Mars 2011 Par Emmanuelle CASPERS N. THOMAS Initiatives

Le 10 décembre 2010, le Service de Santé mentale (SSM) du CPAS de Charleroi célébrait ses 30 ans. L’occasion de fêter ça très sérieusement, en organisant un colloque au menu de circonstance: deux interventions en plénière, six ateliers…
Dans le prochain numéro d’ Éducation santé , vous pourrez lire un article de Colette Barbier consacré à l’exposé du psychiatre Serge Tisseron , qui s’était partagé la plénière du matin avec le sociologue Alain Ehrenberg . Précisons seulement qu’il leur est revenu la tâche difficile, à la suite du Président du CPAS et de la Ministre en charge de la Santé en Région wallonne, d’animer une salle confrontée à des conditions d’écoute et d’échange spartiates, en l’absence bien involontaire de chauffage!
Un feu de bois, un repas, un (ou deux) verre(s) de vin plus tard, les ateliers devaient favoriser les échanges avec les participants, à partir des pratiques des équipes du SSM. En voici les intitulés:
-quand Internet interroge la prise en charge en santé mentale;
– le travail thérapeutique sous injonction judiciaire: est-ce possible;
-panser les parents… penser les enfants: soutien à la parentalité au sein d’un SSM avec des familles en rupture de lien;
donnez-moi et je serai . Patient-thérapeute, qu’en est-il de la singularité de leur rencontre aujourd’hui?
-la place et l’usage des médicaments dans un SSM;
-approche communautaire, promotion de la santé… Quelle im-pertinence en santé mentale!?
Les thèmes traduisent déjà la variété des questions qui occupent les équipes d’un service de santé mentale et colorent les Regards sur la santé mentale , titre de cette journée anniversaire. Nous proposons de pousser la porte de l’atelier 6, co-animé par l’équipe Prévention/Promotion de la santé du SSM du CPAS, et l’équipe ‘communautaire’ du SSM bruxellois Le Méridien . Bien qu’il fut trop rarement le premier choix des professionnels mobilisés par la santé mentale, nous osons croire que cet atelier a la préférence des lecteurs d’ Éducation Santé

