La Mutualité socialiste et ses asbl développent leurs actions en fonction des problématiques particulières rencontrées par des groupes d’individus spécifiques. Il est incontestable que la sexualité est un domaine qui touche particulièrement les jeunes, il renvoie au bien-être de manière générale mais il touche aussi aux MST ainsi qu’aux grossesses non désirées.
Afin de coller au mieux aux préoccupations d’un public par essence hétérogène, la Mutualité socialiste lance chaque année une vaste enquête auprès des 15-24 ans. L’année dernière, l’étude a traité plus particulièrement du rapport à la pornographie.
Constats
La pornographie n’est pas un phénomène marginal. Elle touche les ados dès leur plus jeune âge:
– seuls 16% des mineurs d’âge échappent aux images pornographiques;
– près d’un jeune sur 3 regarde des images pornographiques au moins une fois par mois;
– 8% des jeunes déclarent avoir vu leurs premières images pornographiques avant l’âge de 11 ans (17% avant 13 ans).
Bien que la consommation de pornographie ne soit pas toujours liée à un plaisir ou un souhait, les jeunes sont relativement peu nombreux à considérer qu’elle a un effet négatif:
– plus de 15 % des jeunes filles déclarent avoir été quasi obligées de regarder des images pornographiques;
– 32% des jeunes considèrent que la pornographie a des effets positifs sur leur sexualité, pour 8% qui déclarent que les effets sont négatifs.
Les jeunes ont une image négative de la pornographie qu’ils jugent plutôt dégradante, dégoûtante, violente et dénuée de tendresse:
– si les consommateurs réguliers (au moins une fois par semaine) jugent la pornographie comme un peu plus excitante que les consommateurs occasionnels, ils en soulignent tout autant le caractère dégradant, violent et dégoûtant;
– avec une cote de 3,7 sur 10, ‘relaxant’ est le terme qui correspond le moins à la pornographie pour les jeunes;
– ‘dégradant’ est le terme qui définit le mieux la pornographie. Il obtient en moyenne un score de 6,5 sur 10.
La majorité des jeunes condamnent l’absence de protection contre les MST dans l’industrie porno.
Les garçons sont 3 fois plus nombreux que les filles à penser qu’acteur / actrice porno est un beau métier.
– 70% des jeunes déclarent que les acteurs porno devraient porter des préservatifs;
– 6,8 % des jeunes déclarent que les acteurs porno ne doivent pas utiliser de préservatifs;
– 17% des garçons pensent qu’acteur porno est un beau métier, seuls 5% des filles pensent qu’actrice porno est un beau métier.
Les actions de la Mutualité socialiste
Les résultats de cette enquête nous enseignent combien la Mutualité socialiste a raison d’investir dans des actions de promotion de la santé en matière de sexualité. Voici pour rappel ses 3 principales actions.
Safekit
Durant tout l’été, la Mutualité socialiste va à la rencontre des jeunes pour les sensibiliser à la protection contre les MST, via la distribution de préservatifs.
http://www.ifeelgood.be
Ce site contient une mine d’informations concernant les sujets qui touchent les jeunes (l’amour, la sexualité, la société, les drogues, l’équilibre, le bien-être…). Il a été enrichi par un dossier traitant de la pornographie ainsi que par un espace de dialogue dédié au sujet sur son forum.
Planning
La Fédération des centres de planning familial met à la disposition des jeunes un lieu de rencontre et d’accueil où ils peuvent s’informer et être aidés par des professionnels. De plus, la FCPF organise des animations sur tous les sujets concernant la vie sexuelle et affective.
Les Commentaires des Femmes prévoyantes à propos de l’enquête
Les centres de planning accueillent toutes sortes de questions et celles relatives à la pornographie y sont évidemment les bienvenues. Les centres ne souhaitent pas diaboliser ou stigmatiser les consommateurs de matériel pornographique mais veulent plutôt réaffirmer l’importance du respect des partenaires et d’une vie affective et sexuelle épanouissante.
Nous aborderons ici plusieurs points: dimension sociétale du phénomène, réalité et pornographie, pornographie et protection ainsi que les relations égalitaires dans la sexualité adolescente.
Un phénomène social non marginal
L’enquête réalisée par la Mutualité socialiste permet de montrer que les jeunes sont en contact régulier avec la pornographie. Ces images font partie de leur quotidien, de leur monde visuel et parfois très tôt, puisque certains jeunes dans l’enquête situent leur première vision d’images pornographiques vers 11 ans.
