Septembre 2019 Par Colette BARBIER Réflexions

Note préalable : « Cet article reflète les positions des partis politiques lors d’un débat organisé le 22 mars 2019, soit avant les élections.

Chaque enfant né à partir de 2019 doit pouvoir grandir dans un environnement sans tabac afin qu’il ne se mette pas lui-même à fumer. Pour atteindre cet objectif et aider les fumeurs dans leur sevrage, l’Alliance pour une Société sans Tabac souhaite que le prochain gouvernement adopte une série de mesures cohérentes à l’instar des autres pays européens. À cette fin, l’Alliance organisait, le 22 mars dernier, en collaboration avec AXA Belgium, un débat politique sur une société sans tabac. Elle y a détaillé les positions des partis politiques sur les mesures qu’elle propose. La question des inégalités sociales de santé a été largement abordée.

Les Belges veulent un avenir sans tabac pour leurs enfants Que décidera le prochain gouvernement ?

Détricoter et retricoter, c’est en quelque sorte ce que veut faire l’Alliance pour une Société sans Tabac en cherchant à dénormaliser le tabagisme pour créer un monde dans lequel ne pas fumer deviendra la norme. D’où sa campagne « Générations sans Tabac » lancée en 2018.

L’idée se base sur le fait que les jeunes imitent leurs aînés, le comportement tabagique se transmettant, du coup, malheureusement souvent d’une génération à l’autre. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère elle-même que la dénormalisation du tabagisme est une stratégie clé pour empêcher les jeunes de fumer.

Aussi, prenant exemple sur les pays voisins, l’Alliance pour une Société sans Tabac souhaite que le prochain gouvernement adopte un ensemble cohérent de mesures se renforçant les unes les autres. Celles-ci visent à préserver les enfants d’un premier contact avec le tabac pour prévenir le risque d’addiction tabagique et à aider les fumeurs dans leur sevrage. Nouveauté de taille mais également cohérente : ces mesures doivent être prises sans consulter ou associer d’une quelconque manière l’industrie du tabac.

14 000 décès annuels

Dans son mémorandum[1], l’Alliance pour une Société sans Tabac rappelle que le tabagisme est la première cause évitable de mortalité. En Belgique, il tue 14 000 personnes chaque année. Un fumeur sur deux décédera de sa dépendance au tabac. Un cancer sur trois est provoqué par le tabagisme. Chez nous, à l’heure actuelle, une personne sur cinq fume encore. Selon l’enquête Tabac 2017 de la Fondation contre le Cancer, le nombre de fumeurs quotidiens était de 22% en 2013 contre 17% en 2015. Le nombre total de fumeurs, quotidiens ou occasionnels, est quant à lui passé de 27% à 20%. Mais le nombre de fumeurs n’a plus diminué entre 2015 et 2017. « Nous nous efforçons de mettre un emplâtre sur une jambe de bois, déplore l’Alliance pour une Société sans Tabac.

L’industrie du tabac parvient encore à séduire de nouveaux jeunes fumeurs et à créer une dépendance. Chaque fumeur qui arrête de fumer ou qui décède est remplacé par un nouveau fumeur. Cela doit cesser ! »

Coût social colossal

Le tabac représente également un énorme coût pour la société. Une étude menée pour l’année 2012 sur « Le coût social des drogues licites et illicites en Belgique », mieux connue sous le nom d’« étude SOCOST », menée par BELSPO, la Politique scientifique fédérale, confirme que les coûts liés à la consommation de tabac sont considérables. Les coûts directs (soins de santé, dont visites chez le médecin, hospitalisations et soins ambulatoires) s’élèvent à 615 millions d’euros et les coûts indirects (notamment la baisse de productivité) atteignent jusqu’à 746 millions d’euros. À ces montants, il faut encore ajouter 12 milliards d’euros de coûts cachés (liés à la perte de longévité et de qualité de vie).

La Belgique en recul

En ratifiant la Convention-cadre pour la lutte antitabac (FCTC), la Belgique s’est expressément engagée à déployer les efforts nécessaires pour contribuer à enrayer le fléau du tabac dans le monde. « Cependant, cela reste insuffisant pour combattre l’épidémie du tabagisme : notre pays a chuté de la 13ème place en 2013 à la 17ème place en 2017 sur le Tobacco Control Scale, un classement renommé des pays européens sur la politique en matière de tabac, souligne l’Alliance. Au niveau européen, la Belgique a toutefois transposé la Directive européenne sur les Produits du Tabac (Tobacco Products Directive ou TPD) dans la législation belge mais bien du chemin reste à faire. »

Des pays comme la France, l’Irlande et les Pays-Bas montrent pourtant qu’une politique de prévention ambitieuse est non seulement possible mais qu’elle porte des fruits.

