«Soigner ceux que le monde oublie peu à peu», porter leur voix et leurs réalités auprès du grand public et des décideurs à travers la notion de plaidoyer en santé, sont au cœur des objectifs de Médecins du Monde Belgique. Cela dit, porter la voix pour une réduction des inégalités sociales de santé et une évolution du cadre politico-administratif passe par des dispositifs qui impliquent au maximum, dans la revendication, les personnes rencontrant un problème de santé.
Autant que faire se peut et même si les décideurs ne sont pas (toujours) au rendez-vous et que les politiques n’évoluent pas (toujours), il faut que ces personnes puissent acquérir des compétences et connaissances utiles dans leur quotidien pour leur permettre de se construire in fine une meilleure santé. C’est d’ailleurs ce qui est défendu en éducation permanente et promotion santé où «le processus est autant valorisé que le résultat». C’est avec cet objectif principal que l’atelier de travail du projet ‘Avec Elles’ en partenariat avec Vie Féminine s’est mis en place avec un groupe de femmes, de janvier à juin 2016. Cet article revient sur ces moments en les décrivant étape par étape, mais aussi en présentant ce qui en est ressorti.
Un recyclage innovant: la méthode d’intervention sociologique
Comme souvent dans nos projets, nous voulions par cette expérience à la fois informer sur l’accès au système de santé mais aussi susciter l’esprit critique à propos de celui-ci à partir des expériences de chacune pour une revendication. Nous nous sommes basés sur un outil employé à deux reprises par Vie Féminine, inspirée de la méthode d’intervention sociologique.
Cette méthode consiste à réunir lors d’une dizaine de séances des femmes (en l’occurrence, pour ce projet) afin de répondre à une question centrale, le point de départ d’une réflexion basée sur les récits de vie de chacune. Trois types de séances ont alors été proposées: les premières se font entre femmes et visent à mieux se connaître; d’autres permettent d’inviter des intervenants externes qui apportent un regard d’experts sur la problématique. Les dernières séances permettent de revenir sur tous les apprentissages et constats du groupe pour formuler des recommandations collectives.
Des temps pour partager, apprendre, comprendre et questionner
Pour cette première expérience, six femmes de profils, d’âges et statuts administratifs variés ont répondu présentes aux rencontres réalisées à la Maison Mosaïque de Laeken. La question centrale était «Qu’est-ce qui influence l’accès aux soins de santé des femmes?»
Les premières séances ont permis de cerner et définir ensemble la problématique. Nous sommes ainsi revenus sur la définition de la santé en nous inspirant du document ‘La santé c’est aussi’, soit la description du système de santé sous forme de pyramide. Ensuite, il a fallu définir ce que l’on entendait par l’accès aux soins: les échanges ont abouti sur la «Roue du système de santé» comme métaphore illustrée dudit système. Puis, la troisième séance a été la première occasion de répondre à la question centrale. Les réponses ont ensuite été réévaluées, précisées et modifiées. Le résultat final a pris la forme d’un schéma présenté ci-dessous:
Suite aux échanges et à la demande des femmes, les sujets nécessitant un éclairage d’expert (étalé sur trois séances) ont été:
- l’information sur la santé, «La santé mérite d’être protégée avant la maladie mais comment je sais ce qui est bon ou ne l’est pas?»;
- l’accès aux soins, «Pour se faire soigner, comment comprendre le système de santé et les moyens d’y accéder?»;
- les droits des patients, «Une fois dans le système, malgré tout, il y a des difficultés, surtout en cas d’erreurs médicales».
Nous avons respectivement invité Cultures&Santé pour son travail sur la littératie en santé, Médecins du Monde pour l’accès aux soins et enfin la LUSS pour un atelier thématique sur les droits des patients.
