En 1432, l’autorité civile, représentée par le Chancelier du Duc de Brabant, se plaint vivement auprès du Recteur de l’Université de Louvain «des nombreux abus commis par les étudiants: ceux-ci s’adonnent à la boisson et parcourent les rues pendant la nuit, faisant du tapage et molestant les habitants» .
La consommation d’alcool en milieu étudiant ne date pas d’hier. Ceci dit, avant d’agir, il s’agit de connaître, dans le détail, la situation sur le terrain. L’UCL a ainsi diligenté 8 études parallèles sur le sujet et interrogé près de 7000 étudiants. L’objectif? Approfondir la connaissance et la compréhension de la consommation d’alcool parmi les étudiants afin d’affiner les actions existantes et de mettre en place de nouvelles mesures concrètes de sensibilisation. Une manière de balayer les idées reçues et d’enrayer les conséquences, souvent néfastes, d’une consommation d’alcool exagérée.
8 études de terrain
En 2009, huit mémorants de l’UCL ont mené, sous la houlette de Vincent Lorant, professeur à l’Institut de recherche santé et société de l’UCL, 8 études visant à connaître l’ampleur de la consommation d’alcool chez les étudiants de l’UCL, déterminer les conséquences de cette consommation d’alcool, identifier les facteurs de risque liés à cette consommation et mettre en place des mesures de conscientisation ciblées.
Ils ont, pour ce faire, interrogé 6992 étudiants, via le web, sur base volontaire et via un questionnaire précis. L’ensemble des données récoltées ont ensuite été minutieusement analysées, par l’équipe du professeur Lorant, les acteurs de terrain (Univers santé, le Service d’aide aux étudiants et le service des logements de l’UCL) ainsi que par le Vice-recteur aux affaires étudiantes, Didier Lambert .
Profil du consommateur d’alcool
Sur les 6992 étudiants interrogés, un peu plus d’1 étudiant sur 8 boit au moins 4 fois par semaine, avec une consommation de 11 verres hebdomadaires. 1 étudiant sur 4 pratique le binge drinking 1 fois par semaine. Ceux qui habitent à Louvain-la-Neuve boivent davantage que ceux qui résident chez leurs parents. Celui qui boit le plus? Un étudiant de sexe masculin, âgé de 18 à 20 ans, résidant en kot et participant activement au folklore étudiant.
Enfin, la consommation d’alcool est la plus forte entre le Bac 1 et le Bac 2, elle diminue ensuite.
Impact d’une forte consommation d’alcool sur la santé des étudiants
Premier constat, la majorité des étudiants interrogés ( 8 sur 10 ) ne mentionne aucune conséquence négative consécutive à une forte consommation d’alcool . Lorsqu’il y en a, elles concernent principalement le travail de l’étudiant (66% ont été amenés à brosser un cours, 37% se sentaient incapables d’étudier à cause de l’alcool) ou des relations sexuelles non protégées ou regrettées (10 à 12%).
Deuxième constat, l’impact néfaste du binge drinking sur la santé. Pierre Maurage , professeur UCL, a établi que ce mode de consommation extrême provoque des dommages durables sur certaines cellules cérébrales. À consommation égale, ces conséquences cérébrales sont beaucoup plus importantes chez les binge drinkers que chez les buveurs quotidiens ayant une forte consommation d’alcool.
Troisième constat, l’étude révèle une corrélation significative et négative entre consommation d’alcool et performances académiques: plus la consommation d’alcool augmente, plus les performances académiques sont faibles (grade académique final). Le lien le plus fort est observé entre la fréquence du binge drinking et l’échec en fin d’année académique.
Alcool = bon moyen de socialisation pour les étudiants
Les étudiants associent davantage la consommation d’alcool à des effets positifs plutôt que négatifs. Selon eux, elle renforce la socialisation et la relaxation.
Boire pour être dans la norme
Parmi les résultats inédits de cette enquête, il faut noter une exagération de la perception que les étudiants ont de la consommation d’alcool de leurs congénères. Avec pour conséquence une tendance à boire plus, pour «faire comme les autres». Concrètement, les étudiants surestiment systématiquement la consommation des autres: de 2 verres par jour chez les garçons et de 3 chez les filles.
État des lieux
L’UCL a publié récemment une brochure de synthèse des données récoltées en son sein sur cette problématique depuis deux ou trois ans.
‘L’alcool en milieu étudiant – études, actions et perspectives’ propose en quarante pages des informations précises sur la consommation d’alcool par les étudiants (ampleur et profil de la consommation, conséquences, facteurs de risque sociaux, alcool et institution universitaire). Le cadre académique et les actions éducatives entreprises pour gérer cette question sont également abordées, sans oublier de donner la parole aux premiers concernés, les étudiants eux-mêmes.