Promotion de la santé, approche communautaire, tout se joue dans la rencontre…

En avril 2009, l’équipe Prévention/Promotion de la santé du SSM du CPAS de Charleroi entamait son deuxième programme quinquennal de promotion de la santé. Il s’adresse aux adultes relais professionnels ou non professionnels de la famille, du quartier et de l’école.
Ce programme a pour finalité de soutenir la capacité des relais à promouvoir le bien-être des publics «jeunes» (à partir de 6 ans), en proposant par exemple des pistes d’action sur l’estime de soi des enfants ou des adolescents, en développant une sensibilité et des repères pour construire avec les jeunes des relations et un environnement épanouissants (sécurisants, sources d’apprentissage, solidaires, etc.). Cette démarche situe les conduites à risque , les consommations par exemple (1), dans une perspective plus large et positive de promotion de la santé. L’accent est mis sur les facteurs de protection de la santé individuels (estime de soi, compétences sociales), collectifs (participation à des projets) ou environnementaux (offre de services, aménagement ou convivialité dans le quartier)…
Les activités de l’équipe Prévention/Promotion santé comprennent la sensibilisation, la formation, l’accompagnement de projet mais également le lobbying (plaidoyer). Prenant appui sur l’identité et les ressources multiples du CPAS, l’équipe déploie aussi ses activités dans la «Maison des parents» de Dampremy ou l’«Espace jeunes» de La Docherie, projets menés sur deux des trois Espaces citoyens du CPAS. Les Espaces citoyens implantés à Dampremy, Marchienne-Docherie et Marchienne-au-Pont, privilégient une approche communautaire pour leurs activités éducatives, psycho-sociales ou d’aide à la réinsertion.
Une rencontre toute naturelle s’est donc opérée entre équipe, objectifs et stratégies de promotion de la santé d’un côté, et de l’autre côté, ressources, expériences et publics des Espaces citoyens qui vitalisent l’approche communautaire à Charleroi. Deux membres de l’équipe Prévention/Promotion santé se trouvent d’ailleurs à l’Espace citoyen de Dampremy.
Les 30 ans du SSM offraient une belle occasion d’illustrer une rencontre, qui se joue premièrement au sein d’un Centre Public d’Action Sociale, en y conviant ensuite – quoi de plus normal pour un anniversaire? – d’autres acteurs liant santé (mentale) et approche communautaire.
Il s’agit cette fois de membres de l’équipe Communautaire du SSM Le Méridien . Cette équipe «développe et fédère des pratiques qui visent à renforcer les solidarités dans les quartiers et la capacité d’autonomie des populations face aux problèmes de santé mentale (2)». Créée en 1994, l’équipe communautaire du Méridien avait pour vocation première «la sensibilisation et la formation de professionnels à des méthodes de santé mentale communautaire et d’animation de groupes d’habitants du quartier (Saint-Josse)»… Elle s’est progressivement muée en «collectif de professionnels partageant des pratiques et valeurs similaires: autonomie, proximité, entraide, empowerment , action collective, politique, etc.». Aujourd’hui, l’équipe anime notamment une «Plate-forme sur l’articulation des démarches cliniques et communautaires dans les SSM». Le travail d’échanges et de réseautage entre professionnels prend appui sur la présentation des projets des uns et des autres et vise à mieux cerner les contours de l’approche communautaire en santé mentale, afin d’en renforcer in fine la (re-)connaissance.
Ce 10 décembre 2010, les équipes Prévention/Promotion de la santé du CPAS de Charleroi et Communautaire du Méridien s’associaient pour explorer en atelier la question suivante: en quoi les démarches communautaires ou de promotion de la santé peuvent-elles contribuer à la santé mentale des populations? Dit autrement: en quoi sont-elles pertinentes ou impertinentes en santé mentale?

Santé mentale d’ici et de là-bas…

Pour démarrer l’atelier, rien de tel que de se donner un cadre définitoire, et de mettre pour ce faire les participants au travail! Qu’entend-on par «santé mentale»? Et en se mouillant un peu plus, «si on vous demandait de compléter la phrase: Pour moi , être en bonne santé mentale c’est …, qu’auriez-vous envie de dire»?
Voici un florilège des réponses données par les participants (médecin, psychologues cliniciens ou chercheurs, acteurs de promotion de la santé de première ou deuxième lignes…) :
– «… se sentir soutenue, avoir confiance en soi, écouter ses émotions»;
-«… parler, rire, être à l’aise, râler et le dire»;
– «… avoir le sentiment d’avoir une place distincte des autres, dans mon travail, dans la société en général, être en accord avec mes valeurs, avoir des projets, être en capacité de faire face aux difficultés…»;
– «… parvenir à organiser tous les domaines de ma vie, communiquer de manière sereine et bienveillante avec mes proches, être acceptée telle que je suis…»;
-«… se sentir apaisé, libre de toute pression».

Et «côté publics», comment des jeunes d’un quartier de Charleroi ou des femmes résidant à Saint-Josse (Bruxelles) répondent-ils à cette question?À la Docherie, ancien quartier ouvrier, des jeunes de 12 à 18 ans fréquentant le projet «Espace Jeunes» disent «être en bonne santé mentale, à condition de…»
– «… courir, faire du sport»;
– «… dormir»;
– «… sortir avec des amis»;
– «… ne pas rester seul»;
– « …aller sur Facebook»;
– «… ennuyer les filles».
À Bruxelles, des femmes dont certaines sont en attente d’une régularisation de leur situation administrative et de séjour, disent pouvoir «être en bonne santé mentale, à condition de…»
– «… ne pas devoir vivre cachée car on est sans papier»;
– «… pouvoir assurer que les enfants vont bien à l’école»;
– «… avoir des nouvelles de sa famille restée au pays».
Toute personne recèle des images, des vécus, des idées… Bref, se représente la santé mentale. Tributaires des contextes, ces représentations constituent, en promotion de la santé et dans une démarche de santé communautaire, le premier médium de la rencontre avec le public (et entre les individus qui le composent). Le recueil des représentations permet en quelque sorte de se rapprocher de l’ici-maintenant des personnes, pour entamer la démarche avec elles, au plus près des préoccupations, du langage et des priorités de chacune, et de chacune dans le groupe… L’articulation entre individu et collectif(s), l’aller-retour régulier entre les deux, est rappelons-le l’un des enjeux fondamentaux de la promotion de la santé et, plus spécifiquement, de l’approche communautaire au service de l’amélioration du bien-être.