D’autres enquêtes (1) confirment à la fois l’exposition assez courante des ados à la pornographie (80 % des garçons et 45 % des filles de 14 à 18 ans ont vu au moins un film pornographique dans l’année précédant l’enquête) et l’âge précoce de cette exposition. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel français réalise en outre le même constat via son étude de médiamétrie au travers de l’utilisation de Canal Plus (2) révélant qu’environ 11 % des enfants de 4 à 11 ans ont déjà été exposés à un film X au moins une minute.
La pornographie (images, sites pornos, mails, films…) fait donc partie de la vie des jeunes et devient de moins en moins taboue. Ce phénomène s’inscrit également dans une ère d’érotisation et d’hypersexualisation (3) dans la société. Tout est ‘sexe’, tout est désir, tout est érotisé: les voitures, le sport, les appareils ménagers, les aliments, les vêtements… tout doit être plaisir et jouissance.
L’épanouissement par une vie sexuelle libérée, riche, diversifiée, active, multiforme se trouve au sommet de la nouvelle pyramide des besoins générée par le monde médiatique (4). La sexualité (satisfaisante) occupe une place importante – voire sacrée – et est devenue une norme, presque une obligation, véhiculée largement par les médias et par la société dans son ensemble.
Parler du porno, c’est donc aussi relier ce phénomène à la société qui le ‘produit’, c’est-à-dire celle qui glorifie la jouissance et la liberté sexuelle totale. En effet, le porno est un phénomène éminemment sociétal et non un épiphénomène rare et isolé, lié à la pratique de quelques individus.
Ajoutons qu’aujourd’hui, la pornographie devient un sujet banalisé (5) n’étant plus lié à une honte ou à une culpabilité. La visibilité du monde de la pornographie, notamment via Internet, accentue encore ce phénomène de diffusion large et d’acception sociale.
Ne pas diaboliser la pornographie, en parler!
Loin de nous l’idée de condamner ou de diaboliser les consommateurs et la pornographie. Entre les moralistes qui luttent de manière acharnée contre le phénomène via une démarche frisant parfois le puritanisme et les libertaires prêts à affirmer haut et fort que ‘tout est permis’, nous souhaitons nous situer davantage dans la perspective d’une troisième voie, celle du dialogue.
Le message délivré par nos centres est très clair: la vie sexuelle a de multiples facettes, il n’y a pas de comportements ‘prédéfinis’ à suivre, chacun(e) est libre de ses actes (6), de ses envies mais nous voudrions simplement rappeler que le respect de chaque partenaire est une valeur fondamentale ne pouvant être bafouée au nom d’une pseudo ‘liberté sexuelle’.
Les images et le réel
Les jeunes interrogés ont confié parfois croire que les pratiques sexuelles montrées dans les films pornographiques étaient représentatives de la réalité. Cela n’est pas étonnant.
D’une part, la pornographie propose des modèles sexuels stéréotypés et des rôles définis pour les hommes et les femmes, nous y reviendrons. D’autre part, l’attrait des images et leur force est également un aspect important du phénomène. En effet, de nombreux théoriciens des médias ont montré que les images étaient souvent perçues par le spectateur comme bien plus réelles que le réel lui-même.
Face à une image ou un film, l’individu se trouve en effet comme étant ‘tout percevant’ (7): il ressent beaucoup de sensations, d’émotions, fortement et sans la barrière du réel, puisque c’est lui-même qui produit le sens de l’image et crée son existence en la regardant. L’image lui «appartient», l’image est sienne, il n’y a pas d’altérité. Cette position du spectateur rappelle assez bien celle du sommeil et du rêve, provoquant souvent une impression de réalité décuplée (8). La barrière du réel – de la complexité inhérente à la réalité – inexistante car sublimée par l’image, le spectateur peut ainsi éprouver le sentiment que ce qu’il voit est la réalité la plus exacte possible.
Ainsi dans les films pornographiques, les actes sexuels s’enchaînent à l’infini, les positions sexuelles sont variées et représentent de vrais défis de souplesse. Les pratiques ‘hard’ (double pénétration, fisting…) semblent ‘naturelles’ et sans douleur. Les hommes sont toujours en érection et les femmes n’arrêtent pas de jouir. Ces situations relèvent pourtant davantage des fantasmes des producteurs que de situations réellement ‘expérimentables’ – et agréables – pour le commun des mortels.
C’est pourquoi il est fondamental d’expliquer aux jeunes ce qu’est la pornographie, c’est-à-dire une production imaginaire d’un être humain qui met en scène ses propres fantasmes. Et pas une caméra cachée ou un documentaire de la vie sexuelle humaine sur le quotidien de ‘messieurs et mesdames tout le monde’.
