Septembre 2010 Par S. WERBROUCK Vu pour vous

L’émancipation de la femme: un accouchement difficile

En quoi la pilule a-t-elle changé la position sociale de la femme? Tel est l’un des thèmes de la série télévisée Mad Men (1), dont l’action se déroule il n’y a pas si longtemps que cela, à une époque où une femme talentueuse jouissait – dans le meilleur des cas – d’une reconnaissance ‘égale à celle d’un chien capable de jouer du piano’.
Dans le premier épisode de Mad Men , une série dramatique américaine relatant le quotidien d’une agence de publicité new yorkaise au début des années soixante, la jeune secrétaire Peggy Olson se rend chez le médecin pour se faire prescrire la pilule contraceptive. C’est sa collègue Joan qui lui a recommandé ce médecin, connu pour donner cette nouvelle forme de contraception aux femmes célibataires. À l’issue d’un bref examen médical, le médecin prescrit en effet la pilule à Peggy mais après l’avoir menacée de lui supprimer son moyen de contraception si elle venait à en abuser et après l’avoir mise en garde contre les dangers des mœurs dissolues chez les filles.
Dans Mad Men , le souci de vérité est une notion essentielle: les producteurs de la série refusent par exemple de faire appel à des acteurs ou actrices ayant subi une quelconque forme de chirurgie esthétique, ce qui est logique étant donné que ces interventions n’existaient pas encore dans les années soixante. De même, la scène entre Peggy et son médecin a beau sortir de l’imagination des scénaristes, il y a fort à parier que les jeunes filles de l’époque aient subi une véritable leçon de morale avant de se voir prescrire la pilule.
Ce premier épisode se déroule au printemps de l’année 1960. À cette époque, la pilule contraceptive n’était pas encore disponible sur le marché américain, ou du moins pas officiellement, mais la société Searle produisait déjà depuis quelques années Enovid, une pilule connue pour ses propriétés anticonceptionnelles. Toutefois, en 1957, la Food & Drug Administration (FDA – Service américain responsable de la pharmacovigilance) avait autorisé Searle à commercialiser Enovid uniquement pour traiter les problèmes graves de menstruation. L’emballage devait même comporter une mise en garde avertissant le consommateur que le produit pouvait freiner l’ovulation. Searle dut attendre le mois de mai 1960, soit quelques semaines après la visite de Peggy chez son médecin, pour être autorisée par la FDA à promouvoir Enovid en tant que contraceptif.
Avant ce fameux mois de mai 1960, les femmes qui cherchaient un médecin acceptant de leur prescrire de l’Enovid étaient principalement des jeunes filles originaires de grandes villes américaines. Elles dépendaient du bon vouloir de ces médecins, qui exerçaient bien entendu un pouvoir considérable sur leurs patientes et pouvaient à tout moment menacer celles-ci de supprimer leur prescription.
Le fait que ce soit précisément Peggy qui frappe à la porte du médecin pour obtenir la pilule n’est pas un hasard. L’un des principaux thèmes de Mad Men est en effet la position de la femme au sein de la société (américaine) au début des années soixante ainsi que l’évolution de la situation durant les Golden Sixties avec la montée du féminisme, la croissance économique et l’arrivée de la pilule.
Et personne n’incarne mieux que Peggy la femme des années soixante. Lorsqu’elle commence à travailler pour l’agence de publicité Sterling Cooper, elle occupe – comme toutes les autres collaboratrices de l’agence – une position subalterne à celle des hommes: en tant que secrétaire du directeur artistique Don Draper, elle doit tenir à jour son agenda, transférer ses appels téléphoniques et lui servir son café ou (plus fréquemment!) son whisky.
Tout comme ses collègues féminines, Peggy doit faire face à de nombreuses remarques sexistes dès son entrée en fonction. Il faut dire que, dans l’univers de Sterling Cooper, les femmes sont davantage appréciées pour leurs déhanchements que pour leurs qualités professionnelles. De même, pour les hommes de l’agence, la secrétaire est avant tout une personne sur qui ils peuvent tester leurs talents en matière de drague. Rien d’étonnant donc à ce que la citation préférée d’un des deux patrons de l’agence, Roger Sterling soit ‘ When God closes a door , he opens a dress ‘. Et lorsqu’on lui demande ce que les femmes veulent réellement dans la vie, il répond sèchement ‘ Who cares ?’.