Deux définitions pour (encore) plus de santé mentale

Si l’on a forcément des images ou certaines idées à propos de la (bonne) santé mentale, les confronter aux définitions d’«experts» peut enrichir ce premier trésor de représentations.
En promotion de la santé, l’OMS reste une valeur réflexe . Elle définit la santé mentale, comme «un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté».
Une définition volontaire qui projette la santé mentale hors de la pathologie (3), dans un élan «positiviste», censé faciliter la projection (dans ce que l’on souhaite comme individu ou collectif), la définition de buts («La santé pour tous!»), l’espoir (un moteur individuel et collectif) et la mobilisation (des personnes et des États).
En ces temps de crises (4), face à ceux qu’on nomme les «laissés-pour-compte-de-la-société», quand « l’aide sociale» se mue en « action sociale» (5), la définition de l’OMS peut soudainement revêtir d’étranges relents de libéralisme: «potentiel», «succès», «productivité», «contribution»… S’ils doivent être replacés en contexte et dans l’évolution des approches en santé, ces mots pourraient aujourd’hui résonner comme autant d’injonctions à être heureux, à réussir sa vie et/ou celle des autres, à produire, etc.
Nous avons donc cherché une autre vision, née justement du regard d’un professionnel en santé mentale, portant une attention particulière aux déterminants sociaux… Le psychiatre français Jean Furtos , cofondateur et Directeur scientifique de l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité (ONSMP (6)), propose une définition de la santé mentale humaniste, qui laisse notamment place à la souffrance: « Une santé mentale suffisamment bonne est définie par la capacité de vivre et de souffrir dans un environnement donné et transformable , sans destructivité mais non pas sans révolte ». Furtos formule encore d’autres jalons, que d’aucuns en promotion de la santé appelleraient «life skills» (compétences de vie), il s’agit de: « la capacité de vivre avec autrui , de rester en lien avec soi même et de pouvoir investir et créer dans cet environnement , y compris des productions atypiques et non normatives ».

Le 10 décembre dernier, dans l’atelier 6, la confrontation à ces deux définitions a eu un effet d’apaisement… Comme si l’essentiel avait été dit pour concevoir la santé mentale dans toute sa densité. Mais j’entends déjà s’élever la voix des plus pragmatiques, avec cette interpellation: «Et concrètement, que peut-on faire pour agir sur la santé mentale? Et comment?». Porter le regard du côté de la pratique des équipes ‘communautaires’ et ‘prévention/promotion de la santé’ vaut sans doute mieux qu’un trop long discours…

L’illustration par l’approche communautaire (Le Méridien)

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Contexte: anti-psychiatrie et déterminants sociaux de la santé mentale

Le SSM Le Méridien est né dans le giron du courant ambulatoire des années soixante et de la psychiatrie sociale. Il est situé dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode (à Bruxelles), l’une des plus pauvres de Belgique. Les quartiers qui la composent hébergent des populations diversifiées au niveau social, culturel et économique. Le Méridien a rapidement mis en place, à côté des consultations de guidance et de psychothérapie, une équipe communautaire chargée de développer une démarche abordant la santé mentale par un autre biais que la pathologie. En effet, dans ces quartiers populaires, les problématiques rencontrées dans les consultations dépassent en général le cadre d’un travail thérapeutique classique: problèmes de logement, de non-emploi, d’exclusion sociale, etc.

