Éclairer judicieusement l’action publique afin de réduire les inégalités sociales à la petite enfance, voilà un grand défi à relever. Un consensus émane rapidement: on ne peut promouvoir le développement sain des enfants sans agir sur les déterminants sociaux, économiques et affectifs qui rendent leur santé et leur bien-être précaires.
Sinon, les efforts investis dans la recherche et dans l’intervention ne réduiront pas les inégalités entre les groupes sociaux. D’où l’importance des enjeux à propos du développement des enfants et du transfert des connaissances vers les milieux de décision et d’intervention.
Certaines conditions sont identifiées afin que la recherche et le transfert des connaissances puissent davantage contribuer à la réduction des inégalités sociales de santé à la petite enfance. En voici un aperçu:
-la recherche et le développement des connaissances doivent être menés avec une vision plus sociale;
-il importe de différencier déterminant et déterminisme;
-l’étude du développement de l’enfant doit débuter dès la grossesse;
-les études longitudinales qui s’intéressent aux facteurs de protection, à la résilience sont indispensables;
-il est nécessaire d’effectuer la synthèse bio-psycho-sociale des facteurs du développement de l’enfant. Cette incontournable synthèse ne pourra réussir sans surmonter les difficultés de la multidisciplinarité;
-l’évaluation et le suivi des programmes implantés devront être accrus;
-afin d’influencer les décideurs, les conséquences économiques des déterminants sociaux de la santé doivent recevoir plus d’attention;
-le transfert des connaissances devrait revêtir une forme qui touche des publics autres que les seuls scientifiques.
Le directeur national de la santé publique du Québec, Alain Poirier (1), affirme que ce n’est pas uniquement ce qui est publié dans une revue scientifique qui influence les décideurs, mais aussi les données locales et régionales. Il fait remarquer que bien que le Québec ne figure pas parmi les provinces canadiennes les plus riches, c’est lui qui a le plus réduit la pauvreté des enfants et de leur famille au cours des dernières années.
Ce constat émane de la publication, en 2007, du Rapport national sur l’état de santé de la population du Québec. Précisons que ce rapport avait pour objet la pauvreté et ses répercussions sur la santé des jeunes de moins de 18 ans. La récente hausse du salaire minimum au Québec pourrait être l’une des retombées politiques du rapport. Néanmoins, il apparaît primordial pour le Québec de ne pas se comparer simplement à ses voisins continentaux, mais aussi aux pays européens.
Les politiques publiques mises en place par la Suède sont en effet riches d’enseignements. La Suède a implanté des programmes qui soutiennent le développement global des jeunes enfants. Ses politiques et programmes agissent de façon probante sur la réduction du gradient socio-économique de santé et de développement des enfants. Les travaux de Sven Bremberg (2) nous permettent de comprendre les fondements scientifiques et l’articulation des trois principaux programmes suédois destinés aux enfants d’âge préscolaire ainsi qu’à leurs parents.
Premièrement, comme il est démontré que les interactions entre parents et enfants ont un impact à long terme, la Suède investit de plus en plus dans les services de soutien aux habiletés parentales pendant la grossesse et l’enfance.
Par exemple, la Suède dispense des programmes structurés, concrets et universels favorisant le développement précoce d’un attachement sécurisant ainsi que l’adoption de pratiques parentales adéquates. Deuxièmement, à la suite de la naissance d’un enfant, la Suède accorde des congés parentaux généreux et de longue durée: 13 mois avec salaire complet et 3 mois additionnels avec traitement partiel. À noter que les pères se prévalent de plus en plus de ces congés. Troisièmement, non seulement les politiques publiques suédoises soutiennent les parents dans leur rôle parental, mais elles offrent un système éducatif préscolaire universel de grande qualité aux enfants. Outre les effets bénéfiques à long terme sur le développement et la santé des enfants, les services éducatifs préscolaires universels suédois réduisent la pauvreté des familles défavorisées, notamment parmi les familles monoparentales. Ainsi, contrairement aux données nord-américaines, le taux de participation au marché de l’emploi des mères suédoises monoparentales ayant des enfants d’âge préscolaire affiche très peu de différence avec celui des mères vivant avec un conjoint.