Ce document est issu d’un partenariat entre le Vice-rectorat aux affaires étudiantes, le Service des logements, le Service d’aide et Univers santé. Il peut être obtenu sur simple demande à Univers santé, Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 28 28. Courriel: univers-sante@uclouvain.be. Internet: http://www.univers-sante.be . La brochure y est téléchargeable (1,4 Mb).
Autre indication, le réseau social a une influence sur la consommation d’alcool. L’enquête indique une plus grande consommation d’alcool chez les étudiants ingénieurs qu’en psycho. Deux facteurs permettent d’expliquer ce constat: les ingénieurs rassemblent un public majoritairement masculin (82%) tandis que la psycho attire 90% de filles. Egalement, les cours pratiques sont plus nombreux en ingénieur (ce qui favorise les liens sociaux), contre une majorité de cours en grands auditoires en psycho. Conclusion: plus l’auditoire est grand (donc avec peu de contacts sociaux) et majoritairement féminin (norme plus stricte en matière de consommation d’alcool), moins la consommation sera importante. À l’inverse, avec un public à forte tendance masculine et des liens sociaux étroits, la consommation d’alcool sera élevée.
Les pré-soirées accentuent la consommation d’alcool
Les pré-soirées constituent un phénomène nouveau: elles attirent surtout les jeunes étudiants (18 à 21 ans), avec pour objectif la convivialité et la socialisation. Elles permettent également d’atteindre les conditions mentales requises pour participer aux soirées, davantage perçues comme des lieux de défoulement. L’imprégnation qui résulte de ces pré-soirées explique les dérives qui peuvent avoir lieu en soirées.
Vie en kot, consommation plus importante
Les étudiants kotteurs (64%) développent une consommation moyenne d’alcool beaucoup plus élevée que ceux qui résident chez leurs parents (a fortiori s’ils sont rattachés à un cercle ou une régionale). La raison? Une vie sociale hyper développée, la fréquence des pré-soirées et des normes très permissives en termes de consommation puisqu’elles sont établies par le groupe lui-même. Autre constat: la consommation moyenne croît avec le nombre de cokoteurs.
Impact de l’alcool sur les nuisances urbaines
Contrairement aux idées reçues, il n’y pas plus de plaintes pour nuisances à Louvain-la-Neuve qu’ailleurs en Belgique. Plus étonnant encore, les plaintes proviennent principalement des étudiants eux-mêmes, dérangés par leurs congénères fêtards et non pas des habitants.
Mesures mises en place par l’UCL
Depuis de nombreuses années, l’UCL met en place diverses mesures de prévention pour éviter les excès liés à l’abus d’alcool: formations, campagnes de sensibilisation, groupes de discussion entre autorités et étudiants ou sanctions.
Mesures actuelles
Les formations augmentent chaque année, suite aux demandes croissantes des étudiants. L’ensemble des responsables de l’animation (cercles, régionales, kots à projet) reçoivent, en début d’année, une formation obligatoire de 2 jours. Une 2e formation de « rappel » est organisée en janvier. Elles visent à rappeler les lois, règlements communaux et chartes internes à l’UCL en vigueur. Elles donnent aussi les outils nécessaires à la bonne organisation des activités: gestion d’équipe, gestion de conflits ou d’accidents…
Une nouvelle formation voit le jour cette année, à l’attention des responsables de baptêmes. Elle a pour objectif de bien préciser avec les étudiants le cadre dans lequel l’organisation des baptêmes permet d’atteindre ses objectifs d’accueil et d’initiation des jeunes: rappel du cadre, du protocole, des conditions pour une fête moins risquée. Des outils en matière de santé et de gestion des relations seront diligentés.
Deux nouveaux outils d’information et de prévention
Il s’agit de supports visant à sensibiliser et responsabiliser les jeunes et les adultes qui les entourent quant à leur consommation d’alcool. Ils ont été réalisés dans le cadre d’un projet d’iDA asbl (information sur les drogues et l’alcool), coordonné par la FEDITO Bruxelles, en collaboration avec Univers santé et avec le soutien du Fonds fédéral de lutte contre les assuétudes.
En lien avec les objectifs du Fonds, ce projet vise à rappeler la législation en vigueur en matière de vente d’alcool et à soutenir les professionnels chargés de l’appliquer. Depuis le 10 décembre 2009, en effet, toute vente d’alcool est interdite aux moins de 16 ans et celle d’alcools forts aux moins de 18 ans.