Des finalités et des méthodes au croisement de l’éducation populaire, de la mobilisation politique et de la promotion de la santé

Le projet de l’équipe communautaire du Méridien s’est inspiré des principes développés par le Brésilien Paulo Freire , initiateur du courant de l’éducation populaire (années 60), qui visait à rendre une communauté capable de s’organiser et d‘agir sur ses conditions d’existence. Sa méthode visait à apprendre aux personnes dominées à saisir les rapports sociaux dans lesquels elles s’insèrent et les structures qui sont sources d’inégalité sociale. Il s’agit aussi de rechercher les causes historiques et sociales des situations douloureuses et de développer des actions pour transformer cette réalité sociale. L’originalité de la démarche du Méridien réside dans l’application de la méthodologie d’éducation populaire dans le champ particulier de la santé mentale. Une part importante du travail de groupe avec des habitants est en effet centrée sur l’élaboration des expériences de vie personnelles, familiales et communautaires, sur la mise en place d’espaces de paroles et de narration. Cette méthodologie doit permettre le passage d’un travail de développement personnel vers des actions collectives, un passage du «je» vers un «nous» groupal, puis vers un «nous tous», les êtres humains.
Autre outil de référence, la grille de José Bengoa (8), anthropologue et philosophe chilien. En invitant à circuler à travers quatre axes de travail en groupe (identité, modernité, participation et changement social), Bengoa permet d’articuler souffrances singulières, problématiques collectives et actions de changement social.
La conception du travail communautaire du Méridien s’enracine également dans l’histoire sociale de Bruxelles et dans une conception qui lie clairement travail social et luttes politiques. Elle se relie aussi aux principes de la déclaration d’Alma Ata: approche globale de la santé, santé pour tous, participation individuelle et collective des citoyens à la planification et la mise en œuvre des soins de santé (OMS 1978) et de la Charte d’Ottawa (1986). Plus récemment, elle intègre les considérations sur la «souffrance sociale», portées notamment par Jean Furtos (cf. supra).

Une méthodologie en 4 étapes pour agir collectivement en santé mentale…

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1.Le diagnostic groupal: une fois constitué et en confiance, un groupe de participants (habitants par exemple) «décide ensemble des thèmes à aborder, à partir des préoccupations, des problèmes et des désirs de changement des participants».
2.La mise en commun des savoirs expérientiels: organisés «en groupes restreints, les participants partagent les expériences vécues liées au thème choisi, en se centrant sur les émotions, les difficultés rencontrées et les ressources mobilisées (…) Cette étape favorise l’émergence d’un sentiment d’appartenance communautaire».
3.La contextualisation: les éléments rapportés par les sous-groupes sont resitués «en regard du contexte social. Cela permet de passer à une analyse plus collective des situations vécues, puis de réintégrer cette analyse dans le vécu du sujet (…) Ce qui aide à dépasser les sentiments de culpabilité, de victimisation ou d’impuissance.
4.L’action collective: cette étape renvoie à « la mise en acte au niveau interpersonnel et collectif: «(…) Quel impact pouvons-nous avoir au-delà des membres du groupe, sur notre quartier ou nos communautés d’appartenance (…)? Comment pouvons-nous arriver à un changement social?»

