Le mardi 29 octobre dernier, nous avions le plaisir de recevoir à Bruxelles Alain Douiller, auteur l’an dernier de l’excellent ouvrage ’25 techniques d’animation pour promouvoir la santé’.
Le public a répondu présent en masse à l’invitation du FARES, de l’asbl Question Santé et d’ Éducation Santé, qui ont pris depuis quelques années la bonne habitude d’inviter en Belgique les auteurs d’ouvrages francophones récents de référence en matière de promotion de la santé et de santé publique (1).
Animer, pour quoi faire ?
Le matin, un atelier de 2h30 a réuni une vingtaine de personnes autour de la place des actions de proximité et des animations dans le contexte actuel de travail des associations. La modératrice, discrète et efficace comme toujours, Bernadette Taeymans, avait invité auparavant les participants à se poser quelques questions existentielles : des actions de proximité, des animations en promotion de la santé, pour quoi faire ? Pour quels objectifs ? Entre éducation, changements de comportements, transferts de savoirs, participation active, émancipation citoyenne, qu’en est-il de nos discours et de nos pratiques ? Quel écart observons-nous entre nos attentes de professionnels et la réalité du terrain ? Y a-t-il encore un public pour des démarches d’éducation permanente ? L’animation ne serait-elle pas l’outil dévalorisé des pauvres et des enfants ? À l’heure du triomphe de Facebook et Twitter, des applis pour téléphones portables, n’est-ce pas la fin des animations ? (2) Ne sont-elles pas ringardes, ne sentent-elles pas la naphtaline ?
La plupart des participants pouvaient encore témoigner de la pertinence des démarches d’animation aujourd’hui, soulignant l’importance des outils collectifs d’’empowerment’ dans un environnement dominé par l’individualisme et l’isolement.
Commentant ces témoignages, notre invité, Alain Douiller releva que le concept de promotion de la santé semble mieux intégré en Fédération Wallonie-Bruxelles qu’en France. Les mots n’étant pas anodins, ce n’est sans doute pas un hasard si le décret ‘promotion santé’ belge de 1997 s’inscrit résolument dans la continuité de la charte d’Ottawa et si a contrario lorsqu’il s’est agi de modifier les statuts du Comité français d’éducation pour la santé en 2002, l’appellation Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) fut choisie, sans référence explicite à la promotion de la santé.
Mais ne nous réjouissons pas trop vite, il ajouta que nous rencontrons sans doute la même difficulté en Belgique et en France à faire coïncider nos actions et les valeurs qui les sous-tendent.
S’il était possible de tirer un enseignement de ces échanges matinaux, ce serait de mettre en évidence les vertus de l’ ‘intelligence collective’, source d’un certain art de vivre et de travailler dans un contexte pourtant compliqué.
Du maréchal à Marisol
Salle comble l’après-midi, avec un public encore plus féminin si possible que le matin, pour une conférence en trois temps.
Alain Douiller nous retraça rapidement son parcours professionnel de sociologue atteint très tôt par le démon de l’écriture, qu’il met au service de la promotion de la santé depuis de nombreuses années. Les lecteurs belges de ‘La Santé de l’homme’ (aujourd’hui ‘Santé en action’ ) ne peuvent l’ignorer. Il en fut d’ailleurs le rédacteur en chef de 1998 à 2001. Depuis quelques mois, il est rédacteur associé de la revue ‘Santé publique’ , qui a pour ambition d’embrasser à l’avenir un champ plus large que la seule épidémiologie mâtinée d’un peu d’éducation pour la santé. Une recrue de choix pour la Société française de santé publique, donc.
Nous faisant un bref historique de la promotion de la santé en France, il nous rappela que la revue phare du secteur démarra en… 1942, en pleine occupation donc. La volonté d’inculquer de bonnes habitudes sanitaires était sans doute en phase avec l’idéologie du temps, à laquelle nous devons aussi la fête des mères…
Je vous passe les détails de l’historique français pour partager le regard qu’Alain Douiller porte aujourd’hui sur le secteur.
En positif, une remarquable professionnalisation depuis l’époque pas si lointaine de l’activisme militant est à mettre au crédit de la promotion de la santé. C’est d’ailleurs vrai chez nous aussi, grâce aux excellentes formations dispensées par les universités et les hautes écoles de notre Communauté.