Adhésion massive de la population

« Il est très important de souligner en présence de nos représentants politiques que, selon les dernières enquêtes, 93% des Belges sont favorables à ce que nos enfants puissent évoluer dans un monde libéré du tabac, déclare Anne Boucquiau, porte-parole de l’Alliance pour une Société sans Tabac et de la Fondation contre le Cancer. Ils considèrent même que c’est un droit de l’enfant. Huit Belges sur dix souhaitent que le prochain gouvernement mette en place les mesures nécessaires pour faire de ce concept une réalité. »

Le tabac, une des principales causes des inégalités sociales de santé

On sait qu’un lien fort existe entre le tabagisme et les indicateurs socio-économiques tels que l’éducation, le revenu, le statut professionnel, etc. Ce constat, largement documenté, est partagé par l’Alliance : « Plus les conditions de vie et la situation d’une personne sont fragilisées, plus grand est le risque qu’elle fume et souffre de maladies ou décède des suites de la consommation de tabac. Les populations ayant un faible niveau de formation et les personnes à plus faibles revenus sont davantage touchées que les personnes à revenus plus élevés. »

Le 22 mars dernier, le représentant d’AXA l’a souligné dans son introduction au débat politique : « La question des inégalités sociales face au tabac reste entière car la baisse globale enregistrée depuis quelques années concerne peu les catégories sociales défavorisées. Les mesures prises comme les campagnes médiatiques qui incitent à l’arrêt, les interdictions de fumer dans certains lieux de vie (horeca, écoles, transports), l’aide téléphonique pour les candidats à l’arrêt, les trop faibles augmentations de prix de certains produits du tabac, etc. semblent inefficaces pour réduire l’écart grandissant avec les catégories plus favorisées. Pouvons-nous laisser les plus pauvres payer le prix fort de cette épidémie, au sens propre comme au sens figuré ? Ne laissons pas le tabac être un marqueur social. »

De son côté, l’Alliance considère que permettre aux personnes ayant un niveau de formation moins élevé et à celles issues des groupes défavorisés de pouvoir arrêter de fumer et de ne pas commencer, constitue l’un des défis majeurs de toute politique antitabac. « C’est pourquoi une attention particulière doit être accordée à la réduction des inégalités sociales en matière de santé. Cependant, améliorer la situation socio-économique et les conditions de vie des groupes défavorisés et des populations ayant un faible niveau de formation ne suffit pas à faire baisser la prévalence du tabagisme. Le fort pouvoir addictif du tabac, la culture familiale au sein de laquelle l’usage du tabac est transmis et la facilité pour les fumeurs débutants d’accéder au tabac dans notre pays sont autant d’autres facteurs importants à prendre en compte. Il faut donc également s’attaquer à ces causes. Les autorités politiques de notre pays doivent prendre les mesures structurelles qui s’imposent. »

L’exemple de la France, qui s’est « armée » d’un programme national de lutte contre le tabac composé d’un ensemble de mesures « cohérentes », est encourageant. « On observe pour la première fois une diminution du tabagisme et de la prévalence tabagique dans les couches défavorisées, se réjouit Stephen Lequet, directeur de Droits des Non-Fumeurs (DNF), vice-président de l’Alliance contre le tabac et de l’European Network for Smoking an Tobacco Prevention (ENSP). Les personnes les plus fragiles sur le plan économique et se trouvant dans les situations sociales les plus compliquées sont les plus impactées par la réduction du tabagisme et par tous les avantages que cela représente, y compris en termes de pouvoir d’achat. » 

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Position des partis politiques

Selon Vincent Lorant, professeur de sociologie médicale à l’UCL, trois éléments sont nécessaires pour que le changement arrive dans le domaine de la santé publique : « Une bonne définition du problème, des solutions et l’accord des responsables politiques. Nous avons défini le problème du tabagisme et le mémorandum nous apporte les solutions. »Quid de nos responsables politiques ? L’Alliance pour une Société sans Tabac a invité les partis politiques à se positionner par rapport aux mesures qu’elle préconise[2]. Neuf partis ont répondu à l’enquête : MR, cdh, PS, ecolo, open vld, CD&V, NVA, sp.a et GROEN. Tous soutiennent le principe de « Génération sans Tabac ». Le cdh, ecolo, le CD&V, la sp.a et Groen se sont montrés favorables envers toutes les mesures. Les plus réfractaires sont le PS et la NVA. Le PS s’est montré récalcitrant face aux mesures concernant la taxation des produits du tabac et à l’interdiction de vente de tabac aux moins de 18 ans. La NVA ne soutient pas six mesures, dont l’interdiction de fumer en voiture en présence d’enfants et les interdictions liées à la publicité et à la vente de produits du tabac.

Fiscalité du tabac : une mesure très efficace

Tous les spécialistes s’accordent à dire que l’augmentation des taxes est un outil très efficace pour réduire la prévalence du tabac et les inégalités de santé. L’harmonisation des taxes entre pays voisins renforce encore l’effet de la mesure, notamment parce que cela n’incite pas à aller se fournir en tabac dans le pays voisin.