Les preuves scientifiques conjuguées aux résultats probants obtenus par la Suède quant aux stratégies à mettre en œuvre pour instaurer les meilleures conditions de départ dans la vie suscitent un questionnement. Au Canada et aux États-Unis, pourquoi s’avère-t-il si difficile de mettre en place des services éducatifs préscolaires universels de grande qualité?
Le Québec fait en quelque sorte figure d’exception. L’OCDE notait, en 2004:
Un financement public faible, particulièrement pour les enfants âgés de moins de 5 ans, est un défaut fondamental du système d’éducation et de garde de la petite enfance au Canada. Il n’y a pas eu, ailleurs qu’au Québec, d’expansion importante du système au Canada au cours de la dernière décennie. Moins de 20 % des enfants âgés de 0 à 6 ans trouvent une place dans un service réglementé (…), comparativement à, par exemple, la Belgique avec 63 %, le Danemark avec 78 %, la France avec 69 %, le Portugal avec 40 % et le Royaume-Uni avec 60 %. (…) (3)
À partir de sa vaste expérience politique, l’Honorable Monique Bégin (4) propose des explications à l’étrange résistance des décideurs nord-américains. Elle rappelle que déjà, en 1970, en s’inspirant de ce qui existait en France, en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark, entres autres, et tenant compte des nombreux mémoires reçus, la Commission royale d’enquête sur le statut de la femme au Canada recommandait le développement de garderies à tarif fixé d’après le revenu des parents et largement subventionnées par l’État (5). Bien que les trois quarts des 167 recommandations de la Commission royale aient été mises en œuvre, les recommandations sur les garderies furent rejetées d’emblée, sans aucune discussion.
Selon Madame Bégin, on est tenté de considérer que la très ancienne division anglo-saxonne entre les notions de sphère publique et sphère privée perdure. S’occuper des enfants relèverait des femmes dans le monde clos de la famille et du foyer, la sphère privée à laquelle le gouvernement ne touche pas. Cette idéologie prône que la mère ait la responsabilité des enfants et le libre choix du service de garde. Mais pour avoir le choix, elle doit avoir accès aux services. Différentes publications inspirées par cette idéologie critiquent d’ailleurs les quelques avancées du Québec, en préconisant que la place de la mère, pendant les premières années de vie de son enfant, est à la maison, comme condition essentielle au développement affectif de ce dernier. Mme Bégin rappelle, avec conviction, que l’équité dès le départ dans la vie, dont les maternelles et services de garde ne sont qu’une composante, mais une composante importante, constitue une des meilleures chances de réduire les inégalités en santé de toute société en l’espace d’une génération.
Ginette Paquet , Ph. D., Institut national de santé publique du Québec, Canada Ont également contribué à cet atelier intitulé, Les inégalités sociales à la petite enfance : comment réduire leurs répercussions à l’âge adulte ? présenté le 17 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé:
Georges Menahem , CNRS et Institut de recherche et documentation en économie de santé, Paris; Richard Massé , École de santé publique de l’Université de Montréal; Michel Boivin , Chaire de recherche du Canada sur le développement social de l’enfant, GRIP, École de Psychologie, Université Laval; Johanne Laverdure , Institut national de santé publique du Québec, Canada; Claire Gascon Giard , Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants, Québec, Canada; André Dontigny , Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec/Direction de santé publique, Québec, Canada; Lise Dunnigan , Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Canada; Florence Jusot , Institut de recherche et documentation en économie de la santé, France ; Alain Poirier , Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Canada ; Sven Bremberg , National Institute of Public Health, Karolinska Institute, Suède ; L’Honorable Monique Bégin , C.P., MRSC, OC, École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa et représentante pour le Canada à la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé. (1) Alain Poirier, Directeur national de santé publique du Québec et sous-ministre adjoint au Ministère de la Santé et Services sociaux du Québec.
(2) Sven Bremberg, Swedish National Institute of Public Health, Suède.
(3) OCDE – Politique sur les services éducatifs et de garde à l’enfance: note de présentation du Canada – Octobre 2004, chap. 4
(4) L’Honorable Monique Bégin, sénatrice canadienne, professeure émérite à l’Université d’Ottawa, ancienne ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et représentante pour le Canada à la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’Organisation mondiale de la Santé
(5) Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, Information Canada, 1970, chap. 4.