Avril 2008 Par P. MULLIE Initiatives

Sur 100 personnes qui entament un régime amaigrissant, à peine 10 s’y tiendront encore au bout d’un an. D’après le professeur américain Marion Nestle, une des raisons de cet échec est à imputer aux principes de l’économie de marché: nous devons consommer toujours plus pour maintenir le système actuel en place et soutenir les bénéfices des actionnaires!
Bon nombre de managers d’entreprises alimentaires sont confrontés au même problème: d’un côté les marges bénéficiaires sur les produits alimentaires sont plutôt faibles, et de l’autre, le marché est sursaturé. Bref, nous produisons depuis longtemps plus d’énergie «calorique» que nous n’en avons réellement besoin. Mais les jeunes loups du marketing ont contourné ce dilemme avec habileté.

Comment augmenter les bénéfices?

Une des solutions a consisté à augmenter la taille des portions et à faire payer le consommateur un peu plus pour ce supplément. Vu que le prix des matières premières brutes est en général peu élevé et que les coûts en personnel sont les mêmes pour des petites ou des grandes quantités, ce tour de passe-passe permet d’atteindre l’objectif final, c’est-à-dire des bénéfices! Comment résister, par exemple, à une offre aussi alléchante que «un hamburger pour 1 euro, deux pour 1,3 euro»? En tant que consommateurs, nous avons appris à faire attention à notre argent, donc ceci a tout l’air d’une superbe occasion de faire une bonne affaire. Le problème, justement, c’est que si le consommateur réalise effectivement une affaire, en réalité il achète surtout un second hamburger dont il n’a nul besoin.
Autre exemple, plus subtil: les bouteilles de limonade. Dans les années 60, une petite bouteille contenait 200 ml de soda, et les enfants s’en satisfaisaient. Aujourd’hui, une canette en contient 330 ml, et certaines bouteilles vont jusqu’à 500 ml. On en voit même apparaître à 750 ml! Ici aussi, le prix des matières premières est très bas et les coûts en personnel ne changent pratiquement pas.

Du marketing créatif

Les aliments «light» constituent une autre sorte de stratégie de marketing géniale. Imaginez que vous êtes fabricant et que vous produisez depuis des années 10 variétés de confitures. Faites donc les mêmes avec un peu moins de sucre, et vous voilà avec une deuxième gamme, des confitures light, que vous allez naturellement vendre plus cher que les premières, car il faut débourser pour maigrir. Le prix des matières premières demeure identique, de même que les coûts en personnel, et le public achète à un prix supérieur!
La restauration rapide a aussi saisi l’astuce: dans le temps, les enfants mangeaient une partie de la portion parentale. Puis est arrivé le menu «spécial enfant», avec sa portion réduite, un gadget bon marché et des slogans attrayants. C’est ainsi que nos chers loupiots sont devenus des consommateurs à part entière au lieu de simples «parasites». Et ne croyez pas que les menus qui leur sont ainsi destinés soient plus équilibrés que les autres… Même si certains y ajoutent depuis peu une portion de fruits ou de légumes. Opération bonne conscience?

Taxer les aliments mauvais pour la santé

Un nombre croissant de voix s’élèvent en faveur d’une «taxe sur les produits alimentaires néfastes». Celle-ci ne se traduirait pas nécessairement par une dépense accrue pour le consommateur, car une partie des budgets marketing des sociétés pourrait y être consacrée. Savez-vous que, même au sein d’un marché complètement saturé, le secteur de la restauration rapide aux Etats-Unis dépense annuellement 1 milliard de dollars en marketing, contre seulement 1 million de dollars dans le secteur des fruits et légumes?
Cette taxation pourrait avoir un double effet: d’une part, elle rendrait les aliments sains tels que les fruits et les légumes meilleur marché, et d’autre part, elle enverrait au consommateur des signaux lui déconseillant certains groupes d’aliments. Mais comme il n’existe aucune multinationale de fruits et légumes capable de contrebalancer le lobby du fast-food, une telle mesure n’a guère de chances de passer la rampe.
Pourtant, bombarder le consommateur de publicités pour des friandises et regarder croître en flèche les coûts des soins de santé liés aux maladies de civilisation, c’est une contradiction intenable à long terme. Peut-on encore tolérer une telle hypocrisie au 21e siècle?
Patrick Mullie
Article paru dans Equilibre d’août 2007 et reproduit avec son aimable autorisation
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