Le sexisme ne s’arrête pas à la fin de la journée de travail chez Sterling Cooper, il est présent dans chaque aspect de la vie quotidienne. Lorsque Don Draper envoie son épouse Betty – qui se sent de plus en plus prisonnière dans son rôle de femme au foyer – consulter un psychologue, celui-ci estime qu’elle a ‘l’âge mental d’un enfant’. Il brise ensuite la relation de confiance qu’il entretenait avec sa patiente pour informer Don de tout ce que Betty lui révèle pendant les séances.
Lors de la diffusion de la première saison aux États-Unis, Mad Men a suscité de nombreuses réactions. Certains téléspectateurs estimaient que la série ne dénonçait pas suffisamment le comportement dénigrant de Sterling, Draper et des autres protagonistes masculins vis-à-vis des femmes.
Matthew Weiner , créateur et principal scénariste de la série, n’était pas d’accord sur ce point et a lui-même qualifié Mad Men de ‘série féministe’, car elle donnait une image réaliste de la vie de la femme à l’époque. ‘ Je me suis longuement entretenu avec des femmes qui s’étaient installées à New York à la fin des années cinquante pour travailler dans des bureaux ‘, expliquait Weiner il y a deux ans lors d’une interview publiée dans Knack Focus .
Toutes ont déclaré qu’elles se sentaient dépouillées de leur humanité à la fin de la journée . Une personne qui travaillait comme secrétaire à l’époque m’a dit que Mad Men rendait parfaitement l’atmosphère d’intimidation sexuelle et de dénigrement de la femme qui régnait alors . Elle m’a remercié pour avoir montré clairement comment les choses se passaient à l’époque . C’était le plus beau compliment que quelqu’un puisse me faire ‘.
Néanmoins, Mad Men n’est pas seulement une série féministe qui nous montre tout ce que les femmes devaient endurer il y a cinquante ans. Le téléspectateur y découvre également des femmes qui, malgré tous les obstacles auxquels elles doivent faire face, réussissent à aller de l’avant. Peggy en est le meilleur exemple. ‘ Bien sûr , si tu t’y prends bien , on te laissera tranquille et tu ne devras pas travailler du tout ‘, lui explique sa collègue Joan lors de son premier jour de travail. On comprend rapidement que Peggy n’est pas venue ici pour mettre le grappin sur un homme riche, mais qu’elle possède à la fois l’ambition et le talent pour gravir les échelons.
Lorsqu’on l’autorise à assister aux séances de brainstorming des rédacteurs, elle ne reste pas dans son coin les bras croisés mais donne son avis. Progressivement, son patron se rendra compte qu’elle en a dans la tête (ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle sera subitement protégée de toute forme de sexisme: après sa première trouvaille originale lors d’une campagne, un des rédacteurs dit à Draper: ‘ It was like watching a dog play the piano ‘ – C’était comme regarder un chien jouer au piano).
Peggy a beau crever le ‘plafond de verre’ chez Sterling Cooper, elle n’échappe pas aux dilemmes auxquels sont confrontées les femmes au début des années soixante. Grâce à l’invention de la pilule, elles ont pu adopter un comportement sexuel plus insouciant qu’auparavant, mais cela ne veut pas dire pour autant que la société leur reconnaissait cette liberté.
Le coffret DVD de la deuxième saison de Mad Men comprend un documentaire intitulé Birth of the Independant Woman (La naissance de la femme émancipée), dans lequel plusieurs spécialistes s’expriment sur les changements sociaux survenus à l’époque. L’un d’entre eux explique que ‘ les femmes étaient supposées opter pour des tenues sexy mais , si elles tombaient enceintes ou étaient victimes de viol , c’était leur faute , parce qu’elles avaient séduit’ les hommes ‘. Cette situation apparaît clairement dans l’une des scènes les plus choquantes de la deuxième saison: Joan, la voluptueuse responsable des secrétaires chez Sterling Cooper, est agressée par son fiancé dans le bureau de Draper, un traumatisme sur lequel elle ne reviendra jamais.
C’est cette même ambiguïté qui fait que le médecin qui prescrit la pilule à Peggy trouve nécessaire de la mettre en garde contre les risques de débauche, alors qu’il néglige de lui expliquer comment fonctionne exactement la pilule et combien de temps elle devra attendre avant qu’elle soit réellement efficace. Résultat: après une aventure d’un soir avec un collègue, Peggy tombe enceinte, elle accouche dans le plus grand secret et se voit contrainte de confier l’éducation du bébé à sa mère.
Une femme active qui soit aussi une mère, c’est sans doute trop demander dans l’univers de Mad Men .
Stefaan Werbrouck
Cet article a été publié dans le Knack Extra ’50 jaar de pil’, mars 2010, et a été traduit et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

