Par C. FONCK Dossier

J’ai découvert la revue au début de ma carrière politique en tant que députée fédérale et j’ai ainsi d’emblée fait connaissance avec la plume impertinente et positivement critique de son rédacteur en chef Christian De Bock .
Lorsque je suis devenue Ministre de la Santé du Gouvernement de la Communauté française, mon intérêt pour Education Santé a évidemment un peu changé de nature. Je suis donc contente et fière de l’investissement que la Communauté française fait dans cette revue spécialisée à l’intention des intervenants en médecine préventive et en promotion de la santé francophones que ce soit en Communauté française ou au delà.
Vous avez choisi de parler des enjeux éthiques en promotion de la santé et en santé publique pour alimenter vos réflexions.

A qui profite la promotion de la santé?

Permettez-moi d’utiliser le temps de parole qui m’est donné pour vous soumettre quelques réflexions et questions, qui s’inscrivent, me semble-t-il, dans le champ élargi de vos travaux de ce matin.
Je suis bien consciente d’alimenter un débat qui ne pourra être réouvert ici mais je suis sûre que dans d’autres lieux, sous d’autres formes, vous pourrez le reprendre.
Comme vous sans doute, je suis souvent perplexe en face de l’organisation de la santé dans notre état fédéral.
Et cette perplexité me pousse à poser la question fondamentale de la validité, de la pertinence, de l’intérêt de l’intervention politique en matière de santé publique lorsqu’elle émane d’une entité comme la Communauté française, dont les moyens financiers et le champ d’intervention sont limités. Question d’autant plus pertinente si l’esprit perplexe qui est le mien constate que in fine et dans l’absolu, les résultats des actions préventives et de promotion de la santé, entre guillemets, «profiteront» à d’autres niveaux de pouvoir.
Vous allez me dire, voilà un discours bien curieux dans la bouche d’une Ministre du Gouvernement de la Communauté française. Et pourtant, je pense que cette question doit être posée et que c’est le bon moment pour le faire.
Au sein de la Communauté française, la santé est une petite compétence, qui dispose d’un budget peu important comparé aux autres matières. Ce budget est de quelque 32 millions d’euros, dont la moitié est consacrée aux services PSE (1).
Avec un budget de 16 millions, la promotion de la santé et la médecine préventive sont vraiment les petits poucets de la Communauté française.
A titre de comparaison, le budget consacré à l’enseignement obligatoire est de quelques 4 000 millions d’euros sur un budget de la Communauté française qui pèse au total 7 000 millions.
Et si on le compare au budget des dépenses de l’INAMI, (17,3 milliards), le budget de la promotion de la santé et de la médecine préventive ne vaut pas même 1/1000e…

Des priorités renforcées

Le secteur de la santé en Communauté française souffre aussi d’un manque de reconnaissance et de visibilité, même si un certain nombre d’initiatives sont reconnues.
Le diagnostic que j’ai très vite établi, après avoir écouté un certain nombre de personnes de référence au sein du secteur, est la nécessité de définir un nombre limité de priorités de santé publique. Cette procédure de priorisation est en cours actuellement à travers les programmes opérationnels communautaires (les POC).
Les 6 priorités qui ont été retenues sont les suivantes:
-prévention cardiovasculaire;
-prévention des cancers;
-prévention du sida;
-prévention de la tuberculose;
-prévention des traumatismes;
-promotion de la vaccination.
Il faut ajouter à ces 6 priorités une 7e, les assuétudes, qui font l’objet d’une approche spécifique commune entre la Communauté française, la Région wallonne et la Cocof de la Région de Bruxelles-Capitale.

