La récente présidence belge de l’Union européenne m’a donné l’occasion de mettre en chantier avec mes collègues des autres Communautés -la Communauté flamande et la Communauté germanophone- une des problématiques que nous considérons comme prioritaire depuis plusieurs années.
En effet, comme Ministre de la Santé, j’ai souhaité faire de la prise en compte des inégalités en matière de santé une priorité impérieuse de la politique de Promotion de la santé de la Communauté française. Cette dimension est clairement exprimée dans le programme quinquennal de Promotion de la santé et dans ma déclaration de politique de santé.
Pourquoi retenir cette priorité?
Quelque définition que l’on donne de la santé (on sait bien aujourd’hui qu’on ne peut la réduire à l’absence de maladies), c’est bien d’un droit qui s’applique à tous qu’il s’agit. Or, d’évidence, tout le monde n’est pas égal devant la santé, en terme de qualité de vie et de bien-être.
Un souci d’équité et de justice sociale est donc certainement un élément fondamental de ce choix. En la matière, ce sont les valeurs qui doivent guider les choix de société et les politiques.
Parmi ces facteurs qui déterminent de façon significative la santé, la précarité sociale, socio-économique est un des facteurs, si pas le facteur déterminant.
Les Rencontres européennes sur l’approche communautaire de la santé et les inégalités sociales nous ont fourni l’occasion d’envisager quelle définition on peut donner à la précarité socio-économique, ainsi que la corrélation avec d’autres facteurs comme le niveau d’éducation ou l’environnement culturel.
Le constat ne souffre plus de discussion. Il est confirmé par plusieurs études récentes. Ainsi, les inégalités sociales face à la santé apparaissent dans la plupart des domaines abordés par L’enquête de santé par interview , réalisée dans notre pays pour la première fois en 1997, et répétée l’an dernier (les résultats sont attendus pour l’automne 2002).
Les personnes défavorisées adoptent plus souvent des comportements néfastes pour leur santé: plus grande consommation de tabac et d’alcool, alimentation moins saine, moins d’activités physiques de loisir…
Les politiques de prévention sont assez égalitaires en matière de vaccination mais le sont moins lorsqu’il s’agit de prévenir des complications cardio-vasculaires ou de dépister un cancer. A l’égard du sida (connaissance des modes de contamination et de protection, pratique du test), les inégalités sociales sont beaucoup plus inquiétantes.
Ces inégalités ont une conséquence sur l’état de santé général. Dans les groupes aux niveaux de revenu et d’instruction faibles, les gens s’estiment en moins bonne santé, formulent plus de plaintes de santé, sont plus souvent dépressifs et sont plus souvent limités dans leurs activités suite à des maladies ou accidents. Par contre, on ne compte pas plus d’affections chroniques au sein de ces groupes.
Ces différences ne semblent pas avoir d’importantes conséquences directes sur la consommation de soins. On observe peu d’inégalités en ce qui concerne la fréquentation d’un généraliste et d’un spécialiste. La consommation de médicaments ne présente pas non plus de grandes différences sociales, si ce n’est pour les médicaments non prescrits qui sont bien plus utilisés par les gens privilégiés. L’accès aux soins dentaires est par contre nettement plus lié à l’appartenance sociale.
Plusieurs auteurs (Evans, Renaud) affirment que si l’on veut améliorer l’état de santé de nos populations, il s’agit d’investir massivement dans l’amélioration des conditions sociales des populations les moins favorisées.
A la suite de cela, plusieurs institutions en Europe ont développé une réflexion, puis plus récemment publié des résolutions ou des recommandations en cette matière.
Ainsi, la Commission européenne propose un nouveau plan communautaire de santé publique qui intègre la notion de déterminants de santé et notamment les déterminants sociaux, qui en appelle à davantage de transversalité dans les programmes et invite à mobiliser l’ensemble des compétences des Traités pour s’engager dans la réduction des inégalités en matière de santé.
L’OMS Région Europe vient également d’adopter à Madrid en septembre dernier des résolutions visant à ce que les Etats membres se mobilisent activement dans ce même but.
Comme on le voit, notre initiative ne s’inscrit évidemment pas dans un terrain vierge.
Comment mettre en œuvre une politique de réduction des inégalités en santé?
La promotion de la santé est un processus qui permet à l’individu et aux collectivités d’agir sur les facteurs déterminants de la santé et par là d’améliorer celle ci en privilégiant l’engagement de la population dans une prise en charge collective et solidaire de la vie quotidienne, alliant choix personnel et responsabilité sociale. Elle vise à améliorer le bien-être de la population en mobilisant de façon concertée l’ensemble des politiques publiques.
On dit qu’au royaume des aveugles, le borgne est roi: à trop vouloir dépister, diagnostiquer et traiter, on finit par oublier que la santé n’est pas l’affaire exclusive des professionnels de soins ni d’un seul Ministère. A trop vouloir responsabiliser les individus quant à leur mode de vie personnel, on finit par oublier que ces modes de vie sont eux-mêmes largement déterminés par l’environnement social, économique et culturel!
Une des dimensions de notre travail sera donc bien de restaurer les responsabilités des différents secteurs et acteurs de la vie sociale par rapport à l’impact des inégalités sociales en matière de santé. Comment décideurs politiques, professionnels de la santé et acteurs de terrain, personnes et collectivités concernées par ce problème peuvent-ils s’emparer de cette question? Quelle réponse sont-ils en mesure d’y apporter? Comment les démarches des uns et des autres se complètent ou s’interpellent-elles, voire se contestent-elles?
