En 2018, Femmes et Santé asbl est mandatée par la Cocof pour créer et renforcer un réseau « Femmes, genre et promotion de la santé » sur le territoire bruxellois. La mise en place de ce réseau prévue par le plan stratégique de promotion de la santé 2018-2022, répond à l’objectif transversal « lutter contre les inégalités basées sur le genre ». Nous vous proposons ici de (re)découvrir Femmes et Santé asbl, la Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes, l’articulation entre ces entités et la nouvelle mission de réseau, ainsi que les projets portés par celui-ci.
L’ADN de Femmes et Santé
Femmes et santé est une asbl qui opère depuis plus d’une quinzaine d’années sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en proposant des ateliers de promotion de la santé et des actions communautaires en santé majoritairement à destination de femmes cisgenres[1].La mise en place de ce type d’ateliers répondait à plusieurs constats :
- La surmédicalisation du corps des femmes tout au long de leurs cycles de vie : les règles, la grossesse, l’accouchement, la période autour de la cinquantaine sont autant de processus naturels qui sont souvent pathologisés et dès lors majoritairement pris en charge par des consultations médicales ou psychologiques ou par la prescription de médicaments.
- Les rapports de pouvoir entre les soignant.e.s et les soignées : la médecine occidentale place les soignant.e.s dans le rôle d’expert.e.s, tandis qu’une forme de discrédit est accordé aux soignées. On ne prend pas suffisamment en compte les savoirs populaires et l’expertise des personnes sur leur propre corps. La consultation médicale peut rapidement devenir un espace de pouvoir où l’on va dire ce qui est bon de faire, où le consentement éclairé n’est plus systématique… aboutissant parfois à des violences médicales et institutionnelles qui peuvent être lourdes de conséquences pour la santé des femmes.
- Un manque de compréhension systémique de la santé des femmes : la santé est conditionnée par de nombreux déterminants sociaux, dont le genre, le fait d’être racisé.e, l’accès aux ressources socioéconomiques, l’accès aux droits culturels, le fait de disposer d’un réseau social ou d’être isolé.e, etc. La consultation médicale dispose souvent de trop peu de temps pour intégrer ces dimensions et ne peut répondre à elle seule à l’ensemble de ces facteurs sociaux qui se répercutent sur la santé. En ce qui concerne la santé des femmes, une compréhension de la spécificité de leur statut dans la société est nécessaire pour mieux les accompagner dans leurs cycles de vie, mais également pour favoriser leur autonomie, leur auto-détermination et les liens de solidarités intergénérationnels.
De la mise en place d’ateliers à l’élaboration d’outils de transmission
Les ateliers de promotion de la santé des femmes ont été mis en place par Catherine Markstein, médecin fondatrice et ancienne coordinatrice de l’ASBL. Plusieurs animatrices l’ont accompagné dans ce projet. Ensemble, elles se sont pleinement inspirées des dynamiques de self-help, que l’on peut traduire par auto-santé, développées par les mouvements féministes dans les années 70’.
Par ces dynamiques, on sort du colloque singulier entre médecin et patiente pour envisager la santé de manière collective et participative. Chacun.e a une expertise à apporter au groupe ; l’autogestion du groupe est garante de la bienveillance et du recoupement des informations. Ces ateliers visent à recréer une culture de transmission entre les femmes par l’échange de leurs savoirs et compétences propres, de leurs expériences et vécus. Elles en ressortent plus informées et affirmées pour échanger avec le corps médical. Les grandes recommandations de santé publique peuvent être des balises, mais en aucun cas, une réponse systématique : chaque femme doit trouver les réponses qui lui conviennent étant donné ses conditions de vie.Catherine Markstein s’est appliquée à traduire sa pratique et ses réflexions autour de la santé des femmes en deux outils de transmission.
- Le référentiel Auto-santé des femmes[2] : Il encourage la mise en place d’ateliers de santé auto-gérés, au sein d’associations ou dans la sphère citoyenne. Il fournit des canevas d’ateliers autour de l’immunité, de la santé des seins, du périnée, du sommeil, la période autour de la cinquantaine, etc. afin de soutenir les groupes concernés dans leur démarche.
- La conférence gesticulée « La place n’était pas vide… » : cette conférence (1h20’) est un outil d’éducation populaire (France) qui mélange des savoirs scientifiques et les savoirs expérientiels. En fil rouge de son expérience personnelle, Catherine Markstein greffe ses réflexions et interrogations vis-à-vis d’une pratique médicale patriarcale, raciste et néolibérale. Elle propose des pistes pour une pratique médicale moins normative, plus inclusive et participative[3].
La Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes : un espace de renforcement et de plaidoyer
En parallèle des ateliers de promotion de la santé et des actions en santé communautaire s’est développé une plateforme de femmes et d’associations concernées par la santé des femmes et désireuses de défendre l’intégration de l’approche de genre dans les recherches, les actions et les politiques de promotion de la santé. La « Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes » (PPSF), a la caractéristique de croiser des regards (citoyennes et professionnelles), des secteurs (promotion de la santé, éducation permanente, coopération au développement, etc.), des témoignages, constats et observations autour de la santé des femmes.
La PPSF a été un lieu de renforcement des femmes et des associations désireuses de porter ces questions, alors même que persistent de nombreuses résistances à parler de genre et de nombreux questionnements sur la manière d’opérationnaliser le genre en promotion de la santé.Au cours de ces dix dernières années, la PPSF a porté une réflexion autour de :
- l’auto-santé : en continuum des actions présentées précédemment, la PPSF soutient les femmes dans la réappropriation de leur corps, leur santé et leur sexualité tout au long de leurs cycles de vie par l’échange de savoirs et d’expériences entre elles. Cette thématique a ainsi constitué le cœur du premier évènement grand public organisé par la PPSF en mai 2013.
- les violences faites aux femmes : elles ne concernent pas seulement la violence entre partenaires ou intrafamiliale, mais des formes de violence beaucoup plus systémiques et liée à une société patriarcale. Les femmes subissent des discriminations du fait de leur identité de genre, qui se répercutent au niveau de l’accès à l’emploi, des salaires, mais également dans l’espace public (sexisme, harcèlement), dans les pratiques médicales (violences gynécologiques ou obstétricales), dans leur sexualité (violences sexuelles, viols).
- la place du Care[4] dans notre société : un nombre important de femmes témoignent que malgré certaines avancées en termes d’égalité au niveau professionnel, les stéréotypes ont la vie dure au sein de la sphère privée. Dans les couples hétérosexuels, les femmes pointent du doigt l’inégale répartition des tâches liées aux soins (de la maison, des enfants, des parents, etc.) et le poids que cela suppose sur leur santé. Le Care comme grille de lecture a aussi l’avantage de questionner les valeurs et les rythmes de nos sociétés : une société de la performance et de la productivité est-elle capable de valoriser les tâches liées au Care, à la fois invisibles, souvent non-monétarisées et pourtant essentielles au maintien de la vie humaine ?
- la maternité : elle est souvent identifiée par les femmes elles-mêmes comme un moment de fracture dans leur vie. La période prénatale est très investie, voire surinvestie au niveau médical, alors que la période postnatale est souvent caractérisée par une forme d’isolement, en plus de l’extrême fatigue et des multiples questionnements propres à l’arrivée d’un nouveau-né. La vie des femmes devenues mères doit se réorganiser drastiquement même au-delà du post-partum, ce qui a beaucoup d’impacts sur leur santé physique et mentale. Ce moment est, en ce sens, un moment de vulnérabilité en termes de vécus des violences et des inégalités.
Nos réflexions se sont accompagnées de dynamiques de plaidoyer telles que la sensibilisation et la rencontre avec des élu.e.s…mais pas uniquement ! Nous tentons d’amener des professionnels d’autres secteurs à s’approprier notre approche et nos réflexions, les compléter et les complexifier afin d’étendre l’intégration d’une démarche féministe de promotion de la santé.
Ainsi, la grille d’analyse du Care attend encore d’être déclinée sur de nombreuses thématiques et problématiques comme une réflexion sur les dispositifs de sécurité sociale avec des mouvements syndicalistes, le soutien du bien-être et le statut des aidant.e.s proches,ou encore les liens entre le genre et les assuétudes.
Un nouveau financement, une nouvelle mission, un nouveau réseau
Le 28 mai 2018 (journée internationale d’action pour la santé des femmes), nous fêtions les 10 ans d’existence de la PPSF. L’octroi d’une subvention strictement allouée à la constitution et au renforcement d’un réseau « Femmes, genre et promotion de la santé » est pour nous une grande joie et un signe de reconnaissance par rapport à l’ampleur du travail jusqu’ici accompli de manière militante. 2018 sonne donc un tournant : la fin des ateliers de promotion de la santé d’une part et l’institutionnalisation du réseau bruxellois d’autre part. L’appellation Plateforme pour Promouvoir la Santé des Femmes (PPSF) disparait au profit du vocable « réseau ».
