Dossier

1.1. De véritables iniquités de santé

Les inégalités sociales de santé réfèrent aux disparités observées quant à l’état général de santé entre des groupes sociaux (De Koninck et al. , 2008). Les « inégalités sociales de santé » sont donc de véritables iniquités de santé (Braverman et Gruskin, 2003). En effet, les personnes de diverses couches sociales ne disposent pas d’une réelle égalité des chances pour atteindre leur niveau de santé optimal (Ridde et al. , 2007)
Les inégalités sociales de santé se distinguent des « inégalités de santé » qui ne relèvent pas de la justice sociale (les inégalités de santé entre jeunes et personnes âgées par exemple).. Les disparités observées dans l’état de santé entre les groupes sociaux sont la conséquence d’une distribution inégale et injuste des déterminants sociaux de la santé.
Cette distribution inégale et ses différentes manifestations de fragilité sociale ne sont ni naturelles, ni inévitables. Ainsi les variations des taux de mortalité et de morbidité, par rapport aux différentes situations liées à la santé dans le monde, peuvent être attribuées à l’organisation sociopolitique. (Consortium DETERMINE, 2008)

1.2. L’impact des déterminants sociaux et de la position sociale

L’utilisation du terme « inégalités sociales de santé » met en évidence l’impact des déterminants sociaux sur la santé des populations.
En Communauté française de Belgique, le concept d’inégalités sociales de santé se concrétise très clairement dans la réalité de travail de nombreux acteurs de terrain : ils y associent des déterminants sociaux qui influencent la santé des personnes et des populations qu’ils rencontrent.
Les principaux déterminants mis en évidence sont :
-liés aux ressources personnelles principalement les ressources financières, les revenus, le statut socio-économique, le niveau d’instruction ;
-d’ordre structurel : l’accès aux offres de (soins de) santé, à la culture et à un environnement matériel favorable ;
-liés à l’environnement social, à l’accès culturel aux ressources de santé.
-la société comme créatrice des inégalités sociales de santé : les déterminants ou causes énoncées sont principalement du côté macro-social.
-Les déterminants tels que les comportements à risque, l’estime de soi ou encore les compétences sociales, sont plus rarement mis en évidence.

Ces facteurs explicatifs de la santé et du bien-être sont appelés « déterminants sociaux de la santé ». (Goldberg et al. , 2002). Les inégalités sont des produits et des constructions sociales, donc de la société, de son organisation et de ses acteurs. Elles sont socialement construites :
– causes macro-sociales, économique, structurelles, … (éléments du contexte politique et socio économique et éléments qui définissent la positon sociale tels que l’accès à l’éducation) ;
– causes micro-sociales, des processus interactionnels (les démarches de cohésion sociale, les facteurs psychosociaux, les comportements,… par exemple l’accueil des étrangers aux guichets). Ainsi, la cause des causes des inégalités serait la distribution inéquitable des déterminants sociaux de la santé (REFIPS, 2009). Cependant, il est à noter que la plupart des auteurs considère que les différences de conditions de vie entre les individus ne peuvent expliquer les inégalités si elles sont considérées individuellement. Par contre, leur cumul peut créer une dégradation de l’état de santé (et du statut social). Le concept de position sociale est également central dans la compréhension des inégalités. Les conditions sociales agissent sur la santé dès le plus jeune âge et tout au long de la vie, modifiant tout autant sa qualité que sa durée. Les inégalités sociales de santé se développent, et souvent s’accentuent, tout au long du parcours de vie des individus. Elles résultent de l’interaction entre les différentes conditions quotidiennes de la vie, qui sont autant de déterminants sociaux de la santé. La position sociale est fondée à la fois sur les revenus, la scolarité, l’emploi et le prestige de la profession, ainsi que sur le genre et l’appartenance ethnique. Les trajectoires de vie et une longue exposition à la précarité sociale créent des situations persistantes de faible position sociale