Un exemple en cours actuellement : la mise sur pied d’un Conseil consultatif des femmes à Saint-Josse-ten-Noode

L’équipe Communautaire du Méridien travaille notamment auprès d’un groupe de femmes qui se réunit depuis plusieurs années dans la commune. Il faut en effet du temps pour qu’un groupe puisse se mobiliser et se fédérer dans l’action. Il est par exemple essentiel que les individus qui le constituent puissent jouir d’une sécurité de base (logement, soins et revenus). À Saint-Josse, s’inspirant du Conseil Consultatif des Seniors, les femmes côtoyées par l’équipe communautaire du Méridien ont souhaité se mobiliser de la sorte, en vue de mettre plus largement en débat les sujets qui les animent et de faciliter l’expression de propositions concrètes au niveau communal. Les échevines concernées ont alors marqué leur intérêt pour la formule. L’aventure est en marche aujourd’hui et l’équipe Communautaire du Méridien ne manquera pas d’y revenir, avec le recul nécessaire pour faire état de la maturation progressive de la démarche et des éventuelles leçons à en tirer…

L’illustration par la promotion de la santé en lieu de vie (CPAS de Charleroi)

Contexte: une campagne de prévention nationale vue de Charleroi…

Croisant la demande des éducateurs du projet «Espace Jeunes» de la Docherie (quartier de Marchienne) qui souhaitaient aborder la question des consommations (d’alcool), avec l’actualité de la deuxième campagne nationale d’Information sur l’Alcool et les Autres Drogues (IDA, 2009), l’équipe Prévention/Promotion de la santé a accompagné Espace jeunes dans l’élaboration et la co-animation de rencontres avec les jeunes du quartier. Le tout s’est mis en place avec le concours du Point d’Appui Assuétudes du CLPS de Charleroi-Thuin.
Espace Jeunes est un projet de l’Espace citoyen de la Docherie, et fonctionne à la manière d’une «maison de quartier». Les jeunes (12 à 18 ans et plus) y participent à des projets/activités de loisirs/détente, à vocation éducative ou citoyenne… Certaines activités réalisées au bénéfice de la collectivité (embellissement du quartier, encadrement de l’École de devoirs, etc.) peuvent permettre aux jeunes d’obtenir un défraiement en tant que volontaires, ou de réunir ensemble un petit bénéfice qui sera ensuite réaffecté à un autre projet…
Les rencontres «Santé, consommations et alcool» se sont inscrites dans cette dynamique, en proposant à une quinzaine de jeunes de pré-tester, sous le statut de «jobistes» (volontaires défrayés) , des «activités santé» destinées à d’autres personnes de leur âge (15 ans et plus)… L’idée était également de consigner ces activités sur une fiche d’animation à l’usage des relais éducatifs et donc, au profit d’autres jeunes en Communauté française.

Objectifs: renforcer les compétences-santé des jeunes

De manière générale, il s’agit de faire prendre aux jeunes une part active dans l’élaboration d’un outil de sensibilisation relatif aux consommations d’alcool. Ce qui permet déjà d’augmenter leur pouvoir d’action sur leur santé (10). Plus spécifiquement, les rencontres «Santé, consommations et alcool» souhaitaient renforcer et exercer des compétences aussi transversales que: la connaissance de soi, la capacité d’analyse et de recul, la capacité à exprimer ses émotions, à faire valoir son opinion… Des compétences à mettre également au rang des «life skills» («compétences de vie» ou «… à la vie » , «aptitudes à la vie quotidienne»).

Activités réalisées: variété et complémentarité des techniques

Trois rencontres se sont déroulées en avant-soirée dans le restaurant social du quartier. Elles ont conjugué un photo-langage pour faire connaissance (capacité à parler de soi); un brainstorming au départ des deux séquences de la campagne IDA 2009 relatives au « binge drinking », et la structuration des débats autour des pôles «produit-personne-environnement» (capacité d’analyse et de compréhension du processus de consommations); et, enfin, des jeux de rôles au départ de situations de consommations vécues par des jeunes (entraînement de la capacité de négociation, de prise de distance par rapport aux pressions de groupe, etc.).
Cette démarche a permis également aux animateurs (éducateurs relais et partenaires) de transmettre des éléments d’informations à propos des consommations, mais aussi sur d’autres thématiques-santé abordées: l’alimentation, les relations parents-enfants, les relations amoureuses, etc.

Et aujourd’hui, que reste-t-il de tout ça ?

