cela a un effet sur la population générale: le sida semble moins grave, n’est plus considéré comme une maladie mortelle (les médicaments font de l’effet). Cela va parfois jusqu’à la croyance en la guérison, la non-apparition des symptômes, la non-contamination. En clair, il y a une dédramatisation des conséquences du virus, une banalisation de la maladie: prendre un risque ne serait finalement pas si lourd de conséquences…
Cela a aussi un effet sur les séropositifs: objectivement, les séropositifs vivent mieux, peuvent espérer vivre plus longtemps. Ils sont amenés à reprendre des projets professionnels, à reprendre une vie sexuelle et affective. Par ailleurs, le groupe de séropositifs augmente puisqu’il y a cumul de la baisse de la mortalité et de l’augmentation de nouveaux cas, ce qui, statistiquement parlant, augmente la possibilité de relations sexuelles entre séropositifs et séronégatifs. Il serait très souhaitable de travailler davantage avec les séropositifs pour les associer aux messages de prévention.

Personne n’est à l’abri des situations à risque

Les chiffres montrent que chez les patients belges, la contamination par voie hétérosexuelle représente une part plus importante qu’au début de l’épidémie même si la contamination par voie homosexuelle reste majoritaire.
Ceci dit, s’il est vrai qu’il y a des groupes spécifiques de population plus exposés, il est absolument faux de croire qu’ils sont les seuls menacés par le sida. A côté des aspects épidémiologiques, le risque est influencé par toutes sortes de situations que tout le monde peut traverser et qui rendent l’individu plus vulnérable. Et là, personne n’est à l’abri. Parmi les situations à risque observées: un moment de dépression, une rupture amoureuse, un divorce, une perte d’emploi, ou, au contraire, l’euphorie d’une rencontre amoureuse, d’un coup de foudre…

La problématique du dépistage

Les chiffres dénotent une baisse du nombre annuel de dépistages, toutes situations confondues. Ce n’est pas inquiétant en soi car, durant quelques années, beaucoup de dépistages ont été réalisés de façon un peu trop systématique, parfois même à l’insu du patient.
Mais les centres spécialisés réalisent moins de dépistages aussi depuis quelques années. Cette information est difficile à interpréter car ce qu importe ce n’est pas qu’un maximum de gens se soumettent à un dépistage, mais bien que les personnes ayant couru un risque le fassent. Ceci dit, le but n’est pas de dire sans plus: faites-vous dépister chaque fois que vous avez pris un risque (sans changer votre comportement). Le dépistage doit être l’occasion d’établir un ‘bilan’ du comportement, et le conseil est primordial à cet égard.
Informations fournies par Vladimir Martens , Observatoire du sida et des sexualités des Facultés Universitaires Saint-Louis