Il faut donc, avec les jeunes, impérativement démonter les fausses réalités, les fausses évidences et parler avec eux de ce qui leur paraît réaliste ou non. Il faut sortir de l’attrait de l’image, donc de l’imaginaire et des fantasmes, afin de démonter les stéréotypes et de parler de la sexualité réelle. Sans toutefois leur interdire de rêver, de fantasmer, car cela fait aussi partie d’une vie affective et sexuelle épanouie.
Pornographie et protection sida/MST
Dans l’enquête, les jeunes ont précisé qu’ils souhaiteraient que les acteurs et les actrices pornos se protègent grâce au préservatif. Il nous semblait intéressant de souligner ce résultat. En effet, la pornographie, servant malheureusement trop souvent d’éducation sexuelle, peut amener les jeunes à ne plus prendre en compte les dangers du sida et des MST. Les rapports sexuels dans le porno sont souvent montrés sans protection contre ces maladies. Lors d’une enquête en 2005, 15% des jeunes interrogés avaient estimé que la pornographie pouvait avoir une influence négative contre la protection MST et Sida (9). Les centres tiennent à rappeler que la seule façon d’être complètement protégé contre les MST (et le sida) et la grossesse non-désirée est la règle des ‘2P’: pilule et préservatif.
Liberté et rôles prisons…
La problématique de la pornographie est souvent liée à celle de la liberté. Où commence et s’arrête celle des uns et celle des autres? Il nous semble important de préciser que la liberté de chacun(e) doit s’exprimer dans le respect de chacun(e). Ainsi, il n’y a pas à juger la pornographie ou la diaboliser mais il y a aussi à écouter les personnes que cela interroge, que cela heurte, et surtout, à réaffirmer qu’elle ne sera jamais un moyen d’éducation sexuelle positif.
Car c’est là que réside le danger, non dans l’existence de la pornographie, mais dans le rôle qu’on lui fait – malgré elle peut-être – jouer. L’éducation à la vie affective et sexuelle dans des relations égalitaires épanouissantes ne peut s’effectuer à travers le visionnage d’actes sexuels pornographiques stéréotypés à l’extrême. La sexualité est bien plus que ce à quoi la réduit la pornographie. Et c’est cela dont il faut faire prendre conscience aux jeunes.
Notre enquête récente (10) a pu montrer que les jeunes avaient assez bien intégré les stéréotypes de ‘genre’ – le sexe social et les valeurs y étant associées – dans leur vie affective et sexuelle. Ainsi, il ressortait de l’enquête que les garçons ressentaient une pression sociale forte quant au fait de devoir être performants et toujours ‘demandeurs’ du rapport sexuel, ne pouvant pas le refuser même si un élément les dérangeait. En effet, 1 garçon sur 2 disait ne pas pouvoir refuser un rapport avec une contraception ne lui convenant pas et 1 sur 5 affirmait ne pas pouvoir refuser une pratique sexuelle dérangeante. Globalement, 40 % des garçons exprimaient se sentir ‘obligés’ au premier rapport sexuel par de nombreux éléments (amis, ‘faire comme tout le monde’…).
Dans le monde de la pornographie, les hommes sont en effet montrés comme des ‘bêtes de sexe’ devant à tout prix être performants. Ils doivent accomplir ce que Michèle Marzano appelle leur ‘devoir d’homme’: faire jouir les filles et jouir en permanence dans une ambiance de domination et d’humiliation. En ce sens, la pornographie ne fait que « reproduire les normes traditionnelles de la virilité » (11).
En parallèle, les femmes doivent être ‘disponibles’, toujours prêtes à satisfaire les envies des hommes. Lorsque l’on croise cette donnée au fait que les filles expriment une certaine timidité (12) de parler de leurs envies, de leurs préférences sexuelles, cette attitude de ‘retrait’ dans l’affirmation de soi prend tout son sens dans la perspective de rôles sociaux sexués inégalitaires.
L’important, pour vivre une vie sexuelle épanouie, ce n’est pas de s’aimer obligatoirement mais c’est surtout de se respecter, de manière égalitaire, ce que la pornographie n’a pas beaucoup tendance à montrer…
En guise de conclusion: une question privée…
Les stéréotypes ne sont pas dangereux tant qu’ils ne sont pas pris pour la réalité. Il est donc important de rappeler aux jeunes que la pornographie n’est pas un outil d’éducation sexuelle malgré ce qu’ils pensent parfois. Il est également important de leur ouvrir les yeux sur le fait que la pornographie est loin de constituer ce que certains nomment l’apogée de la liberté sexuelle. Bien au contraire. Plutôt que d’ouvrir des horizons nouveaux, elle enferme l’homme et la femme dans un modèle sexuel inégalitaire ultra restrictif et codifié. Comme si le plaisir était cloisonné à l’intérieur de ces seules pratiques… Rien n’est plus faux, heureusement.