Très concrètement d’abord: une fiche d’animation «À ta santé!, Santé , consommations , alcool , des idées pour en parler avec les jeunes » est mise à la disposition des relais éducatifs, y compris en milieu scolaire (11).
Dans le quartier de la Docherie, Espace Jeunes poursuit l’organisation de rencontres «thématiques» avec les jeunes du quartier, pour exercer et installer davantage les «fameuses» compétences-santé… Actuellement, sur base des centres d’intérêt de la petite vingtaine de jeunes (12 à 18 ans et parfois plus) fréquentant le projet «dochard», un cycle d’activités s’organise autour de la violence. Après avoir exprimé leurs représentations à ce sujet, les jeunes ont été invités à visionner les 40 premières minutes du film de Clint Eastwood «Gran Torino» (40 minutes seulement, quelle frustration!)… Deux intervenantes du Service de médiation scolaire (SMSW) de la Communauté française ont pris le relais pour faciliter échanges et activités visant:
-la prise de recul des jeunes face aux situations, attitudes et comportements violents (les leurs, ceux des autres), pour en comprendre les déterminants, en mesurer aussi les conséquences éventuelles;
-la découverte d’outils/techniques permettant la régulation de l’impulsivité;
-la découverte d’intervenants/ressources utiles dans ce domaine (comme le Service de Médiation Scolaire en Wallonie par exemple);
-l’élaboration collective de règles ou d’une «Charte du vivre ensemble» pour l’Espace jeunes. Ce qui permettra aux éducateurs de reprendre leur place dans les échanges et dans la conduite des activités avec les jeunes qu’ils côtoient quasi quotidiennement…

Dans ce processus continu, l’équipe Prévention/Promotion de la santé du SSM du CPAS de Charleroi, vit parfois de près (observation, appui à la construction et à l’animation), mais souvent de plus loin (debriefing, recherche de partenaires, appui au suivi, etc.), cette démarche de promotion de la santé dans le quartier. Une réunion récente avec les éducateurs a permis d’en appréhender quelques traces ou impressions sur l’environnement de l’Espace Jeunes de La Docherie:
-les paroles des jeunes qui ont émergé lors d’un photo-langage sur le bien-être/la santé mentale sont affichées et piquent la curiosité des jeunes qui passent… ils en parlent!
-les éducateurs foisonnent d’idées pour poursuivre le travail sur «la violence» («ça vaudrait la peine d’y consacrer une année»), mais vue plutôt sous l’angle de la relaxation («Soyons zen», «Be cool») et en explorant différents médias: musique, peinture, théâtre…
-on pense à rendre toute cette activité plus visible dans le quartier… Des liens sont faits avec les activités sportives qui peuvent aider à évacuer les tensions, toute cette énergie (si visible chez les garçons)… Qui prétendra encore que ceci ne relève pas de la santé mentale, une «certaine» santé mentale? Dit à l’anglaise, un bien-être qui commence dans le care («prendre soin de») et avant le cure («soigner/guérir»). Une santé où l’on réveille et entretient tout ce qui protège, par exemple, des «bitures» à répétition, ou des «pétages de plombs» qui dégénèrent…: estime de soi, savoir-être relationnels, connaissance et utilisation des ressources de santé, identification des adultes de confiance ou autres «tuteurs de résilience», etc.