Un premier accent des journées européennes fut celui d’une appréhension assez globale des mécanismes et réalités des inégalités sociales en santé . Les questions suivantes ont été abordées: quels indicateurs paraissent devoir être retenus? Quelles conclusions peut-on tirer des programmes de recherche en la matière? Comment repositionner le champ de la santé dans celui du développement social? Quels sont les leviers du changement social?
La seconde polarité , sans doute la plus spécifique de ce colloque , fut celle du terrain et de l’action communautaire .
Elle représente un angle de vue et un type de stratégie d’intervention sur l’environnement social et politique parmi d’autres.
Cette dimension a été développée au cours d’échanges entre des promoteurs de programmes qui, à travers l’Europe, cherchent à travailler à la réduction des inégalités en matière de santé à travers des actions de développement communautaire. Ces programmes ont été analysés sous quatre facettes:
-la participation du public précarisé comme acteur. Comment aller à sa rencontre?
-la définition des problèmes (le diagnostic ). Comment en percevoir l’expression complexe?
-qui sont les acteurs de la pièce? Comment s’organise la gestion des temps, des pouvoirs, des rapports de force? Quelle pertinence pour le travail intersectoriel ou le travail en réseau?
-la formation des professionnels, des populations et du monde politique à un transfert du pouvoir d’agir. Quel rapport avec les modes de représentations socioculturelles de la précarité de la santé?
On se trouve là à des niveaux de grande proximité par rapport aux lieux d’émergence des problèmes, où la participation des publics concernés peut être envisagée dans l’analyse des situations, dans l’élaboration des solutions ou dans le constat de carences, ou encore dans la nécessité d’interpellation et dans l’évaluation de cette démarche.
Il y a là des laboratoires de développement social et de démocratie participative qui me paraissent devoir être explorés par une expérimentation réelle. Quelle efficacité et quelle pertinence pour les démarches communautaires et locales? Quelle capacité de retisser du lien social et quel impact positif sur la santé? Quel risque d’étouffer (si l’action communautaire est interprétée sur le mode de la rustine sociale) ou quelle possibilité de soutenir des dynamiques de changement social?
C’est en osant la participation citoyenne qu’on pourra en estimer les capacités. C’est en donnant du pouvoir et de la capacité d’agir qu’on pourra estimer la possibilité pour les individus et les collectivités, en particulier, les publics précarisés, de devenir acteurs de leur santé.
Le « penser global, agir local » est entré dans les slogans de l’actualité. Il me semble que l’équation devrait pouvoir se lire de façon dialectique et dans les deux sens. Il y a à reconnaître d’une part la qualité de la pensée locale – et la contribution majeure qu’elle peut représenter dans la compréhension des problématiques – et d’autre part la nécessité globale d’agir, par exemple en mobilisant transversalement les compétences interministérielles autour de la précarité. Ou, autre exemple, en transposant des moyens du secteur curatif vers celui de la promotion de la santé et de la prévention.
Les deux priorités de la Communauté française
Pour ma part, je compte bien consolider un travail en réseau en Communauté française, articulé avec les initiatives européennes. Cette articulation se fera tant au niveau des expériences de terrain sur le plan communautaire qu’au niveau du développement du plan communautaire européen de santé publique. Je continuerai également de travailler à des procédures d’interpellations trans-sectorielles.
La Communauté française insiste en particulier sur les deux points suivants.
La mise en œuvre des programmes de santé publique proposés par la Direction générale de la Santé publique de la Commission européenne. Cette dernière établira ainsi un nouveau programme d’action communautaire qui veillera à agir sur les déterminants de la santé grâce à la prévention et la promotion de la santé. Ce programme veillera à avoir recours à tous les pouvoirs du Traité dans ce domaine.
La Communauté française, via son Programme quinquennal , vise de la même façon à améliorer le bien-être de la population en mobilisant de façon concertée l’ensemble des politiques publiques.
L’engagement dans la réduction des inégalités en matière de santé peut se manifester:
-par des politiques positives favorisant la solidarité au sein de la population, l’intégration sociale des personnes âgées ou handicapées, etc.;
-par des mesures visant à réduire les inégalités en matière de santé entre différents groupes de population ou à lutter contre l’exclusion sociale.
La valorisation du rôle de la promotion de la santé dans le traitement des inégalités en matière de santé par la surveillance. Cela peut se traduire concrètement en:
-développant des directives pour la collecte des données et en établissant une coordination au niveau européen;
-encourageant les législations qui viennent soutenir le programme de réduction des inégalités dont les objectifs sont décidés aux niveaux local et national;
-favorisant le développement communautaire par l’identification et l’utilisation des approches de développement communautaire pour mettre en œuvre localement les cibles nationales de santé;
-soutenant l’évaluation par la diffusion des modèles de «bonne pratique» d’approches méthodologiques et de méthodes d’évaluation pour s’attaquer aux inégalités en matière de santé;
-en créant et soutenant des occasions de partager l’information par le biais de réseaux et autres moyens au niveau local, national et européen.
Un fameux chantier en perspective!
Nicole Maréchal , Ministre de la Santé de la Communauté française Wallonie-Bruxelles
Adresse de l’auteur: rue Belliard 9-13, 1040 Bruxelles.