Octobre 2020 Par Sarah HASSAN Initiatives

Cette période de crise sanitaire, plus que jamais, nous a démontré à quel point la solidarité était une valeur essentielle à notre société. Il est pourtant des associations qui n’ont pas attendu qu’elle soit sur le devant de la scène pour l’adopter. Le Petit Vélo Jaune, lancé en 2013 par Vinciane Gautier et Isabelle Laurent, en a fait sa ligne directrice. L’association propose un soutien bénévole aux familles en difficultés à Bruxelles. Le principe : offrir une assistance aux parents d’un enfant de moins de 3 ans afin de leur redonner une confiance parentale, parfois perdue sous des monceaux de difficultés ou cachée derrière des situations de vie diverses. Ce faisant, Le Petit Vélo Jaune peut prévenir certaines situations problématiques telles que l’épuisement parental qui dans les cas les plus extrêmes peut mener à de la négligence, voire de la maltraitance.

Parentalité fragilisée : en selle avec Le Petit Vélo Jaune

Education Santé a rencontré Pascale Staquet qui a rejoint l’équipe en 2017. « C’est une initiative qui promeut la santé à double titre, estime-t-elle, parce que ça a un effet positif sur les familles accompagnées par des bénévoles (aussi appelés coéquipiers), mais ça fait aussi du bien aux bénévoles eux-mêmesNote bas de page. Beaucoup reconnaissent que ça leur apporte vraiment du plaisir, notamment à certains moments de leur vie où ils rencontrent des passes difficiles. »

Le Petit Vélo Jaune : en pratique

Il s’agit d’offrir une aide très concrète. Les bénévoles (appelés coéquipiers) arrivent dans une famille où il y a soit une grossesse, soit un enfant de moins de trois ans, et vont aider le ou les parents dans la gestion des petites urgences quotidiennes (aller au CPAS avec la maman, chez le médecin, faire un gâteau, …) une fois par semaine durant un an (dans certains cas, cela peut être prolongé si nécessaire).En général, les familles qui en ont besoin sont dirigées vers Le Petit Vélo Jaune par l’intermédiaire de professionnels. « A l’ONE ils nous connaissent bien. Mais ça peut être aussi une maternité, un pédiatre, des psychologues, des coachs en santé mentale, des plannings familiaux… 5 à 10% des familles viennent car elles ont trouvé le site et fait la démarche de recherche. Et de plus en plus, nous voyons des familles qui viennent sur conseil d’une autre famille, d’un ou une ami.e.» Le bouche à oreille commence à faire son effet.Et pour les bénévoles, tout commence par des entretiens assez rigoureux. « Il y a deux entretiens avant de commencer. Les bénévoles nous contactent, on leur renvoie un questionnaire (assez court) pour mieux les connaître et une fois qu’ils nous le retournent, on leur propose un premier rendez-vous pour les recevoir. Là, on explique le projet, on entend à quel moment de leur vie ils sont, quelles sont leurs motivations. On évalue si on les voit bien dans la position de coéquipier, s’ils sont dans le non-jugement, si on les sent chaleureux, etc. Ensuite, si tout va bien et qu’ils sont partants pour le projet, on va alors leur donner un second rendez-vous pour tout ce qui concerne les conventions, chartes, document de confidentialité… ».L’équipe du Petit Vélo Jaune organise le “matching” qu’elle juge le plus idéal en prenant compte des besoins des parents ainsi que des préférences du ou de la bénévole. Par exemple, les communes dans lesquelles il ou elle préfère se rendre mais aussi par rapport à ses affinités, ce qu’il ou elle préfère éviter, ses centres d’intérêt, etc. Les coéquipiers reçoivent alors un petit document anonyme qui les informe des caractéristiques principales de la famille qu’on leur propose d’accompagner et ils ont alors le choix de refuser ou non. « S’ils acceptent, ils sont présentés à la famille, encadrés par ce que l’on appelle leur référent duo, détaille Pascale Staquet. »

Le référent duo

Le Petit Vélo Jaune travaille à l’image des poupées russes : les parents s’occupent de leurs enfants, les bénévoles s’occupent des parents, et les référents duo s’occupent des bénévoles. Il s’agit de personnes diplômées en psychologie, travailleuses sociales, assistantes sociales, infirmières… souvent d’anciens professionnels du secteur. Le but est d’apporter un soutien professionnel solide à l’accompagnement des bénévoles. Le référent duo offre environ 7 heures de son temps par semaine au Petit Vélo Jaune et encadre en moyenne 5 ou 6 bénévoles. C’est la personne qui présente le ou la bénévole aux parents.