En négatif, malheureusement, une précarisation progressive des structures associatives de la promotion de la santé, une dislocation des liens avec l’INPES, un manque total de cohérence politique, entre des discours affirmant à tout bout de champ le caractère essentiel de ce qui se passe en amont de la maladie et des budgets quasi entièrement dévorés par la médecine réparatrice.
La reconnaissance institutionnelle est faible, la promotion de la santé n’est pas inscrite dans la loi, certaines équipes ont même rencontré des difficultés financières majeures et dû déposer leur bilan récemment.
Même si le contexte institutionnel est différent, cette situation dramatique, le plus souvent ignorée chez nous, résonnait douloureusement à nos oreilles… L’actuelle ministre française des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, témoigne d’une volonté politique un peu plus rassurante pour l’avenir, espérons…
CODES et CLPS
Alain Douiller est non seulement un journaliste de santé publique, mais aussi directeur du Comité départemental d’éducation pour la santé du Vaucluse, basé à Avignon. Sa description des missions, du mode de financement, du fonctionnement de cette structure décentralisée ne pouvait manquer d’intéresser les travailleurs des centres locaux de promotion de la santé présents dans la salle.
C’était l’occasion de se livrer au petit jeu des comparaisons, pas nécessairement défavorables pour nous, la dotation des CLPS par la Fédération Wallonie-Bruxelles n’ayant pas à rougir en regard des moyens alloués par les pouvoirs publics français aux comités départementaux.
Couteau suisse ou livre de recettes ?
Il était venu pour cela, Alain Douiller termina donc son exposé par une présentation de la démarche à l’origine des ’25 techniques d’animation pour promouvoir la santé’, publié en 2012 chez un petit éditeur militant, Le Coudrier, qui mérite un coup de chapeau au passage.
Ni couteau suisse, ni livre de recettes donc, car, l’auteur nous l’a bien rappelé, il est essentiel de donner un sens à l’animation, et de choisir le bon outil pour le bon contexte et le bon public. Il le rappelait par ailleurs lors d’une université d’été à Besançon, «les techniques d’animation ne sont jamais une fin en soi, elles doivent rester des moyens d’atteindre des objectifs» .
Il nous rappela aussi combien il est opportun de communiquer, d’écrire sur la promotion de la santé, car notre secteur souffre d’un déficit chronique de ‘faire savoir’ là où son ‘savoir-faire’ est incontestable. Jugement que nous partageons aussi à Éducation Santé : à côté des projets que notre mensuel peut valoriser, combien d’initiatives passionnantes restent dans l’ombre faute de temps, d’envie, de capacité technique à les populariser de la part de leurs promoteurs ?
Dans l’ouvrage, les techniques d’animation sont organisées en fonction des objectifs que s’assignent les animateurs : on n’emploiera pas les mêmes outils pour instaurer une dynamique de groupe, pour mieux connaître un groupe, ses besoins, ses attentes, ou pour construire un projet avec un groupe. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant !
Cerise sur le gâteau, il termina son intervention par une brève description de 5 techniques qui lui tiennent à cœur : la présentation croisée, le photolangage®, le ciné santé, le jeu des enveloppes et le scénario catastrophe. Si ces mots ne vous disent rien, une seule solution : vous procurer d’urgence le livre !
Le livre n’est pas facile à trouver en Belgique. Il nous en reste encore quelques exemplaires à votre disposition au prix de 31,5 euros frais d’envoi compris. Si vous êtes intéressés, vous pouvez adresser votre commande à education.sante@mc.be.
25 techniques d’animation pour promouvoir la santé, Alain Douiller et coll., Éd. Le Coudrier, 2012. 196 pages.
(1) Sans oublier l’APES-ULg, qui nous avait permis d’apprécier la grande générosité du regretté Bernard Goudet .
(2) Sur les dérives ‘déshumanisantes’ de notre époque, lire ‘Accélération. Une critique sociale du temps’, d’ Hartmut Rosa, paru en 2011 chez La Découverte. Ce philosophe allemand déclarait récemment au Nouvel Observateur que l’omniprésence des écrans «est un appauvrissement terrible de notre relation aux autres et au monde» . À méditer…