Cette information sur le cadre légal en vigueur constitue aussi une opportunité de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de boire pour s’amuser et faire la fête. Et lorsqu’on choisit de boire, on peut aussi bien réussir sa soirée (ou ne pas la rater…) en consommant de manière responsable. C’est pourquoi dispenser des conseils visant à réduire les risques en cas de consommation d’alcool fait également partie des objectifs de ce projet.
‘ L’effectomètre . Alcool ou pas : comment réussir sa soirée ? ’ : il s’agit de l’adaptation d’une brochure développée à l’origine dans le cadre de la campagne ‘Top gars’, destinée aux étudiants de l’UCL. Cette réédition vise à toucher un public plus large (notamment plus jeune) dans d’autres contextes que les fêtes estudiantines. Utilisé avec un animateur ou un enseignant, cet ‘effectomètre’ constitue un outil didactique adapté pour aborder la question de l’alcool, le cadre légal, la gradation des risques en fonction de la consommation, les limites, etc.
‘ Ne commençons pas trop tôt’ : cette affiche est destinée avant tout à rappeler la législation en vigueur et à aider les commerçants et les responsables de débits de boisson à mieux l’appréhender.
Bien entendu, ces outils ne suffiront pas à eux seuls à prévenir des consommations inappropriées chez certains jeunes, mais ils pourront contribuer à informer, responsabiliser et à mieux faire prendre conscience des limites et des risques liés à ces consommations.
Pour obtenir ces documents : info@ida-fr.be ou 02 514 12 60.
Tout au long de l’année, la formation «Vas’y pro» propose des modules tels que le Brevet européen de premiers secours (BEPS), la gestion d’événement, la communication non violente, etc.
Campagnes outils de sensibilisation : l’action «vivre ensemble» vise à instaurer une meilleure communication au sein des kots; des affiches sont apposées dans les cercles pour informer et sensibiliser les étudiants sur les conséquences de l’abus d’alcool; Univers santé met à disposition de tous des fiches info santé; enfin, la campagne «Top gars» incite les guindailleurs à être responsables.
Charte Aune (Animation UNiversitaire Étudiante): cette charte lie les représentants de l’animation étudiante aux autorités de l’UCL et vise à maintenir une animation de qualité, favorisant l’organisation d’activités diversifiées, accessibles à tous. Elle fixe les horaires et les dates des activités, précise les modalités relatives à la mise en conformité de sécurité des salles et règlemente l’organisation de toutes activités extraordinaires.
Protocole et commission des baptêmes : le protocole définit les principes et règles afin de garantir un baptême décent. La commission est chargée d’examiner les programmes de baptêmes.
Logements UCL : lors de la rénovation ou de la construction de nouveaux kots, l’UCL diminue le nombre de lits au sein d’un même kot (de 12 places, les kots communautaires sont aujourd’hui passés à 4 ou 6 lits maximum).
Gardiennage UCL : l’université organise des rondes de surveillance lors de chaque activité étudiante, dans un souci de prévention.
Sanctions : elles sont de deux types: individuelles et collectives. Au niveau individuel, cela va du simple avertissement à l’exclusion (lorsqu’il y a violence, dégradation, etc.); au niveau collectif, cela va du simple avertissement à l’amende ou la fermeture d’un cercle (non-respect de la charte Aune, etc.).
Pistes possibles
Pour que ces pistes fonctionnent, il est primordial de développer une stratégie globale et cohérente, avec l’ensemble des acteurs: UCL, Ville, étudiants, milieu académique, commerçants, autorités publiques, enseignement secondaire, etc. En voici quelques-unes:
-réduire le rôle de l’alcool dans la socialisation ou la détente par des moyens alternatifs ;
– agir sur les effets des réseaux sociaux , notamment via les personnages centraux ayant une influence sur les autres;
– influencer les normes , via des réglementations et/ou une meilleure information sur la consommation réelle d’un étudiant moyen. Une solution, qui existe déjà aux États-Unis, serait la création d’un site web permettant à l’étudiant d’encoder sa consommation d’alcool afin de se situer par rapport à la norme . Un tel site contribue également à rappeler les risques liés à la consommation de l’internaute et les solutions pour y remédier ou diminuer cette consommation;
-jouer sur la disponibilité de l’alcool, soit restreindre son accès à tous;
-instaurer une meilleure communication au sein du milieu étudiant afin de diminuer les nuisances urbaines: conscientiser les étudiants sur l’impact de leurs attitudes festives sur leurs semblables.
Les autorités de l’UCL comptent réactualiser les données de l’étude tous les trois ans afin d’adapter les mesures de sensibilisation à la réalité du terrain.