Il faut plus de transversalité

Outre cette priorisation, je trouve qu’il est important de sortir le secteur de son mode de fonctionnement et de subventionnement en enveloppes fermées spécifiques à la Communauté française. C’est pourquoi, il me semble nécessaire, même si cela est compliqué, d’inscrire nos démarches de santé publique dans des processus transversaux qui intègrent les différents niveaux de compétence.
Dans le cadre de deux projets de médecine préventive, cette articulation s’organise plus ou moins bien: je pense au dépistage du cancer du sein ou au programme de vaccination, pour lesquels un accord de coopération prévoit un financement conjoint par l’INAMI et les entités fédérées.
D’autres projets sont en cours, le processus est long et administrativement compliqué, mais il faut s’y attacher.
La transversalité doit également s’appliquer à la Gouvernance. Ainsi, en collaboration avec mes collègues du Gouvernement wallon, Christiane Vienne , et de l’Exécutif de la Cocof, Benoît Cerexhe , j’ai mis en place comme indiqué plus haut un groupe d’experts chargé de présenter un programme commun aux trois entités en matière de prévention et de prise en charge des problèmes d’assuétudes.
Plus spécifiquement, dans le cadre des compétences qui sont les miennes, je travaille aussi à la valorisation des transversalités entre les trois secteurs dont j’ai la responsabilité, à savoir l’enfance, l’aide à la jeunesse et la santé.
Ainsi, je travaille actuellement sur la communication du carnet de l’enfant de l’ONE au service PSE afin que les données de santé de l’enfant le suivent tout au long de son évolution.
Dans le cadre des projets de prévention en matière d’aide à la jeunesse, un certain nombre d’AMO s’inscrivent dans des projets de prévention transversaux où des promoteurs de projets santé travaillent ensemble avec des éducateurs et des enseignants en vue d’améliorer le bien-être des jeunes à l’école.
Et il faut aussi parler des collaborations transfrontalières qui permettent également de donner plus d’espace aux initiatives de la Communauté française.
Toutes ces actions transversales paraissent évidentes quand je vous les énonce ainsi, et pourtant je peux vous dire que cela n’est pas simple du tout, parce que, notamment au sein des secteurs de la Communauté française, et a fortiori dans les secteurs extérieurs à la Communauté, les modes de fonctionnement sont spécifiques et pas nécessairement compatibles. Des professionnels qui se côtoient, ce n’est pas la même chose que des professionnels qui travaillent ensemble au même projet!

Je faisais référence à la plume impertinente de Christian De Bock en début d’exposé, cela m’autorise à être un peu provocante pour terminer.
En effet, je voudrais profiter de ma présence parmi vous pour vous inviter à une réflexion sur les conditions de mise en place de partenariats privé-public.
Je sais que cette réflexion que j’ai déjà mise sur la table, en d’autres lieux, provoque sinon des réactions négatives, du moins des réflexions parmi vous.
Compte tenu des contraintes que j’ai évoquées voici quelques secondes, je pense que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de diaboliser et de rejeter d’emblée et à tout jamais ces collaborations potentielles.
Ces partenariats peuvent donner une autre dimension aux actions menées en Communauté française, ils peuvent être un soutien important au développement de projets, ils apportent un intérêt pour chacune des parties. Evidemment ce type de collaboration doit s’inscrire dans une valorisation de l’associatif dont les projets et actions précèdent bien souvent le politique et offrent une réponse concrète aux besoins des gens.
Les partenariats privé-public doivent effectivement être balisés afin qu’éthique et qualité restent les maîtres mots. C’est la raison pour laquelle j’en appelle à la réflexion et à l’ouverture. L’idée est lancée, l’intérêt du partenariat souligné, je suis ouverte aux propositions, aux idées!
Toutes ces réflexions sur la nécessité de repousser les limites de l’action politique en santé ont évidemment une dimension éthique importante. J’en appelle à la vigilance, mais aussi à la créativité et à l’imagination pour donner aux acteurs de la santé en Communauté française une réelle reconnaissance.
Catherine Fonck , Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé
Intervention lue le 10 juin 2005 par Bernadette Lambrechts , chef de Cabinet de Catherine Fonck
(1) Voir C. De Bock et D. Lebailly, ‘Les dépenses de santé de la Communauté française en 2004’ , Education Santé n° 203, pp. 12 à 14.