20 ans de dépénalisation partielle de l’avortement

Si la pilule fête ses 50 ans cette année, la loi belge relative à l’interruption volontaire de grossesse a quant à elle été adoptée en avril 1990.
L’Institut Émile Vandervelde a organisé le 25 mars dernier à la Maison des parlementaires une rencontre-débat au cours de laquelle le ‘combat gagné’ fut évoqué brièvement, mais qui fut surtout consacrée au présent de cette question toujours épineuse. Claudine Mouvet , présidente du Groupe d’action des centres extra-hospitaliers pratiquant l’avortement, rappela d’ailleurs judicieusement que dans le domaine des conquêtes de l’autonomie de la femme, ‘ rien n’a été donné , tout peut être repris’ . Ce n’est sûrement pas le nouveau primat de Belgique qui la contredira!
Les chiffres sur lesquels travaille (difficilement) la Commission d’évaluation de la loi ont également été évoqués. Avec 15 IVG pour 100 naissances, ils sont plutôt bons par rapport à d’autres pays (où il peut y avoir plus de 100 IVG pour 100 naissances), mais cela n’exclut pas des motifs de préoccupation.
Ainsi, Laurette Onkelinx , Vice-première Ministre, pointa le fait que 42% des femmes concernées déclarent n’appliquer aucune contraception… Elle put se réjouir sans réserve par contre de la grande sécurité sanitaire apportée par la loi (99% des interventions se passent sans complications alors que les avortements clandestins avaient parfois des conséquences terribles pour la femme), de la rupture du sexisme qui pesait sur notre pays, et aussi de ce que la loi n’a donné que plus de valeur au désir d’enfant chez la femme.
Interpellés par des professionnels soucieux d’une meilleure épidémiologie de l’IVG, ou encore demandeurs d’aménagements du texte légal, Philippe Mahoux , sénateur et animateur du débat, fit preuve d’une grande prudence en rappelant à l’assemblée que cette loi fut votée par une majorité de circonstance très exceptionnelle, et qu’en remettant la question sur la table, les ‘progressistes’ pourraient en être pour leurs frais, les ‘réactionnaires’ n’ayant sûrement pas abdiqué toute prétention à réduire à néant cette avancée majeure de l’émancipation féminine.
Christian De Bock

Les femmes et la contraception aujourd’hui

À l’occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars dernier, la Mutualité socialiste a tenu à rappeler que la contraception représente un acquis essentiel pour la santé et la liberté des femmes. Elle dresse un certain nombre de constats issus de plusieurs études et enquêtes, dont celle qu’elle a confiée récemment à Dedicated Research (2).
Que pensent les femmes de la contraception? Comment la vivent-elles? Quels en sont les avantages, les inconvénients? Qui prend quoi?
Voici les principaux enseignements de cette enquête.
La pilule, symbole de liberté
88% des femmes pensent que la contraception a joué un rôle très important dans la libération des femmes, au même titre que l’accès au travail (84%) et le droit de vote des femmes (82%).
La notoriété, l’utilisation des moyens contraceptifs
La pilule est le moyen contraceptif le plus connu (95%), devant le stérilet (90%) et le préservatif masculin (84%). Certaines méthodes, plus récentes, sont plus connues des jeunes (notamment le patch, l’implant et le préservatif féminin). Par contre, les différentes ‘générations de pilules’ sont un concept peu connu : la majorité des femmes sous pilule ne peuvent donner la génération de celle qu’elles utilisent.
La pilule en tête
La pilule reste de loin le premier moyen contraceptif utilisé (55%, dont 78% chez les jeunes de 20 à 30 ans, 56% des femmes de 20 à 29 ans, 45% des femmes de 40 à 55 ans). 11% des femmes n’utilisent pas de moyen contraceptif. En moyenne, les femmes ont déjà essayé 2 moyens contraceptifs.
Contraception: un an de risque ?
En moyenne, les femmes ont utilisé un moyen contraceptif pour la première fois à l’âge de 17 ans et demi (15 ans et demi chez les 14-19 ans contre 18,4 ans chez les 40-55 ans). Il faut mettre en relation ces chiffres avec l’âge déclaré du premier rapport sexuel qui est de 16,6 ans chez les femmes de 15 à 29 ans (voir enquête ‘Jeunes: amour, sexe et respect’, Mutualité socialiste, décembre 2009).
Les avantages et les inconvénients
Les principaux avantages reconnus à la pilule sont la régulation du cycle féminin, le fait de ne pas avoir le stress d’une grossesse ‘surprise’, sa contribution à la liberté de la femme…
Le prix est le frein le plus important à l’utilisation d’un moyen contraceptif. 1 femme sur 2 trouve que les moyens contraceptifs sont trop chers. La contrainte de la prise journalière et les effets secondaires de la pilule arrivent en deuxième et troisième position des inconvénients cités. Notons que chez les jeunes filles (14-19 ans) ‘la peur d’en parler’ monte à 41%, elles sont également plus nombreuses (50%) à estimer que la pilule fait grossir.
Grossesses non planifiées, contraception d’urgence et avortement
59% des femmes interrogées ont déjà donné naissance à en moyenne deux enfants. Plus d’une femme interrogée sur 3 (37%) a déclaré avoir connu une grossesse non planifiée et, dans ce cas, la pilule était utilisée par 1 personne sur 3!
13% des femmes interrogées et actives sexuellement ont déjà eu recours à l’avortement, 22% à la pilule du lendemain. Pour cette dernière, la proportion monte à 40% pour les moins de 30 ans.
D’après un communiqué de la Mutualité socialiste

