Juillet 2020 Par Stephan VAN DEN BROUCKE Réflexions

À l’heure où les virologues, les épidémiologistes, les spécialistes des systèmes de santé et les soignants, pour ne citer qu’eux, se mobilisent contre la Covid-19, on peut se demander si les promoteurs de la santé doivent ajouter leur voix aux rangs croissants de spécialistes qui veulent s’exprimer sur la manière de faire face à la pandémie. Pourtant, bien qu’à première vue, la perspective de promouvoir la santé semble bien éloignée de la gestion d’une crise sanitaire aiguë, la promotion de la santé a certainement un rôle clé à jouer pour affronter la Covid-19.

Une perspective de promotion de la santé à la réponse à la COVID-19

D’une part, la protection contre l’infection repose dans une large mesure sur un changement de comportement. En tant qu’experts des comportements liés à la santé les éducateurs de santé ne devraient donc pas rester à l’écart du débat. D’autre part, l’ampleur de la pandémie et des mesures mises en place pour la contourner rendent nécessaire que les gens reprennent le contrôle de leur santé et fassent face à ses conséquences perturbatrices. Permettre aux gens de mieux contrôler leur santé et ses déterminants est au cœur de la promotion de la santé. Par conséquent, une contribution de la promotion de la santé est souhaitable à plusieurs niveaux : en aval, en se concentrant sur le changement de comportement individuel et la gestion de la maladie ; en milieu de chaîne, par des interventions touchant les organisations et les communautés ; et en amont, en informant les politiques touchant la population.

Encourager le comportement préventif de manière efficace

Pour contenir la propagation du virus, les autorités ont tenté de renforcer le comportement protecteur des citoyens en émettant des avertissements et en imposant des restrictions légales. Ces mesures ont rencontré un succès variable. Au début de la pandémie en particulier, la réaction du public aux avertissements était souvent faible, ce qui a conduit à une perte de temps et de l’occasion de contenir efficacement la propagation de la maladie. Au plus fort de la crise, le public a suivi de plus près les recommandations, mais lorsque les mesures se sont progressivement assouplies, il y a de nouveau eu moins d’adhésion aux consignes. Pour les éducateurs de santé, ce n’est pas surprenant.

Les modèles théoriques sur lesquels ils s’appuient, comme le Health Belief Model ou la Théorie de la Motivation à la Protection, montrent depuis longtemps que modifier le comportement des gens n’est tout simplement pas aussi facile que les informer sur les risques. En général, on n’agira sur les avertissements préventifs que si l’on croit qu’on est personnellement susceptible de développer la maladie, si elle est perçue comme grave, si on estime que l’action préventive est efficace pour réduire la menace, et si on se croit capable de l’effectuer.

Dans le cas de la Covid-19, ces conditions ne sont clairement pas toujours remplies. Une personne peut ne pas se considérer en danger si elle n’était pas en contact avec des personnes contaminées ; on peut sous-estimer la gravité de la maladie quand la plupart des décès surviennent aux personnes âgées ou souffrant d’une morbidité préexistante ; ou on peut ne pas se considérer comme étant capable d’effectuer les comportements préventifs.D’autre part, la large couverture de la pandémie par les médias et la portée des mesures de prévention qui sont prises créent de l’anxiété. Alors qu’un certain niveau de préoccupation peut être un facteur qui favorise le comportement de protection, trop d’anxiété risque de provoquer une stratégie d’évitement cognitif minimisant la menace perçue, et diminuant ainsi la probabilité d’un changement de comportement. De même, les besoins d’identité sociale d’un individu en interaction avec les facteurs contextuels peuvent augmenter et atténuer le rejet effectif des preuves, un phénomène de plus en plus reconnu qui est appelé résistance à la connaissance (Klintman, 2019).Néanmoins, la modification des comportements liés à la transmission du virus reste importante pour aplanir le pic de la pandémie. S’appuyant sur des principes de changement de comportement largement acceptés (Michie et al., 2020), la transmission du coronavirus parmi la population pourrait être réduite plus efficacement :

  • en motivant les gens à adopter un comportement préventif en leur présentant une justification claire, de préférence sous la forme d’un modèle mental du processus de transmission ;
  • en créant des normes sociales qui encouragent un comportement préventif, par des campagnes ciblant l’identité des gens et en les amenant à se donner mutuellement des informations en retour;
  • en créant le bon niveau et type d’émotion en associant les avertissements sur les risques à des conseils concrets pour une action de protection ;
  • en donnant des conseils sur la manière dont les comportements à risque peuvent être remplacés par des comportements plus efficaces, plutôt que de simplement demander de les arrêter ;
  • en facilitant le comportement, par exemple en l’intégrant dans les routines existantes ou en utilisant des nudges.

