Janvier 2024 Par Clotilde de GASTINES Initiatives

Social, santé et alimentation cherchent la bonne recette pour transformer leurs frustrations en synergies. Fin novembre, les acteurs et actrices de Bruxelles-Capitale ont fait table commune.

Le rendez-vous promet d’être annuel. Le 30 novembre dernier, une cinquantaine d’acteurs du social, de la santé et de l’alimentation de Bruxelles-Capitale se sont réunis à l’espace CBO de Jette. Au programme : trouver des recettes pour réaliser une mission commune : améliorer l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous.  

Un homme aide à distribuer des colis dans une épicerie solidaire

Une urgence, car en Belgique, plus d’un décès sur dix est dû à la malbouffe – « l’estimation était de 11% en 2021 » rappelle Brigitte Grisar chargée de projet de la Fédération des services sociaux (FDSS), co-organisatrice de l’événement. Autres indicateurs éloquents : la moitié de la population a un tour de taille présentant un risque de maladie cardio-vasculaire, un Belge sur trois est en surpoids, 16% est obèse. 

Les trois secteurs ont longtemps fonctionné de manière cloisonnée. « Depuis cinq ans, on a noué des liens entre le social et l’alimentation. Avec la santé et la promotion de la santé, les contacts sont plus récents » explique Jonathan Peuch de FIAN Belgium, une ONG, qui défend le droit à l’alimentation et à la santé (lire sa contribution dans notre dossier de décembre 2022). 

Créer du liant 

En juin 2022, un premier événement avait permis de « briser la glace » explique Eléonore Barrelet, coordinatrice de Agroecology In Action, une des organisatrices, qui a choisi de remettre le couvert pour que les acteurs de terrain fassent plus amplement connaissance. Cette journée complète les rendez-vous de concertation plus formels qui se tiennent dans le cadre du conseil participatif Good Food – et les événements organisés par le SIPES-ULB en tant que Service support en matière d’alimentation et d’activité physique. 

« Il y a du boulot pour décloisonner car on est fort enfermé dans nos maisons médicales, témoigne une médecin généraliste de Laeken. Ce n’est pas dans notre culture de faire de la prévention. On rame à longueur de journée pour faire du curatif, car c’est la seule chose qu’on puisse facturer. Ce serait pourtant un changement de paradigme intéressant” ajoute-t-elle, d’autant que la formation Good Food, animé par Rencontre des Continents a été pour elle « une super impulsion pour envisager son activité autrement ». 

« L’objectif de la journée est de poser des balises communes, explique en préambule de cette journée Eléonore Barrelet. De former progressivement tous les acteurs de la santé et de la précarité à s’emparer des enjeux liés à l’alimentation et réciproquement ». 

Pour imaginer des solutions, infirmière en santé communautaire et maraîcher, boulangère ou assistante sociale, médecin généraliste et agent de CPAS ont échangé sur leurs pratiques et leurs actions tout au long de la journée. Etaient aussi présents, les quatre nouveaux acteurs subsidiés par le Plan bruxellois de promotion de la santé 2023-2028 : Cuisines de Quartier, FIAN Belgium, Nos Oignons et Vrac Bruxelles. Une bonne occasion de rappeler l’importance des fondamentaux du secteur. 

Hacher menu les stéréotypes 

« En promotion de la santé, on se bat contre un stéréotype qui a la peau dure, qui est de dire que les pauvres se nourrissent mal », explique Zoé Boland de la Fédération bruxelloise de promotion de la santé (FBPS), qui a pris l’initiative de publier une carte blanche dans Le Soir le 2 octobre dernier pour critiquer le report sine die du Plan Nutrition

L’insécurité alimentaire est certes liée à la capacité limitée ou incertaine pour acheter des produits de qualité – elle est d’ailleurs plus élevée dans les foyers monoparentaux – pour autant les habitudes alimentaires ne sont pas liées qu’au pouvoir d’achat. 

Les mauvaises habitudes sont largement partagées car 30% de l’alimentation des Belges provient d’aliments ultra-transformés, peu nutritifs, et souvent trop salés ou trop sucrés, qui augmentent les facteurs de risques pour la santé. « Le sentiment de solitude, qui touche deux Belges sur trois est probablement à la source de ces comportements », souligne une assistante sociale, qui constate que « quand on est seul, on a moins tendance à cuisiner ». 

Il est possible de distinguer des déterminants socio-culturels individuels. Par exemple, « au sein de la population de Bruxelles-Capitale, les adolescents sont ceux qui consomment le moins de fruits et légumes, y compris par rapport aux jeunes wallons et flamands » précise Lucille Desbouys, ancienne infirmière devenue épidémiologiste à l’Ecole de Santé Publique de l’ULB. Tandis que les personnes nées hors de l’Union Européenne ont tendance à consommer plus de fruits et légumes frais que celles qui sont nées en Belgique. 