À vous de nous dire…

De retour dans l’espace-temps de l’atelier 6, ce fameux 10 décembre enneigé à Marcinelle, on a enfin redonné la parole aux participants. Que pensaient-ils de ces pratiques en santé communautaire et promotion de la santé? En quoi relèvent-elles de la santé mentale? Le temps nous manquait, mais nous avons quand même recueilli quelques éléments de réponse, nous invitons les lecteurs d’Éducation Santé à les compléter, les nuancer…
Approches communautaires et de promotion de la santé «collent» assez avec le cadre définitoire de la santé mentale, tant celui des participants, des publics, que celui des (autres) «experts». Reste évidemment à assumer ce cadre extensif et à le diffuser (à ceux qui n’étaient pas dans l’atelier par exemple…).
L’inscription de ces approches dans le vécu des personnes et des collectifs, leur caractère prospectif (dépasser la difficulté, partager un objectif/sens et se mettre en action pour y arriver ensemble…), recèlent un potentiel thérapeutique/soignant .
À la manière des approches systémiques ou complexes, elles ont un puissant pouvoir de «reliance»: entre des personnes, des niveaux d’intervention, des lieux de vie différents, des préoccupations et des pratiques ou profils professionnels… Un peu comme la vie elle-même finalement.
Ce pouvoir de reliance dont l’impact n’est sans doute plus à prouver sur la santé mentale des personnes et des groupes, est sans doute plus difficile (impossible?) à faire refléter par un dispositif (décrets, financements, politique(s))… Alors en attendant ou en demandant mieux, des acteurs bricolent cette cohérence au quotidien.
En conclusion, permettons-nous d’imaginer la rencontre des ressources et leur conjugaison pour que de si beaux et créatifs «bricolages» en santé mentale se muent en un édifice aussi souple et humble que l’on peut rêver l’humain, par exemple. À vous/nous de jouer!
Emmanuelle Caspers , Coordinatrice de l’Équipe Prévention/Promotion Santé- SSM du CPAS de Charleroi, avec la collaboration de Nathalie Thomas pour l’équipe Communautaire du SSM Le Méridien .
Adresse de l’auteure : Service de santé mentale du CPAS de Charleroi, Faubourg de Charleroi 7, 6041 Gosselies. Courriel : emmanuelle.caspers@cpascharleroi.be
(1) L’équipe Prévention était auparavant intégrée à l’équipe Toxicomanies/Assuétudes du SSM du CPAS de Charleroi.
(2) Propos de Nathalie Thomas repris du site du Méridien consacré à la Santé communautaire, cf. http://www.meridien-communautaire.be/index.html , rubrique «collectif».
(3) Tout comme auparavant la santé s’est trouvée présentée par ce qu’elle est (un état, puis une ressource), et non plus uniquement par ce qu’elle n’est pas (une maladie).
(4) Il est vrai qu’on met aujourd’hui la «crise» à toutes les sauces: elle est sociale, économique, éducative, sociétale… Ce qui peut, tout en reconnaissant la nécessité d’une vision complexe, flouter quelque peu les déterminants fondamentaux de ces situations de crise…
(5) On dit désormais Centre Public d’ Action Sociale et non plus d’ Aide Sociale.
(6) «Fondé en 1996, l’Observatoire régional Rhône-Alpes sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion (ORSPERE) devient en 2002, au regard de ses activités nationales, l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité (ONSMP). Il s’adresse à un public de professionnels du champ sanitaire et social qui, dans l’exercice de leur fonction, sont confrontés à la souffrance psychique, génératrice d’exclusion sociale et/ou d’altération de la santé mentale », extrait du site de l’ONSMP-ORSPERE, http://www.orspere.fr/Presentation-de-l-orspere/#1
(7) Éléments de présentation repris du site http://www.meridien-communautaire.be/declaration_meridien_communautaire.html et complétés de la présentation réalisée par Nathalie Thomas et Namur Corral lors de l’atelier du 10 décembre 2011.
(8) Voir notamment les articles et documents relatifs à José Bengoa sur le site du Centre de formation pour le développement et la solidarité internationale Iteco, sur http://www.iteco.be/spip.php?page=recherche&recherche;=bengoa
(9) Extraits du dossier Bruxelles Santé n°60, pp 11-14, décembre 2010, nous soulignons. Téléchargeable sur http://www.questionsante.org/03publications/charger/bxlsante60.pdf
(10) La fameuse définition de la promotion de la santé…
(11) Elle peut être commandée au 071 53 26 44 ou au 071 20 24 42.