1.3. Le concept de gradient social
Pourquoi parler d’inégalités sociales de santé plutôt que de pauvreté ? Les inégalités sociales de santé ne sont pas un synonyme de pauvreté, elles se distribuent selon le gradient social. C’est pourquoi, « l’ équité en général impose une juste solution à l’égard des inégalités, pas seulement pour les plus pauvres, mais pour tout le monde et à tous les niveaux » (Mooney, 1999). « Si [par nos interventions] nous ciblons seulement les 10 % les plus pauvres, nous passons à côté de l’essence du problème que sont les inégalités sociales de santé » (Marmot, 2009). Le terme « gradient » évoque un continuum, le fait que la fréquence (p.ex. d’un problème de santé) augmente régulièrement en fonction d’une caractéristique (revenu, niveau d’études, etc.). On parle de gradient social lorsque la fréquence (p. ex : d’un problème de santé) augmente régulièrement des catégories les plus favorisées vers les catégories les plus défavorisées.

Le terme de gradient social sert peu de référence aux professionnels interrogés. Il est parfois jugé comme relevant d’un débat d’experts, mais il fait cependant écho à la réalité qu’ils rencontrent sur le terrain.
Cette référence au gradient social, devrait être davantage explicitée et illustrée dans les documents de référence professionnels produits par la Communauté française

Dans les pratiques professionnelles, on rencontre plusieurs façons de qualifier la population concernée par les inégalités sociales de santé. Dans quelle mesure les concepts de « population vulnérable », « défavorisée », « précarisée » sont-ils cohérents avec une approche qui vise la réduction des inégalités sociales de santé ? Comment éviter le risque de stigmatisation lorsque l’on vise à réduire les inégalités sociales de santé ?

D’après les professionnels interrogés, le terme de « population précarisée » permet de qualifier la population en lien avec les inégalités sociales de santé. Il dessine une vision plus globale de la santé de la population, en insistant sur les personnes ayant des ressources financières insuffisantes, sans contact avec des services et structures, ayant des troubles somatiques et/ou psychiques…
Les termes de « population fragilisée » ou » vulnérable » sont moins associés aux inégalités sociales de santé et davantage mis en lien avec des difficultés personnelles d’ordre psychologique et relationnel. On a donc chez les plus démunis une double vulnérabilité : une vulnérabilité sociétale du fait de nombreuses précarités dont ils sont victimes, et une vulnérabilité sanitaire. Ces deux vulnérabilités s’influencent l’une l’autre, se cumulent, et tendent à se maintenir.
Les populations en situation de précarité ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour répondre ou faire face aux ruptures, aux incidents de vie. Soit elles n’ont pas accès aux ressources financières mais aussi sociales (cf. liens et réseaux sociaux), environnementales, culturelles, etc. Soit elles n’ont pas toujours la capacité d’utiliser les ressources existantes.
Si l’adhésion au concept d’inégalités sociales de santé semble acquise, la réduction des inégalités sociales de santé ne peut cependant se réduire à la lutte contre la pauvreté. Les autres termes échouent aussi à refléter la réalité du gradient social. La réduction des inégalités sociales de santé exige un changement de pratiques en agissant sur l’ensemble des déterminants de santé le plus tôt possible, pour éviter ou enrayer le cumul de précarités. La promotion de la santé vise cette globalité et cette précocité. La promotion de la santé s’adresse à tout le monde quelle que soit sa position relative dans l’échelle sociale (l’ensemble du gradient social) tout en prenant en compte les différences, pour que chacun, chaque groupe de population, avec ses atouts et ses difficultés, ait les compétences, les ressources et les outils pour agir sur sa santé.

Ces valeurs de référence soutiennent les pratiques des acteurs de terrain interrogés:
-avoir une vision globale et positive de la santé (dimension sociale, physique, psychique, relationnelle, environnementale…) ;
-viser une cohésion sociale ;
-combattre la stigmatisation qui touche des personnes et des populations ;
-être porteur de changement social ;
-adopter des stratégies de discrimination positive.