Le Petit Vélo Jaune est à la recherche de nouveaux référents duo ! Si vous êtes intéressé.e, contactez-les via leur site internet https://www.petitvelojaune.be/ ou par mail à info@petitvelojaune.be

Pour aider les coéquipiers, « Le Petit Vélo Jaune fournit un document reprenant une dizaine de bulles sur ce qui peut être fait en tant que bénévole dans une famille. Ce sont des idées qu’on a présenté à la famille en leur demandant sur quoi elle souhaite que le coéquipier l’accompagne. Par exemple, si elle souhaite être soutenue pour faire des démarches administratives, si l’important est l’ écoute, de jouer avec les enfants… C’est une sorte de « photo de départ. »Les coéquipiers font parfois plusieurs accompagnements. Mais Pascale Staquet précise qu’« une bonne moitié des bénévoles fait 2 ou 3 accompagnements. Souvent, ils restent en contact avec des familles, donc ils en accompagnent rarement plus de 3.»

Être référent duo : portrait de Claudine

Par Thibault Grégoire, initialement publié sur le site http://petitvelojaune.be

Lorsque le Petit vélo jaune fut créé, en 2013, le poste de référent-duo n’existait pas. Les deux fondatrices se chargeaient de chapeauter les coéquipiers. Début 2016, débordées par le nombre croissant d’accompagnements, les coordinatrices décident de déléguer cette responsabilité et initient le rôle de référent-duo. Claudine Joye en sera la pionnière, elle qui connait parfaitement le secteur. Jusqu’il y a peu, elle œuvrait dans le domaine de l’aide à la jeunesse et plus spécifiquement dans un service de placement familial. Elle sait toute la pertinence du Petit vélo jaune : « Je suis persuadée que lorsque la décision est prise de placer un enfant en famille d’accueil, c’est souvent parce que l’on arrive trop tard. Si certains parents avaient reçu de l’aide plus tôt, s’ils avaient été accompagnés plus tôt dans leur vie de parents, par exemple depuis la grossesse, certains placements auraient peut-être pu être évités. »

Fin 2018, Claudine compte 6 accompagnements clôturés. « Ma mission est de pouvoir être disponible pour écouter et conseiller le coéquipier, et ce avec le recul nécessaire. Mais je ne dois pas non plus chercher à être trop présente, à m’imposer. Je suis là en soutien pour le coéquipier, mais je n’agis pas à sa place, un peu de la même manière que le coéquipier avec les parents. Il s’agit donc de sans cesse trouver le juste équilibre ». Bien entendu un coéquipier n’est pas l’autre. Certains sont eux-mêmes parents quand d’autres sont plus démunis en présence de nourrissons ou d’enfants en bas âge. « Je me dois de communiquer davantage avec certains quand je peux en laisser d’autres plus en roue libre. Mais de façon générale, je les appelle assez fréquemment dans les premières semaines de l’accompagnement, lorsque les questions d’ordre pratique sont nombreuses. Des coéquipiers sont moins à l’aise lors des premiers contacts, sont plus timides, ou nécessitent que je “valide” la relation qui s’installe avec la famille. Une coéquipière confrontée à de longs moments de silence me demandait récemment comment réagir… Bien sûr, je prendrai aussi souvent des nouvelles d’un coéquipier qui accompagne une famille dont je sais la situation très lourde. »

Lors de la mise en place de l’accompagnement, référent-duo, coéquipier et parent(s) se rencontrent pour définir les besoins prioritaires de l’accompagnement. Une relation conflictuelle avec un enfant difficile, de multiples factures impayées introuvables, le besoin de « vider son sac » régulièrement avec un autre adulte, les réalités sont nombreuses. Le référent-duo ne reverra la famille, en présence du coéquipier, qu’après une première période de 3 mois, sauf en cas de demande précise. « Ce bilan de trois mois est essentiel. Il est le moment de clarifier certaines choses, de mesurer si les premiers objectifs de l’accompagnement ont été atteints et quels sont les écueils éventuels, de réévaluer ces besoins et de définir de nouvelles priorités pour le reste de l’année. Je précise qu’avant toute réunion avec la famille je rencontre toujours le coéquipier seul, pour connaitre son ressenti sur l’accompagnement et sur la demande du parent. Je contacte également la famille pour connaitre son propre vécu dans la relation avec son coéquipier. »

