Novembre 2007 Par H. REBOLLEDO B. JANSSEN Initiatives

«Je trouve que ce n’est pas spécialement intéressant d’aller dire aux gens d’arrêter.
Ils savent très bien que c’est mauvais pour la santé.»
«Ça ne sert à rien de parler d’abstinence à quelqu’un qui n’a pas envie d’arrêter.»
«Face à la rechute d’un patient, je voudrais proposer une réponse différente de la sanction.»
«Je voudrais mettre un cadre dans mes entretiens, les construire de manière concrète.»
«Pour les jeunes, ce qui compte, c’est vivre maintenant. Quand on leur dit que, dans 30 ou 40 ans, ils risquent un cancer, ça ne représente rien pour eux. Ils ne voient pas le futur, ça ne les intéresse pas.»
«Comment aider les patients à parler de leurs problèmes d’addiction?»
«Comme je suis fumeuse, je n’ai pas beaucoup d’arguments pour motiver le stop.»
«De l’écoute, toujours de l’écoute. Qu’est-ce que je peux faire en plus?»

Autant de questionnements exprimés par des intervenants qui se sentent souvent démunis face à la nécessité de «faire quelque chose» vis-à-vis des comportements à risque parmi le public qu’ils côtoient…
De quelle façon l’entretien motivationnel peut-il répondre à ces demandes de pistes d’action?
Ce modèle d’intervention thérapeutique propose une série de principes et de stratégies de communication pour aider les personnes à changer leurs comportements, notamment par rapport aux conduites d’addiction. D’abord, l’entretien motivationnel identifie plusieurs stades dans les processus de changement vis-à-vis desquels il propose des interventions précises et différenciées.
Car s’il est vrai que «ça ne sert à rien de parler d’abstinence à quelqu’un qui n’a pas envie d’arrêter», l’intervenant pourrait par exemple, dans le cas du tabagisme, essayer de faire apparaître un doute chez le fumeur satisfait. Ou bien, si le sujet commence à manifester une envie de modifier sa consommation, augmenter sa confiance en sa propre capacité de changer de comportement. Ou encore, en considérant la rechute comme faisant partie du processus, proposer des réponses qui la dédramatisent et permettent au patient de s’engager à nouveau dans le changement.
Ces éléments permettent déjà de mettre un cadre dans les entretiens, mais un cadre qui est fonction des intérêts actuels des patients, au lieu de se centrer sur des informations importantes du point de vue de l’intervenant, mais qui «ne représentent rien pour eux.»

L’esprit de l’entretien motivationnel

Pour «aider les patients à parler de leurs problèmes», les professionnels peuvent trouver, au cœur de l’entretien motivationnel, des principes de communication qui souvent vont à l’encontre de certaines pratiques traditionnelles dans le domaine de la prévention et du traitement des comportements à risque. Par exemple, vis-à-vis de personnes ayant des conduites d’addiction, il peut paraître inhabituel d’éviter l’affrontement ou de leur reconnaître la liberté de choisir.
«De l’écoute, toujours de l’écoute. Qu’est-ce que je peux faire en plus?».
Face à cette inquiétude légitime, que propose l’entretien motivationnel? D’abord, de l’écoute, oui, mais d’un certain type. Le modèle reprend un principe déjà proposé par les approches humanistes en psychologie, celui de l’écoute empathique. Cependant, comme tout le monde – ou presque – croit savoir écouter, il faut être attentif à ne pas confondre empathie et sympathie. « Percevoir avec justesse le cadre de référence interne de son interlocuteur ainsi que les raisonnements et émotions qui en résultent …[ i ] en perdant tout désir de l’évaluer ou de le juger[/ i ]», comme disait Carl Rogers , c’est un défi formidable.
Or l’entretien motivationnel nous offre des stratégies précises pour s’approcher de cette écoute empathique et nous aide à identifier les pièges les plus fréquents, comme celui de l’expert qui croit avoir les réponses et essaie d’imposer ses arguments pour le changement. Car ce qui compte finalement n’est pas l’abondance ou le manque d’arguments de l’intervenant. Le plus important est la qualité de la relation, permettant l’émergence de la motivation et du sentiment d’efficacité personnelle chez le patient afin qu’il puisse gérer ses propres changements.