Lors des dernières rencontres, les participantes ont proposé des pistes pour aller plus loin que ces échanges et ce selon trois axes:
- transmettre autour de moi ce que j’ai appris, à la Maison Mosaïque de Laeken mais aussi dans ma famille ou dans d’autres maisons de quartier;
- multiplier les initiatives pour une meilleure santé, soit par exemple, acquérir plus de connaissances sur la santé, ou favoriser plus de transparence dans les hôpitaux en proposant que les questionnaires de satisfaction remplis après les hospitalisations soient rendus publics par chaque hôpital;
- présenter nos difficultés aux médecins et aux mutuelles, pour une meilleure construction du dialogue.
À la dernière séance, les femmes présentes ont réfléchi à la création d’un support d’information et d’animation pour qu’elles puissent partager toutes les connaissances acquises et se faire elles-mêmes relais d’un savoir prônant un meilleur accès aux soins («L’oral passe mieux que les prospectus dans l’entrée du bâtiment, qui ne sont jamais lus»).
Nous avons remis à chaque participante une farde de synthèse avec toutes les informations qu’elles ont jugées nécessaires pour leur santé, utiles pour elles et à transmettre. Chaque sujet abordé était synthétisé en trois messages clés illustrés par Maxime Jeune, un auteur de BD. L’objectif pour les mois à venir est de les soutenir dans la transmission de ces messages autour d’elles.
Qu’est-ce que qu’on va faire de tout ce qu’on a partagé?
Au-delà des échanges et des résultats qu’est-ce qu’il en ressort? Première surprise, les femmes qui ne se connaissaient pas toutes ont très vite montré une grande confiance, une écoute et un respect les unes envers les autres. En plus des discussions, il y a eu l’envie de se prononcer plus largement pour faire évoluer les choses («Qu’est-ce qu’on va faire de tout ce qu’on a partagé?»).
L’exercice de prise de recul sur les expériences a fait émerger des idées à mettre en œuvre: «On a le droit de parler», «Il faut qu’on s’exprime, il faut qu’on demande, il faut qu’on se renseigne», «L’accès à l’information n’est pas anodin mais nous avons la possibilité d’acquérir des connaissances».
Un des effets inattendus, bien que nous ne nous soyons pas présentés comme des médecins, est que certaines femmes ont témoigné d’une plus grande confiance envers le système de santé. Notamment car elles pensent mieux le connaître et elles savent qu’il existe les structures de médiation pour les soutenir.
Une expérience à poursuivre?
Ce type de séance permet de remplir les différents objectifs essentiels à une démarche de promotion de la santé et de plaidoyer. Il permet à la fois de diffuser une information utile au quotidien, tout en travaillant et en alimentant un savoir personnel et collectif, reflet d’une réalité trop souvent peu tangible pour la plupart. Enfin, la subjectivité et la démarche participative des activités proposent des recommandations utiles et pratiques à appliquer.
Porter la voix ne doit donc pas se limiter à récolter des témoignages mais aussi à proposer un engagement qui (re)donne espoir face à la perception de ne jamais être entendu. L’engagement dans ce processus doit aussi montrer que cela peut être porté par une structure qui écoute et d’autant plus lorsqu’il y a alliance et échanges entre des partenaires.
Carlisle S. (2000) «Health promotion, advocacy and health inequalities: a conceptual framework» Health promotion international 15 (4) p. 369-376.
Davidson (1998) «La roue de la participation» dans «Action communautaire en santé. Un outil pour la pratique».
Delescluse T. (2015) «Le plaidoyer d’associations féministes et de promotion de la santé des femmes» Mémoire master UCL-FSP.
Vie Féminine 2007 «Atelier sur les déterminants de la santé de la femme» et «Précarité et femme: méthodologie de l’intervention sociologique: outil méthodologique»- Formation.
Cousin Olivier, Rui Sandrine, «La méthode de l’intervention sociologique. Évolutions et spécificités», Revue française de science politique 3/2011 (Vol. 61), p. 513-532.
Culture&Santé Asbl, «La santé c’est aussi» disponible sur http://www.cultures-sante.be/nos-outils/outils-promotion-sante/item/62-la-sante-cest-aussi.html
Laurence Dhond, pour Cultures&Santé: http://www.cultures-sante.be/
Fabrizio Cantelli, pour la Ligue des Usagers des Service de Santé: http://www.luss.be/