Une troisième et dernière réunion référent-duo, parent(s) et coéquipier se fait à la clôture de l’accompagnement, après un an. Si le besoin s’en fait ressentir, une réunion préliminaire peut se tenir plus tôt, après 9 mois. « Pour ma part, j’apprécie un bilan à 9 mois car c’est l’occasion d’évoquer déjà la fin de l’accompagnement. Car oui, certains parents sont un peu paniqués de savoir que l’accompagnement va se terminer, de peur de se retrouver à nouveau seuls ou démunis. J’encourage par exemple toujours les bénévoles à laisser une trace une fois l’accompagnement terminé, que ce soit un dessin, un objet, une photo. Pour le parent, mais surtout pour les enfants. Une rupture trop brusque pour un enfant est habituellement plus difficile, surtout s’il a déjà vécu des ruptures de liens familiaux. »

Les référents-duo participent aussi à diverses réunions de coéquipiers, telles que les soirées “partage de vécus”. « Cela me permet de connaître d’autres réalités, d’autres situations, et de façon préventive à m’y préparer si je dois y être confrontée avec le binôme que je soutiens. »

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La monoparentalité et l’isolement, récurrents chez les familles accompagnées

En ce qui concerne les familles, environ 70% d’entre elles sont monoparentales. Pascale Staquet explique que les profils sont variés. « Les nationalités sont variées, et nous avons aussi bien des mamans de 20 que de 48 ans. »« Nous rencontrons beaucoup de personnes d’origine étrangère à Bruxelles, évidemment, avec une partie d’entre elles issue de l’immigration récente. Et notamment beaucoup de femmes guinéennes qui se retrouvent seules en Belgique et sont dans leur premier logement après être passées par un centre d’hébergement. Souvent, c’est la première fois qu’elles ont un logement pour elles seules et elles arrivent dans un quartier un peu par hasard mais ne connaissent rien du lieu, donc à ce moment-là le bénévole va les aider à comprendre les codes, découvrir ce qu’il y a autour d’elles dans le quartier, les assister au niveau administratif, etc. D’ailleurs, la plupart du temps, ces femmes se débrouillent extrêmement bien avec leurs bébés, elles ont tous les gestes, savent comment faire, et c’est souvent très beau de voir la manière dont elles s’occupent de leurs enfants, donc la question, la difficulté, n’est pas là. Le but sera plutôt de les aider dans leur processus d’intégration sociale. »« Ensuite, on voit des parents en difficulté parce que leur enfant a des besoins intenses, demande énormément d’attention, est très exigeant, jamais content… et peut donc épuiser complètement ses parents. » On retrouve aussi des familles avec un enfant présentant un handicap, pour qui de nombreux soins sont nécessaires, ou encore qui génère de l’inquiétude, de la peur, chez ses parents. Les difficultés viennent parfois de situations de vie des parents : séparation durant la grossesse, coup du sort tel que le décès de proches qui auraient pu aider, etc. Un facteur est néanmoins récurrent : l’isolement.

Le bénévole : un soutien pour apprendre à rouler seul.es

Bien qu’ils soient une soixantaine actuellement, le nombres de bénévoles reste inférieur à la demande de familles. C’est la raison pour laquelle l’association est constamment à la recherche de nouveaux bénévoles. Pour ce faire, l’association déploie un travail de communication important pour faire parler d’elle et pouvoir ainsi aider plus de familles. Actuellement, une grande partie des bénévoles arrivent via le bouche à oreille.Un autre volet important du projet consiste en des temps de rencontres avec les coéquipiers autour de ce qu’ils et elles vivent dans les familles. Le Petit Vélo Jaune organise des soirées durant lesquelles ils peuvent évoquer – de manière anonyme – les aspects les plus compliqués, les bons moments, comment trouver sa place au sein de la famille, mais aussi comment la quitter progressivement. Pascale Staquet précise :Mise en évidence : « A un moment, Le Petit Vélo Jaune se retire, mais souvent les liens restent. Les gens restent en contact, même si ce n’est plus tout à fait de la même façon. L’idée est que les parents puissent reprendre leur vie en main, soient autonomes et ne dépendent pas du bénévole. » Fin de mise en évidence