Faciliter l’accès 

« C’est important de voir que l’inaccessibilité touche aussi les personnes qui paraissent plus favorisées » explique Mahdiya El-Ouiali, assistante sociale et chargée de promotion de la santé communautaire en maison médicale. L’analyse des déterminants permet de dénombrer de nombreuses inaccessibilités : économique, géographique, logistique -quand un logement n’est tout simplement pas équipé pour cuisiner ou maintenir des aliments au frais. 

Pour mettre en place la stratégie Good Food, le Plan Social Santé Intégré qui doit restructurer toutes les interventions à l’échelle de Bruxelles-Capitale prévoit de désigner 20 quartiers prioritaires (sur les 47) en matière d’alimentation-social-santé. Les contours sont en passe d’être définis par décret et ordonnance conjoints5.   

Des initiatives bien implantées 

Une partie de la matinée a permis de faire connaître six projets actifs sur Bruxelles qui tentent de concilier les trois pans. Parmi eux, figuraient l’épicerie solidaire Episol de Schaerbeek qui travaille beaucoup avec le CPAS et les maisons médicales, car nombreux sont les bénéficiaires qui ont des problèmes de santé. L’ADN du projet est de rompre l’isolement social de personnes très âgées ou très seules, en leur proposant des produits abordables et des colis alimentaires. L’Asbl propose aussi séances d’informations pour remédier au surendettement, ou encore des ateliers de couture ou de cuisine pour créer de la convivialité et du lien social. Depuis un an, certains bénéficiaires arrivant en fin de droit, ont la possibilité de dépenser un chèque alimentaire mensuel de 150 euros à la BEES Coop, un supermarché coopératif de la commune, qui propose des produits majoritairement bio ou locaux. 

Non, loin de là, rue Josaphat, la boulangerie associative auto-gérée “Le pain levé” propose des pains à prix variant en fonction du portefeuille.  « Nous produisons des pains nutritifs, sans additif, pauvres en sucre et en gluten et nous sensibilisons nos clients à ces qualités qui sont importantes pour la santé, quand on a du diabète notamment » explique Charlotte, une de ses boulangères.  Avec ses quatre comparses, ils et elles réfléchissent à monter un projet pérenne avec les maisons médicales qui les sollicitent déjà ponctuellement pour certains de leurs patients. La boulangerie a aussi tissé des liens avec la Maison des femmes et organise des petits-déjeuners et des matinées de “four-ouvert” pour les habitants du quartier. 

A Neder-Over-Hembeek, la ferme urbaine du Début des haricots fait quant à elle de l’insertion sociale et professionnelle, en prenant soin des aspects bien-être et santé mentale. « La plupart des apprentis sont en reconversion professionnelle, certains après un burn out, d’autres après des moments d’errance, des parcours migratoires, ou des addictions », explique Roxane Septier, chargée de projet et d’éducation permanente. 

Faire monter la sauce 

« Nous avons des chevaux de bataille communs. Nous sommes des alliés et nous avons le devoir de constituer un attelage bien solide, précise Zoé Boland. Notre rôle est de conscientiser la population pour qu’elle sache que toutes les questions liées à la santé, à l’alimentation et à la précarité sont transversales et qu’on en tient compte ». 

Cela implique de parvenir à « concilier les impératifs de chacun », précise Eléonore Barrelet. En effet, un maraîcher aura à cœur de produire des produits de qualité, et de les vendre à prix décent pour pouvoir en vivre. Une épicerie solidaire s’inquiètera que l’acheteur paie ces légumes à un prix raisonnable. Un médecin généraliste pourra plus facilement orienter un patient qui souffre de diabète vers une boulangerie qui propose des pains spéciaux. 

Cette journée avait aussi l’ambition de chercher une recette collective pour “transformer les frustrations et les colères en alliance et en synergies”.  Acteurs et actrices de terrain, malgré leur diversité, ont réalisé qu’ils et elles partagent des colères communes : le manque de moyens structurel pour mener les projets à bien, et en concevoir des nouveaux, lié au financement par projet, et aussi l’impression de devoir suppléer de façon croissante aux missions de l’Etat. La mayonnaise semble avoir pris.

Pour aller plus loin :

  • En 2024, plusieurs cycles de formation : 4 demi-journées gratuites pour les professionnels du social-santé sont coordonnées par Rencontre des Continents à l’initiative de Bruxelles Environnement