Lors du 28 mai, une trentaine de femmes issues de la PPSF et du secteur de promotion de la santé à Bruxelles se sont rencontrées. Dans un premier temps, les membres fondatrices et actives de la PPSF ont exprimé la place qu’elles avaient accordé à ce réseau dans leurs actions citoyennes ou professionnelles.
Dans un second temps, nous avons abordé les pistes de réflexions et d’actions que la PPSF pensait ouvrir au fil de ces trois années. Enfin, les participantes ont été invitées à s’exprimer sur leurs ressentis et leurs attentes par rapport à la mise en place d’un tel réseau.
Cette rencontre a été l’occasion de relever de nombreux défis pour le futur réseau bruxellois à différents niveaux :
- la représentativité : penser la mixité, l’inclusion des personnes transgenres et assurer la présence de non-professionnel.le.s dans le réseau
- des cadres d’analyse : élargir les réflexions à d’autres féminismes, penser de manière intersectionnelle comme intégrer l’afroféminisme, les transféminismes…
- des missions potentielles :
- réaliser un diagnostic des vécus des femmes dans les quartiers et donner de la légitimité à la parole des usagères dans les associations de promotion de la santé
- construire un plaidoyer (intersectionnel) en veillant à ce que les personnes concernées soient directement impliquées
- relayer des activités réalisées par ses membres, et inversement ceux-ci deviennent relais du réseau
- construire et proposer une formation autour de l’approche de genre en promotion de la santé
- accompagner et soutenir les compétences psychosociales nécessaires au Care
- accompagner la réflexion sur différentes thématiques de travail :
- la mixité ou la non-mixité (l’importance des espaces « safe »)
- les rapports de pouvoir entre les professionnel.le.s et les bénéficiaires (soignant.e/soigné.e, personnes blanches/racisées, etc.)
- l’engagement/la militance dans les pratiques (l’articulation des échelles de valeurs)
- la promotion de la santé des personnes malades
- le lien avec les aidant.e.s proches
- l’opérationnalisation de la grille d’analyse du Care dans les pratiques (avec les publics mais aussi dans les institutions elles-mêmes)
Etant donné que le réseau bruxellois ne dispose que d’une coordinatrice mi-temps, nous ne pourrons répondre à toutes ces attentes endéans les trois années de convention, mais celles-ci suggèrent l’ampleur du travail à mener à l’avenir.
Les actions du réseau en 2018
Une photographie du secteur de la promotion de la santé sous le regard du genre
Nos rencontres avec les acteurs et actrices de terrain depuis le début de l’année nous montrent leur intérêt à prendre en compte la dimension du genre dans les pratiques, même si certaines difficultés à la traduire en actions concrètes sont fréquemment exprimées.
Afin d’avoir une vision globale du secteur autour de ces questions, nous avons proposé trois rencontres collectives dans le courant du mois d’octobre 2018. Celles-ci ont eu pour objectif d’identifier les représentations des associations autour de ce sujet, la manière dont cela se traduit sur le terrain dans les pratiques professionnelles et les échanges avec les bénéficiaires, d’identifier avec eux/elles leurs questionnements et besoins à faire réseau autour des questions de genre et santé des femmes.
Nous avons privilégié un résultat « photographique » plutôt qu’un état des lieux (plus exhaustif). En effet, le dispositif de récolte d’informations se veut « léger » afin de ne pas surcharger le secteur lors de cette première année. Une rencontre est prévue afin de présenter ces résultats au secteur, d’en discuter et de pouvoir dégager de nouvelles pistes d’action et de travail.
Des rencontres
- La PPSF s’est toujours rencontrée mensuellement de septembre à juin. Lors de la photographie, les personnes rencontrées ont exprimées leurs besoins d’échanges sur les questions liées au genre. Le nouveau réseau doit donc s’approprier cet espace de rencontre, en déterminer l’objectif, les questions et les thématiques à aborder ainsi que la fréquence.
- Le 28 mai, journée internationale d’action pour la santé des femmes, constituait la rencontre annuelle de la PPSF, à destination du grand public et du monde politique. Le 28 mai restera la date de rassemblement des associations belges francophones qui défendent une approche féministe de promotion de la santé des femmes.
- Tout au long de l’année, la coordinatrice du réseau répond aux sollicitations du secteur : rédaction d’articles, rencontres, échanges, co-construction d’une action (évènements, outils, interventions).
Un site internet interactif
Femmes et santé dispose aujourd’hui de deux sites Internet qui répondent aux deux missions historiques. A l’avenir, seul le site www.femmesetsante.be (plus connu et plus usité) persistera et sera entièrement revu dans sa structure, ses contenus et son identité graphique.