La sexualité est quelque chose d’intime et de propre à chaque individu, et c’est le rôle des centres d’amener chacun et chacune à vivre sa vie affective et sexuelle de la manière la plus épanouissante, sans modèle préconçu et dans le respect de tous.
Enfin, nous souhaitons rappeler que les centres de planning sont ouverts à toutes les questions liées à la vie sexuelle et affective. Leur objectif est de fournir un espace de dialogue et d’information sur la contraception, les grossesses désirées ou non, les M.S.T. (maladies sexuellement transmissibles), etc.
Les professionnels des centres (médecins, psychologues, assistants sociaux, juristes) sont à la disposition de toute personne, quel que soit son âge, son sexe, qui cherche des informations dans le domaine de la vie relationnelle, affective et de la parenté responsable.
Mais surtout, les centres de planning familial des F.P.S. constituent, avant tout, des lieux d’accueil chaleureux, garants de la confidentialité, où chacun peut trouver un soutien, une aide.
Outre leur priorité d’information et de sensibilisation des jeunes, les CPF souhaitent également rencontrer un public le plus large possible notamment par des animations diverses (violence, sexualité, ménopause, prostitution, citoyenneté, drogue, etc.). Dans ce cadre, la thématique de la pornographie peut être abordée avec les jeunes et ils peuvent en discuter librement.
Frédérique Herbigniaux , Chargée d’études et de projets, Femmes Prévoyantes Socialistes
Coordinatrice de la Fédération des centres de planning des FPS: Xénia Maszowez, 02 515 04 89. Courriel: xenia.maszowez@mutsoc.be
Site de la Fédération: [L]www.femmesprevoyantes.be/cpf[/L]
Site des FPS: [L]www.femmesprevoyantes.be[/L]
Structuration du secteur planning familial
Il existe actuellement en Communauté française 97 centres de planning familial, agréés et subsidiés par les Régions (28 en Région bruxelloise et 69 en Région wallonne).
La plupart de ces centres sont regroupés au sein de 4 fédérations:
La Fédération laïque de centre de planning familial (FLCPF) . Cette fédération se définit comme étant «laïque, féministe et de gauche».
La Fédération des centres de planning et de consultation (FCPC) . D’inspiration chrétienne, cette fédération a pour objectif premier la promotion de la consultation conjugale.
La Fédération des centres pluralistes familiaux (FCPPF) . Créée à l’instigation des milieux chrétiens et laïques, cette fédération a des liens très étroits avec la Ligue des Familles.
La Fédération des centres de planning familial des Femmes Prévoyantes Socialistes (FCPF-FPS) . Elle a pour objectif de garantir le droit à un accès égal à l’information et aux services disponibles en matière de contraception, d’interruption volontaire de grossesse et plus globalement en matière d’éducation affective, relationnelle et sexuelle.
(1) Par exemple, l’enquête ESPAD 2003 (European School Survey on Alcohol and other Drugs) , Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, France, 2003.
(2) CSA-Enquête Médiamétrie,2005 (11 % des enfants de 4 à 11 ans ont déjà été exposés à un film X).
(3) BOUCHARD P., BOUCHARD N., BOILY I, La sexualisation précoce des filles, Montréal, éd. Sisyphe, 2005.
(4) Voir notamment à ce sujet MARZANO M., ROZIER C., Alice au pays du porno: Ados, leurs nouveaux imaginaires sexuels , éd. Ramsay, Paris, 2005.
(5) Un des indicateurs de ce phénomène est la présence récurrente des acteurs et actrices de films pornographiques dans des émissions de divertissement destinées au grand public.
(6) Dans la limite de la légalité, bien évidemment.
(7) Meunier, J.P. et Peraya, D,. Introduction aux théories de la communication. Analyse sémio-pragmatique de la communication médiatique (2e édition revue et augmentée), Ed. De Boeck, Bruxelles, 2004.
(8) Voir par exemple à ce sujet TISSERON S., Psychanalyse de l’image, des premiers traits au virtuel , Paris, Ed. Dunod, 1995.
(9) Les méthodes contraceptives chez les jeunes , enquête menée auprès des 13-21 ans, Fédération des centres de planning familial des FPS, Bruxelles, 2005.
(10) L’affirmation de soi dans les relations amoureuses et affectives chez les jeunes , Fédération des centres de planning familial des FPS, Bruxelles, 2006.
(11) MARZANO M., ROZIER C., op.cit.
(12) L’affirmation de soi dans les relations amoureuses et affectives chez les jeunes, op.cit