L’importance de la littératie en santé

Un autre facteur à prendre en compte est le rôle de la communication et de l’information. En temps de crise, les gens demandent à être bien informés afin de pouvoir prendre des mesures préventives et faire face aux conséquences. En ce qui concerne la Covid-19, il y a une abondance d’informations. Mais pour que cette information soit utile, elle doit non seulement être disponible mais aussi comprise, acceptée et appliquée.

Les recherches sur la littératie en santé ont montré que plus d’un tiers de la population belge a des difficultés à comprendre, évaluer et utiliser les informations nécessaires à la gestion de sa santé.

Les autorités feraient bien de tenir compte de ces limitations lorsqu’elles informent le public sur la Covid-19, et adapter l’information au niveau de littératie de leur public. Orkan et al. (2020) donnent les recommandations suivantes pour tenir compte des faibles niveaux de littératie en santé lors de la communication sur le CoV-2 :

  • fournir des informations de manière compréhensible, en reconnaissant que les personnes et les groupes ayant une faible connaissance de la santé nécessitent plus d’explications ;
  • utiliser différents formats de communication tels que des animations qui expliquent le virus, la maladie, sa transmission et les mesures de protection ;
  • expliquer la situation de manière transparente et clarifier les objectifs primordiaux de manière répétée, afin de préparer les gens au fait que les interventions et les recommandations pourraient changer lorsque de nouvelles preuves arrivent et que les scénarios doivent être adaptés ;
  • communiquer de nouvelles preuves et informations sans craindre de corriger les messages et déclarations antérieurs si nécessaire ;
  • éviter les reproches, mais au contraire renforcer la responsabilité individuelle bien informée tout en faisant preuve de solidarité avec les groupes vulnérables.

Il serait aussi bon de reconnaître que la prise d’informations sur la santé est un processus cognitif actif. Pour s’informer sur le virus et les moyens de se protéger, les gens choisissent activement des sources d’information et des informations provenant de ces sources. Les théories du traitement de l’information nous apprennent que cette sélection est influencée par le contexte, les émotions et l’attention sélective, ce qui introduit des biais de sélection et fait que plus d’attention est accordée à certaines informations qu’à d’autres. De même, essayer de comprendre les informations sur le virus et juger de l’importance des mesures préventives nécessite l’activation de schémas cognitifs pour filtrer, classer et assimiler les informations et établir des connexions avec les connaissances déjà disponibles, ce qui peut à nouveau provoquer des biais.Par rapport au coronavirus, un risque supplémentaire est que de fausses informations soient consultées et prises pour la vérité. Parmi les ‘mythes’ persistants, on trouve la croyance que le virus a été fabriqué en laboratoire ou autrement, que le froid ou les sèche-mains peuvent le tuer, que les jeunes ne peuvent pas être infectés ou que les antibiotiques ou les vaccins contre la pneumonie protègent contre l’infection. Ces fausses croyances peuvent être renforcées par le faux consensus qui se crée lorsque l’information est partagée sur les médias sociaux, ce qui conduit à l’effet de ‘chambre d’écho’ ou d »illusion de vérité’, impliquant essentiellement que l’information qui est souvent répétée tend à être plus facilement considérée comme vraie. Pour contrer ces effets, certains principes de base peuvent être appliqués pour limiter la diffusion d’informations biaisées, fausses ou trompeuses, comme vérifier l’exactitude et la crédibilité des informations, vérifier la source des informations (d’où viennent-elles, qui est derrière les informations, quelle est l’intention, pourquoi ont-elles été partagées, quand ont-elles été publiées), vérifier les informations en consultant une deuxième source, consulter les membres de la famille et les professionnels de la santé de confiance pour les informations ‘douteuses’, et réfléchir à deux fois avant de partager des informations qui n’ont pas été vérifiées.

Combiner les conseils des experts avec les connaissances de la communauté

Encourager la population à adopter et maintenir des comportements protecteurs peut être plus efficace si les conseils des experts sont combinés avec les connaissances présentes dans la communauté. L’expérience de l’épidémie d’Ebola dans les pays africains montre que dans un environnement de confiance, les partenaires de la communauté peuvent aider à améliorer la compréhension des protocoles de prévention et suggérer des changements modérés qui reflètent mieux les sensibilités de la communauté sans compromettre la sécurité. Ce type d’approche peut renforcer la capacité des communautés à contrôler les facteurs qui définissent leur santé et les aider ainsi à être plus autonomes et résilientes.