Les jeunes filles et leur première prescription de contraceptif

À la fin de son cursus universitaire, le futur médecin généraliste doit réaliser un travail de fin d’étude dont le sujet doit contribuer à améliorer la pratique. Depuis maintenant deux ans et demi, je travaille au sein du Collectif Contraception de Liège. Confrontée régulièrement à des grossesses non désirées chez des jeunes filles, je me suis intéressée au rôle que pouvait jouer le généraliste dans la prévention de ces grossesses. Voilà un magnifique sujet, au coeur de la prévention et de la promotion de la santé.
En Belgique, quelque 18 000 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont eu lieu en 2007. Ce chiffre reste stable d’année en année. Au Collectif Contraception, un des trois plannings familiaux de Liège réalisant des IVG, ce chiffre a été de 813. Un cinquième de ces IVG concerne des jeunes filles de moins de vingt ans. Il est clair que décider d’interrompre une grossesse n’est pas chose aisée et que ce choix laisse bien souvent de vives cicatrices psychologiques.
D’une étude au sein du Collectif Contraception, il ressort que 50% des jeunes filles demandant une IVG étaient sous pilule lors de la survenue de la grossesse non désirée. Ce constat m’a beaucoup interpellée puisqu’en tant que généraliste je rédige au minimum une ordonnance de contraceptif par jour. Dans notre pays, c’est le médecin généraliste qui est le premier prescripteur de contraceptif oral.
Une deuxième étude a été réalisée auprès d’un panel représentatif de médecins de la Province de Liège. Elle avait comme objectif de relever les habitudes et difficultés du médecin ainsi que les informations délivrées par ce dernier lors d’une première prescription de contraceptif à une jeune fille. J’ai pu constater que le médecin généraliste proposait une pilule pour débuter la contraception et que les autres moyens n’étaient expliqués que si la pilule posait des problèmes. Les informations expliquées aux patientes sont très souvent incomplètes, voire même, parfois, incorrectes.
Une troisième étude menée auprès de jeunes filles confortait ces constatations.
Ces lacunes peuvent être des causes d’échec de la contraception et aboutir à une grossesse non désirée.
Pour que mon travail puisse améliorer la pratique du médecin généraliste, j’ai rédigé un “guide de la contraception”. Il s’agit d’un petit livret, très pratique, regroupant toutes les informations qui assureront une contraception efficace. Il doit permettre au médecin généraliste de bien gérer la contraception de ses patientes en première ligne. Ce guide explique le mode d’emploi de toutes les méthodes contraceptives disponibles, leurs effets secondaires et les conseils pour effectuer un changement de contraception s’il est demandé par la patiente ou indiqué par la survenue d’effets secondaires.
La contraception est un problème qui nécessite des réponses rapidement. Un avis gynécologique, avec trois mois de délai, arrive bien souvent trop tard! Ce guide n’attend plus qu’une publication pour être utile.
Mon travail s’est donc axé sur la prévention que pouvait avoir le médecin généraliste par rapport aux grossesses adolescentes. En réalité, le problème des grossesses précoces recouvre des notions bien plus larges qu’un manque d’informations. En effet, il existe un grand nombre de mécanismes psychologiques comme les désirs de grossesse ou de maternité inconscients. Il circule aussi parmi les jeunes un grand nombre de croyances erronées sur la contraception. Sur cela, le médecin n’a que peu de prise. L’éducation des jeunes à la vie sexuelle et affective est donc primordiale puisqu’elle permet de les sensibiliser à une sexualité épanouie et sans risques.
Dr Corinne Neerdal , Prix du Centre liégeois de promotion de la santé 2009

(1) Les DVD des deux premières saisons de cette série d’une qualité exceptionnelle sont disponibles. Le statut de l’alcool et du tabac dans le milieu de l’entreprise au début des sixties tel que reproduit dans Mad Men mériterait aussi une analyse… (ndlr)
(2) L’enquête ‘Étude sur les opinions et les comportements des femmes en matière de contraception’ a été réalisée par le service marketing de La Mutualité socialiste, en collaboration avec l’institut de sondage Dedicated Research. 818 femmes francophones, âgées de 14 à 55 ans, habitant à Bruxelles et en Wallonie ont été interrogées.