Mis en exergue par Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak, chercheuses au sein de l’Institut de recherche en psychologie (IPSY) de l’UCLouvain, le burnout parental fait l’objet d’une attention accrue, particulièrement lors de la crise sanitaire qui a mis les familles à rude épreuve. Si son existence est reconnue mondialement, on observe que sa prévalence diffère d’un pays à l’autre. Notre pays se trouve parmi les trois pays les plus à risque. Un constat qui a poussé les chercheuses à se demander ce qui pouvait expliquer de telles différences et à lancer une étude internationale. Menée dans 42 pays, cette étude met en avant l’individualisme de nos sociétés comme déterminant dans la prévalence du burnout parental.
Le burnout parental, retour sur un syndrome
Le burnout parental (BOP) est un syndrome qui touche tous les parents exposés à un stress chronique. Il s’exprime au travers de différentes facettes.
- L’épuisement : c’est sans doute le symptôme le plus manifeste. Il fait écho à la sensation d’être “au bout du rouleau”. Le parent a le sentiment d’avoir épuisé ses ressources, que ce soit au niveau cognitif, émotionnel ou physique.
- La distanciation affective avec l’enfant : par un mécanisme de protection vis-à-vis de l’épuisement, le parent se coupe de ses émotions pour se concentrer sur les tâches strictement nécessaires à la vie familiale, au détriment de l’aspect relationnel.
- La perte d’efficacité et d’épanouissement dans son rôle de parent : le BOP met la personne en souffrance vis-à-vis de son identité de parent elle-même, créant un sentiment de décalage.
- Le contraste : le parent se sent différent, en dehors de lui-même. Il n’est plus le parent qu’il a été. C’est un symptôme qui accompagne souvent la prise de conscience d’un dysfonctionnement.
Il faut que ces symptômes s’expriment de manière suffisamment sévère et régulière pour que l’on parle de BOP.
Les symptômes du burnout parental peuvent avoir des conséquences délétères, tant pour le parent en souffrance (sentiment de culpabilité, d’isolement et risques de suicide…) que pour l’équilibre familial et la relation parent-enfant (dont la négligence et violence parentale à l’égard des enfants).
Pour approfondir les explications sur le burnout parental, retrouvez l’article « Burnout parental : quel rôle pour la promotion de la santé ? » (Education Santé, février 2019).
Une étude internationale
Jusqu’à présent, les recherches sur le burnout parental s’étaient concentrées sur des facteurs individuels. Or, comme le précise Isabelle Roskam, « le désavantage, c’est qu’on se focalise sur l’individu, ce qui est culpabilisant pour lui. Il va se dire, « pourquoi est-ce que moi, je tombe en burnout ? ». Si on ne pointe que des facteurs individuels, il y a le risque que la personne se sente la seule responsable. » Pourtant comme dans le burnout professionnel, le contexte pèse également sur le développement de l’épuisement parental. Ainsi, la difficulté pour un parent de « trouver du temps pour lui », souvent exprimée par les parents en souffrance, est une préoccupation qui s’inscrit dans un modèle de société individualiste.
Afin de valider ces observations, les chercheuses ont activé leur réseau international. La thématique semble rassembleuse, les retours ne se sont pas fait attendre. Isabelle Roskam pose un premier constat : “cette notion de burnout parental a l’air de parler à tout le monde”. C’était un préalable nécessaire à l’étude. Pourtant, “ce n’était pas gagné d’avance parce que parfois quelque chose qui fait beaucoup de sens dans une culture n’en a pas dans une autre”. De fil en aiguille, des chercheuses et chercheurs issus de 42 pays différents se joignent ainsi à l’étude et alimentent la base de données.