« Une étude européenne menée dans sept pays montre que les fumeurs se fréquentent, raconte Vincent Lorant. Les fumeurs sont amis de fumeurs. La réponse doit donc être collective, sociale. Elle ne doit pas être individuelle. Parmi les mesures à prendre, on connait avec certitude l’efficacité des taxes. »

Cette efficacité est prouvée par de nombreuses études et confirmée dans le « rapport de l’OMS sur l’épidémie mondiale de tabagisme 2015 » : « On y apprend deux leçons majeures, rapporte Stephen Lequet. D’une part, une hausse [du prix] de moins de 10% n’a pas d’effet et, d’autre part, il faut une récurrence des hausses pour renforcer l’effet. »Or, Vincent Lorant attire l’attention sur l’ambiguïté de nos responsables politiques par rapport aux taxes. « À quoi servent-elles ? Sont-elles là d’abord pour remplir les caisses du Trésor ? Ou sont-elles là pour améliorer la santé de la population ? Sont-elles un instrument santé ou financier ? » Et le professeur de pointer le PS qui s’est montré opposé à l’harmonisation des taxes avec la France et les Pays-Bas et à la taxation du tabac à rouler au même taux que les cigarettes manufacturées.

Au cours du débat politique du 22 mars dernier, qui réunissait les représentants des neufs partis ayant participé à l’enquête de l’Alliance, l’ex porte-parole du PS, André Frédéric (PS), député à la Chambre des Représentants de Belgique et membre effectif de la Commission Santé publique, a tenu à nuancer cette opposition. « Le PS est favorable à l’objectif d’une génération zéro tabac. Mais nous émettons une opposition de principe face à l’augmentation des accises en général pour protéger le pouvoir d’achat des ménages qui sont de plus en plus en difficulté. Le PS ne s’oppose à une augmentation ciblée des accises sur la tabac et produits dérivés. »La nuance est importante car Anne Boucquiau n’a pas manqué de relever le non-sens du refus d’augmenter la taxation sur le tabac comme argument pour défendre le pouvoir d’achat.

« C’est un argument que nous, acteurs de santé publique, on ne peut pas entendre. C’est un comble en termes de santé publique quand on connait tous les problèmes financiers que le tabagisme engendre suite aux maladies qu’il provoque chez les fumeurs, mais aussi dans leur entourage, y compris chez les enfants qui présentent notamment des infections respiratoires. Avant de décéder, beaucoup de problèmes de santé vont venir grever le pouvoir d’achat des fumeurs : frais de pharmacie et santé, absentéisme au travail. Se baser uniquement sur le pouvoir d’achat, c’est vraiment dommage car c’est une vision à très court terme. Au final, bien sûr que les fumeurs y perdent financièrement. »

Malgré la frilosité du PS et de la NVA, l’optimisme semble pouvoir être de mise. En effet, les représentants du PS et de la NVA ont déclaré lors du débat ne pas être nécessairement d’accord avec la position globale de leur parti et se sont engagés à faire un plaidoyer au sein de leur propre parti. « Du coup, il y a de grands espoirs de trouver un accord de gouvernement avec une politique antitabac forte afin que le concept de « Générations sans tabac » devienne une réalité pour nos enfants, quel que soit le niveau socio-économique de leur famille», s’est réjouie Anne Boucquiau au terme du débat politique.

Deux mesures approuvées en avril dernier

Le 24 avril dernier, la Chambre des représentants a approuvé deux mesures importantes qui contribueront à faire émerger une première génération sans tabac. D’une part, l’âge légal pour acheter des produits du tabac est relevé à 18 ans au lieu de 16. Depuis le 1er janvier 2019, la Belgique était le seul pays de l’Union européenne où les jeunes de moins de 18 ans pouvaient encore acheter des cigarettes. D’autre part, l’interdiction de fumer en voiture en présence d’enfants de moins de 18 ans s’applique désormais à l’ensemble de la Belgique qui emboîte ainsi le pas à plusieurs pays européens. La Flandre a adopté il y a peu une interdiction similaire, mais pour les enfants de moins de 16 ans, alors que la Wallonie avait opté pour l’interdiction de fumer en présence d’enfants de moins de 18 ans.

Qui est l’Alliance pour une Société sans Tabac ?

L’Alliance pour une Société sans Tabac est une initiative de la Fondation contre le Cancer, Kom op tegen Kanker, de la Ligue Cardiologique Belge, du Fonds des affections respiratoires (FARES), du Service d’Étude et de Prévention du Tabagisme (SEPT), de l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH), du Vlaams Instituut Gezond Leven, de la Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding (VRGT) et de l’asbl Gezinsbond. Des dizaines d’associations médicales et d’organisations actives dans le domaine de la santé ont signé une charte[3] à travers laquelle elles s’engagent, en collaboration avec leurs membres, à faire de la première génération sans tabac une réalité.

Campagne Générations sans Tabac

Lancée en 2018 par l’Alliance pour une Société sans Tabac, la campagne « Générations sans Tabac » vise, en collaboration avec les autorités, les organisations de la société civile, les entreprises privées, les particuliers, etc., à transformer des lieux fréquentés par de nombreux enfants et jeunes en environnements sans tabac. Source : Alliance pour une Société sans Tabac, Mémorandum pour les partis politiques.


[1] Pour consulter le mémorandum de l’Alliance pour une société sans tabac :https://www.cancer.be/nouvelles/memorandum-alliance-pour-une-societe-sans-tabac

[2] Voir l’enquête.

  1. Signer et partager la Charte : www.generationssanstabac.be