Les communautés ne réagissent pas seulement à une crise en se protégeant, mais souvent aussi en faisant preuve de solidarité et de soutien mutuel. Ces expressions d’un état d’esprit positif montrent la résilience des communautés et fournissent une base solide sur laquelle s’appuyer pour les aider à faire face à une situation inhabituelle et à se réorganiser ou à reprendre le contrôle.

La promotion de la santé a une longue tradition d’aide aux organisations et aux communautés pour accroître le contrôle sur les facteurs qui définissent la santé. La Charte d’Ottawa souligne l’importance de l’action communautaire visant à créer des communautés habilitées, où les individus et les organisations mettent en œuvre leurs compétences et leurs ressources dans le cadre d’efforts collectifs pour répondre aux priorités en matière de santé et satisfaire leurs besoins respectifs. Il est important de noter que l’action communautaire s’appuie sur les forces et les capacités existantes au sein d’une communauté, afin de renforcer sa résilience. De plus, l’expérience de la promotion de la santé en termes de création d’environnements favorables peut guider les institutions dans toutes les mesures qu’elles prennent pour soutenir les personnes dans la poursuite de leurs activités professionnelles, la possibilité de maintenir les relations à distance, la possibilité de communiquer leurs sentiments d’incertitude, etc.

COVID-19 comme opportunité d’apprentissage

Si la promotion de la santé peut contribuer à relever le défi de la menace de la COVID-19, elle peut également apprendre de la crise. Tout d’abord, elle peut reconnaître que les maladies infectieuses restent une menace majeure pour la santé publique. Dans son effort pour s’éloigner d’une approche de la santé publique fortement axée sur les maladies, la promotion de la santé s’est davantage concentrée sur les problèmes de santé non transmissibles, négligeant principalement les maladies infectieuses en dehors du VIH/SIDA. Par conséquent, les professionnels de la santé publique qui s’occupent des maladies transmissibles ignorent souvent les apports de la promotion de la santé. La crise COVID-19 nous montre que les chercheurs et les praticiens de la promotion de la santé devraient s’intéresser aux maladies infectieuses et appliquer les principes et les méthodes de promotion de la santé pour aider à les combattre.La pandémie nous apprend également que la santé humaine n’est pas une question isolée. Le virus du SRAS-CoV-2 est d’origine animale, transmis à l’homme, et pourrait se propager très rapidement dans un système économique mondialisé caractérisé par des niveaux élevés d’interconnexion et de mobilité. La promotion de la santé n’a jamais accordé beaucoup d’attention aux causes zoonotiques de la santé humaine, mais la crise actuelle suggère qu’elle devrait le faire. Un bon point de départ serait d’adopter le concept de ‘santé unique’ (Atlas et al., 2010), qui reconnaît l’interconnexion entre les personnes, les animaux, les plantes et leur environnement commun, dans le but d’obtenir des résultats optimaux en matière de santé.Une troisième leçon à tirer de la pandémie COVID-19 est que la promotion de la santé ne doit pas attendre qu’une crise survienne, mais doit se préparer à y répondre rapidement. À cet effet, nous devons comprendre la façon dont les gens prennent des décisions, dont les organisations fonctionnent et dont les communautés se comportent en réaction aux situations de crise. L’analyse de la réponse aux situations de crise précédentes a mis en évidence l’importance de la cohésion sociale et de la confiance accordée au gouvernement, plutôt que simplement à la connaissance, pour faire face. Il faut donc poursuivre les recherches sur les moyens de renforcer la confiance dans les institutions publiques et de mobiliser le capital social afin de rendre les populations plus résistantes aux crises. En fin de compte, la pandémie COVID-19 nous a appris qu’il n’est pas possible de tout contrôler, et que nous devons accepter un certain degré d’incertitude. Si permettre aux gens de mieux contrôler leur santé et ses déterminants reste au cœur de la promotion de la santé, elle peut aussi aider les individus, les organisations et les communautés à contrôler cette incertitude.

Références

Atlas, R., Rubin, C., Maloy, S., Daszak, P., Colwell, R., & Hyde, B. (2010). One health—attaining optimal health for people, animals, and the environment. Microbe, 5(9), 383-389.Klintman, M. (2019). Knowledge Resistance: How we avoid Insight from Others. Manchester University Press.Michie, S., West, R., Amlôt, R. & Rubin, J. (2020) Slowing down the covid-19 outbreak: changing behaviour by understanding it. BMJ Opinion, March 11th, 2020.Okan, O., Sørensen, K. & Messer, M. (2020). COVID-19: a guide to good practice on keeping people well informed. The Conversation, March 19, 2020