Des facteurs d’ordre socio-démographiques (par exemple, le nombre d’enfants dans la cellule familiale, le nombre d’adultes investis dans l’éducation de l’enfant) mais également socio-économiques (notamment le Produit Intérieur Brut (PIB) de chaque nation) ont d’abord été envisagés. Aucune de ces variables ne permettait cependant d’expliquer les disparités dans la prévalence du burnout parental à travers le monde. Les chercheuses se sont alors intéressées aux valeurs culturelles, « qui, précise Isabelle Roskam, ne sont pas que l’individualisme. Il y a par exemple tout ce qui concerne les rapports hiérarchiques, les rapports de pouvoir entre les membres d’une société, il y a des sociétés plus ou moins égalitaires… ». Ces différentes valeurs contrôlées, l’analyse met en avant l’influence de la culture individualiste comme déterminante dans la prévalence du burnout parental. Isabelle Roskam enchérit « c’est interpellant de constater que ce sont les pays les plus riches et où on fait le moins d’enfants que le niveau de burnout est le plus élevé ». Selon la chercheuse, « quand on fait partie d’une culture dite individualiste, on a l’habitude d’être focalisé sur ses besoins, d’être à l’écoute de soi, de devoir « tracer notre route”, etc.; et finalement, la façon dont cela va impacter les autres, c’est secondaire. Tandis que dans une culture collectiviste, le rapport est inverse ; on va d’abord se tracasser de ce qu’il se passe pour le groupe avant de regarder vers soi. »
Culture individualiste: quelles conséquences sur la parentalité ?
L’individualisme qui imprègne notre culture occidentale impacte l’exercice de la parentalité dans de multiples dimensions.
Une société individualiste va valoriser la performance et la compétition. Les narratifs qui nous entourent regorgent de success stories[1] et de self made (wo)men[2]. Dans une société où on nous encourage à toujours être le meilleur, la surexposition aux modèles parentaux idéalisés génère comparaison et insécurité : » C’est vrai aussi dans la parentalité ; on veut être le meilleur parent par rapport au voisin, avoir les enfants qui performent le mieux à l’école. On devient également perfectionniste dans sa parentalité, or cela a un coût : on n’est jamais content de soi, on est toujours à l’affût de recommandations sur la parentalité positive, on se fatigue dans des tâches où on a l’impression que l’on ne peut jamais atteindre le standard élevé que l’on recherche ». Insidieusement, cette quête de perfection sans cesse inassouvie mène à l’épuisement.
Cet environnement compétitif et porté sur la performance impacte aussi les buts de socialisation. Comme l’explique la chercheuse « dans une société individualiste, on va élever nos enfants en leur transmettant les valeurs dont ils vont avoir besoin pour se débrouiller eux-mêmes. Et une de ces valeurs, c’est leur apprendre à être assertif, à donner leur avis et à ne pas se laisser faire quand on leur dit quelque chose ». Or cette assertivité, les enfants la développent aussi à l’égard de leurs parents, qui se retrouvent à devoir négocier ou se justifier auprès de leur progéniture. Dans une société collectiviste, en revanche, ce ne seront pas les mêmes buts qui seront plébiscités : « dans des pays comme la Chine ou le Japon, explique Isabelle Roskam, on retrouve ce qu’on appelle la « piété filiale », qui inculque le respect inconditionnel des aînés. Il y a cette notion d’obéissance par défaut qui fait qu’un enfant comprend qu’il y a une hiérarchie, qu’il n’est pas l’égal de l’adulte et n’a pas son mot à dire sur tout ce que l’adulte raconte. Il y a donc un coût émotionnel à la parentalité qui est moins fort. »
En outre, dans une société individualiste, on observe qu’il y a très peu de délégation de l’autorité parentale et ce, même dans les familles monoparentales. Une charge conséquente repose sur les épaules des seuls parents. En cause, l’idée très répandue dans nos sociétés qu’il ne faudrait compter que sur soi-même. Isabelle Roskam explique : « dans une société individualiste, on apprend à ne compter que sur soi, à ne pas faire confiance aux autres, et ça, dans la parentalité, c’est très saillant. Nous serions très surpris, voire sur la défensive, qu’un voisin nous propose spontanément de s’occuper de nos enfants par exemple. On a perdu cette idée de communauté. Alors que dans certaines régions d’Afrique on dit que ‘pour élever un enfant, il faut tout un village’ ».