Se former à l’entretien motivationnel

Le Service Prévention Tabac du FARES (Fonds des affections respiratoires) a découvert cette approche lors d’échanges avec des partenaires européens à propos de la prévention du tabagisme chez la femme enceinte. L’équipe s’est formée au Portugal pour ensuite construire une formation de base à l’entretien motivationnel, à l’intention des professionnels de santé travaillant auprès des femmes enceintes et des jeunes parents, tels que gynécologues, TMS des consultations prénatales, sages-femmes, pédiatres…
Le succès grandissant et le bouche à oreille ont fait émerger d’autres demandes. Nous avons alors créé un module de base de 3 journées pour les professionnels intéressés par la problématique de la dépendance au tabac chez leurs patients: généralistes, pneumologues, ORL, psychologues, infirmières, travaillant en milieu hospitalier ou non.
C’est ainsi que, depuis 2004, le FARES a animé pas moins de 25 groupes de formation, totalisant environ 300 personnes. Médecins et infirmières qui s’autorisent une remise en question et la recherche de stratégies alternatives viennent enrichir leur formation par des aspects liés à la psychologie du fumeur et à la dynamique thérapeutique. Car un des objectifs premiers de cette formation est bien de favoriser le questionnement de chaque participant quant à ses propres représentations et comportements vis-à-vis du fumeur et de sa consommation.
Une étape préliminaire, mais essentielle, est ainsi consacrée à des jeux et des exercices qui l’amènent à s’interroger sur son propre comportement face au tabac, sur ce qu’il ressent et ce qu’il dégage comme attitude face au fumeur. Rassurez-vous, il ne s’agit en aucun cas du jeu de la vérité au cours duquel chacun, tour à tour, est soumis à une confession publique! C’est un processus évolutif permettant d’y voir plus clair sur ce qu’on éprouve et ce qu’on en laisse paraître dans la relation thérapeutique.
«Comprendre le fumeur» est un leitmotiv pour bon nombre de participants. La présentation des étapes de changement de comportement (1) répond en partie à cette demande. Comprendre que, même si le changement de comportement – ici, l’arrêt du tabac – nous semble prioritaire, il ne l’est pas nécessairement pour le fumeur ou pas au même moment. La motivation au changement étant mouvante et dynamique, elle ne s’improvise pas d’un claquement de doigts. Le professionnel devra user de bien d’autres outils que l’injonction pour parvenir à faire évoluer le comportement de son patient…
Une fois ces pré-requis passés en revue, le participant à la formation peut progressivement se glisser dans un climat propice à une relation clinique entre partenaires, en intégrant les principes de base de la philosophie de l’entretien motivationnel (2).
Ensuite, les formateurs proposeront de s’exercer aux techniques et aux outils. Ceux-ci aident les participants à poursuivre leurs objectifs, à savoir l’émergence et la construction de la motivation au changement chez leur interlocuteur. Ici, le jeu de rôle – tant redouté en début de formation – devient un exercice qui permet à chacun de tester ses acquis et de sentir ce qui convient le mieux à son style et s’inscrit dans son contexte professionnel. Un groupe et des formateurs «soutenants» aident généralement les plus sceptiques à s’y investir.
Plus récemment, un projet-pilote, en partenariat avec le Service PSE provincial du Brabant wallon a permis d’aboutir à un nouveau module de formation dont la problématique visée est plus large. En effet, il s’agit d’un module spécifiquement adapté aux acteurs scolaires qui souhaitent favoriser une communication non-jugeante et positive avec les adolescents, dans le cadre de leur mission de prévention des comportements à risque.
L’entretien motivationnel offre aux acteurs de terrain des pistes de travail, tant lors d’échanges individuels avec le jeune qu’en animation de groupes. Tout au long de la formation, les participants sont invités à faire le lien avec leurs stratégies de promotion de la santé. Il s’agit ainsi de s’interroger sur son propre rôle face à des jeunes souvent peu demandeurs et d’adopter dans l’entretien une démarche participative visant à aider le jeune à prendre conscience de ses comportements et du sens qu’il leur donne.
Que reste-t-il de ces trois journées une fois que les participants retournent dans leur cadre de travail? Comment parviennent-ils à appliquer les techniques et outils proposés en formation? Comment peuvent-ils en faire bénéficier leurs collègues?
Autant de questions auxquelles notre service propose de répondre ensemble une à deux fois par an lors de journées d’échange d’expériences autour de l’entretien motivationnel. C’est l’occasion de faire le point sur sa pratique, de se ressourcer et de se rafraîchir la mémoire concernant cette méthodologie, mais aussi de forger de nouvelles clés pour s’évaluer et progresser vers des entretiens de plus en plus efficaces.
Vous avez envie de vous lancer dans l’aventure? Voici les informations relatives aux prochaines formations:
-journée d’échange d’expériences le 13 novembre 2007 (35€);
-journée d’échange d’expériences pour acteurs scolaires le 20 novembre 2007 (35€);
-module de base entretien motivationnel et tabac avec public cible adultes (150€) les 24, 25 janvier et 15 février 2008;
-module de base pour acteurs scolaires (150€) les 19, 26 février et 6 mars 2008;
-module de base entretien motivationnel et tabac avec public cible femmes enceintes et/ou jeunes parents (150€) les 14, 15 et 28 avril 2008.
Bérengère Janssen , Hernando Rebolledo , Service Prévention Tabac, FARES asbl
Toutes les formations se donnent au FARES, rue de la Concorde 56 à Ixelles. Plus d’info: http://www.fares.be ou berengere.janssen@fares.be. Tél.: 02 518 18 69.

(1) Cf. Prochaska, J.O. Di Clemente, C.C (1982). Transtheoretical therapy: toward a more integrative modele of change. Psychotherapy: Theory, research and Practice, 19, 276-288.
(2) Miller, W. Rollnick, S. (2006). L’entretien motivationnel . Paris: Intereditions-Dunod.