Le futur site a pour objectif d’être une interface interactive autour de la démarche d’auto-santé et de l’appproche de genre en santé. Nous espérons qu’il soutiendra toute association et tout collectif désireux d’intégrer le genre dans ses recherches, actions et politiques. Le site proposera à la fois des canevas méthodologiques, des publications de référence et des ressources autour de différents thèmes. Ce site sera également l’occasion de valoriser les initiatives, les publications et les actions menées par d’autres associations.
Des personnes-ressources, des collectifs citoyens ainsi que des associations belges et françaises s’ancrent dans ce mouvement pour la santé des femmes. Un travail de centralisation de ces informations va être réalisé et diffusé via le nouveau site internet de Femmes et santé, de telle manière que ce réseau soit visible et joignable. Ainsi, des personnes qui désirent participer à cette démarche, peuvent identifier un groupe sur leur territoire, de même que des personnes désireuses de mettre en place ce type d’ateliers, peuvent également prendre contact et s’informer auprès des personnes/lieux-ressources.
Et en Wallonie ?
Le transfert des compétences a le désavantage de faire vivre notre pays à deux vitesses. En octobre 2018, nous avons relancé des femmes et des associations wallonnes à se réunir autour de la philosophie de Femmes et Santé. Nous désirons renouer des liens de solidarité, recréer un espace d’échanges et de renforcement pour les personnes qui s’interrogent sur la santé des femmes et l’intégration de l’approche de genre en santé…et ainsi créer un réseau spécifique en Wallonie en lien avec nos intérêts et nos thématiques.
Pour plus d’informations
- Personne de contact : Manoë Jacquet
- Téléphone : 0493/81.85.23
- Adresse mail : info@femmesetsante.be ou manoe@femmesetsante.be
- Siège d’exploitation : Avenue Emile de Béco 109 à 1050 Ixelles
- Site Web de référence : www.femmesetsante.be
Pour aller plus loin…
Quelques publications autour de ces sujets
- 11ème Rencontres Internationales Femmes et Santé, Santé des femmes et droits humains, construisons l’avenir, Bruxelles, Belgique, 2011. Disponible sur le site du Monde selon les femmes : http://www.mondefemmes.be/pdf/RIFS11-FRWEB.pdf
- Care, genre et santé des femmes, 2016. Disponible sur le site d’Alter Egales : http://www.artko.be/pdf/Rapport_Care.pdf
- Stigmatisation de la maternité au sein d’une société néolibérale, entre représentation idéalisée et dévalorisation sociale : quel choix pour les femmes ? 2017. Disponible sur le site de Corps écrits : https://www.corps-ecrits.be/download/stigmatisation-de-la-maternite-au-sein-dune-societe-neoliberale-entre-representations-idealisees-et-devalorisation-sociale-quel-choix-pour-les-femmes/?wpdmdl=1067
Des outils pédagogiques
- Le Care, une grille d’analyse des rapports sociaux, publié par la Fédération des centres pluralistes de planning familial, 2017. Celui-ci s’inspire de la recherche réalisée par la PPSF en 2016 et d’un document-plaidoyer rédigé à l’occasion d’une rencontre avec des politiques en juin 2017. Disponible sur le site de la fédération : http://www.fcppf.be/portfolio/items/le-care/
- Femmes et Santé et Le Monde selon les femmes finalisent la co-écriture d’une publication dans la collection Déclic du Monde selon les Femmes, dont l’objectif est d’accompagner les associations à intégrer la grille d’analyse du genre dans des projets de santé. Disponible à la fin de l’année 2018.
[2] co-écrit et co-édité avec Le monde selon les femmes et la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial. Le référentiel est disponible en format papier auprès de l’asbl, ainsi qu’en format téléchargeable sur le site du Monde selon les femmes : http://mondefemmes.be/genre-developpement-outils_theorie-analyse_declics-genre_r-f-rentiel-auto-sant-des-femmes.htm
[3] Catherine continue de rencontrer des associations et collectifs par le biais de sa conférence gesticulée. Si vous êtes intéressé.e.s à la recevoir, n’hésitez pas à contacter l’asbl. Par ailleurs, La conférence sera bientôt disponible en format vidéo.
[4] Terme anglais qu’on peut traduire par sollicitude, le « prendre soin » des autres, de soi, de son environnement. Il comprend un ensemble de savoir-être et de tâches « que nous faisons pour maintenir, réparer et perpétuer notre monde, afin que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nos personnes et notre environnement. » (Joan Tronto, 2013).