Faire face aux cas particuliers

La diversité des profils des familles peut amener le bénévole à se retrouver face à des parents en situation d’épuisement, de mal être physique ou mental. “Dans ce cas, nous réfléchissons avec le parent sur les difficultés qu’il rencontre et nous le soutenons pour rouvrir son réseau familial ou amical, trouver le moyen de rencontrer d’autres parents… Si nécessaire, nous cherchons avec eux les aides professionnelles qui pourraient le mieux les soutenir et elles sont nombreuses à Bruxelles”.Parfois, les parents sont déjà aidés par plusieurs services et Le Petit Vélo Jaune fait alors sa part d’aide en respectant une position bien définie. « On ne fait pas d’évaluation de ce qu’il se passe dans les familles. Si un jour on se rend compte qu’il y a une très grosse difficulté et qu’il n’y a pas d’autre service présent, alors, comme des voisins s’ils entendent un bébé qui pleure à côté, on va essayer d’intervenir. Mais vraiment de la même façon qu’un voisin, et on préviendrait le parent. ».

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2020 pour Le Petit Vélo Jaune, du printemps de la pandémie à l’été du déconfinement

Quand il est question de parentalité et d’isolement, difficile d’ignorer la période de confinement que nous venons tous de traverser, et qui frappe durement la tranche de la population à laquelle Le Petit Vélo Jaune vient en aide. A cette période, les bénévoles ont cessé de se rendre dans les familles, mais sont néanmoins restés en contact avec les parents et les enfants, souvent via Whats’app ou par téléphone. Pascale Staquet souligne la grande créativité dont les bénévoles ont fait preuve : « ils ont lu des histoires et les ont enregistrées puis envoyées aux enfants, certains sont allés amener du matériel de bricolage, d’autres ont apporté des crêpes, il y en a qui sont allés chercher des colis alimentaires parce qu’il y avait une détresse à ce niveau-là, d’autres encore allaient promener avec une maman seule avec son bébé (en tenant leurs distances, bien sûr)… ». Même si le contact à distance ne remplace pas la présence physique, il aura peut-être permis d’adoucir un peu le quotidien de ces parents.Le confinement a été suivi d’une autre période particulière pour l’association : l’été. Les organisatrices ont mis en place une aide supplémentaire et un peu différente pour la période estivale. Il s’agissait de travailler avec de jeunes bénévoles (entre 18 et 30 ans) qui n’auraient pas le temps de s’engager dans un accompagnement à l’année mais qui pourraient le faire à certains moments précis et qui auraient un rôle plutôt tourné vers l’animation, pour (r)amener le plaisir du jeu. « Tous les jeunes qui ont rempli ce rôle cet été étaient très contents en tout cas, se réjouit Pascale Staquet. »

En route vers demain !

Si pour Bruxelles, la volonté d’extension du Petit Vélo Jaune s’arrêterait autour de la centaine de familles afin de garder un projet à taille humaine, les retours et résultats positifs obtenus ont apporté aux organisatrices du projet la volonté d’essaimer. C’est-à-dire de donner envie à d’autres personnes de mettre en place des projets similaires, ailleurs en Belgique. L’idée est de collaborer avec ces futures structures, notamment en partageant leur expérience. Elles espèrent, dans un avenir proche, voir d’autres asbl indépendantes ouvrir à Gembloux, Ottignies et Nivelles.

ImageLe Petit Vélo Jaune est constamment à la recherche de bénévoles ! Si vous souhaitez vous lancer dans l’aventure : https://www.petitvelojaune.be/benevoleEt si vous aimeriez soutenir le projet mais n’avez pas le temps ou l’énergie nécessaire, vous pouvez aussi faire un don à l’association : https://www.petitvelojaune.be/nous-aider

Retrouvez les bienfaits que procure le volontariat dans notre article «Le volontariat, c’est bon pour la santé », par Avalosse H., Delvaux J., Morton J., Rimé B., Vankorenland S., Verniest R. , à l’adresse : https://educationsante.be/article/le-volontariat-cest-bon-pour-la-sante/