Enfin, selon la chercheuse, une autre caractéristique des cultures individualistes réside dans la recherche de l’égalité hommes-femmes. Elle rappelle que « dans beaucoup de pays traditionnels, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes rôles dans la parentalité. Dans un pays individualiste comme le nôtre, avec des indicateurs d’égalité très élevés – qui vont imposer la parité dans le domaine politique, des entreprises, etc.- les femmes vont revendiquer cette égalité ». Or dans le domaine de la parentalité, on constate que ce sont toujours elles qui assument plus de 70% de la charge liée aux soins et à l’éducation des enfants. Ainsi, illustre-t-elle, « il y a encore beaucoup de lois qui placent la mère dans le rôle du premier donneur de soins : il y a tout ce qui touche au congé de maternité, mais pas seulement ; par exemple pour les allocations familiales, c’est le père qui ouvre les droits et par défaut c’est la mère qui les touche, puisque c’est elle qui élève les enfants là où le père serait le pourvoyeur de moyens. Tout cela contribue à maintenir l’idée que le premier donneur de soins par défaut, c’est la mère. » Dans une société qui semble prôner l’égalité, mais où beaucoup reste à faire notamment dans le domaine de la parentalité, cela contribue à renforcer un sentiment d’injustice face à ce qui apparait comme un décalage entre le discours affiché et la réalité vécue par les mères.
Quels leviers d’actions pour la promotion de la santé ?
Au vu des conclusions de cette étude, l’équipe de recherche évoque avec nous quelques pistes, mais souligne qu’elles sont encore nombreuses et multiples, telles qu’un travail sur les aspects politiques, socio-économiques, les représentations… pour mener un travail de fond sur la notion d’égalité dans la famille par exemple.
Une prise de conscience collective
Dans une société individualiste qui prône la performance, demander de l’aide est encore trop souvent perçu comme un aveu de faiblesse. Déconstruire les tabous autour de l’épuisement parental, informer le grand public et faire passer ces termes dans le langage courant sont autant d’étapes nécessaires dans la prise de conscience du phénomène. Isabelle Roskam précise : « c’est le genre de recherches qui ne peut pas rester dans le domaine académique, c’est essentiel d’avoir un relais. Pour le parent concerné, ‘si on en parle, s’il y a des mots pour parler de ce que je vis, c’est que du coup je ne suis pas le seul à être concerné. Et que cela ne fait pas de moi un mauvais parent’ ».
Le burnout parental n’est pas qu’une problématique individuelle, il se nourrit aussi des paradoxes de notre modèle individualiste. Une prise de conscience collective de cette dimension est nécessaire. Car l’omniprésence d’images de parentalité heureuse et épanouie isole ceux, parmi les parents, qui ont l’impression d’être défaillant par rapport à ce modèle. « Typiquement, c’est ce qu’on fait sur les réseaux sociaux en se mettant en avant, en laissant penser que nous-mêmes n’avons jamais de difficultés, parfois au détriment de l’impact que cela a sur les autres », ajoute Isabelle Roskam.
La sensibilisation des professionnels
Outre le frein culturel à oser exprimer la difficulté que l’on rencontre et ayant été élevé avec l’idée qu’il faut se débrouiller par soi-même, ces parents ont davantage de mal à accepter un soutien de l’extérieur.
Dès lors, sensibiliser et former les professionnels de première ligne à ces composantes culturelles semble un premier pas essentiel afin de leur donner des clés pour aborder le parent, lui offrir un espace où exprimer ses difficultés sans se sentir jugé.
Une formation pour les professionnels
Des formations sont proposées par le Training Institute for Parental Burnout. Pour plus d’information, rendez-vous sur http://www.parental-burnout-training.com
Des supports et des relais
La libération de la parole autour des difficultés du rôle de parent permet au parent en souffrance de sortir de l’isolement et de faire émerger, au niveau des communautés, des réseaux d’initiatives informelles de support et d’entraide. On pense, par exemple, aux solutions de garderie tournante que peuvent mettre en place des parents entre eux.
Au niveau formel, on retrouve les services qui sont offerts par des institutions, organismes et asbl qui offrent du soutien aux familles. Isabelle Roskam invite toutefois à la prudence lorsqu’on présente ces services afin d’éviter de sous-entendre que tous les parents ont besoin de l’assistance d’un professionnel, ce qui aurait pour effet d’augmenter, symboliquement, la pression qui pèse sur eux : « c’est faire passer la parentalité pour quelque chose de tellement difficile, avec tellement d’enjeux que si on ne prend pas les conseils d’un professionnel, on va forcément faire des erreurs. » Et de l’envisager sous le prisme de la bienveillance : « Dire à tous les parents de se faire confiance, c’est aussi très important et on l’a parfois oublié… »
Les résultats de l’étude « Parental Burnout Around the Globe: a 42-Country Study” (Roskam, I., Aguiar, J., Akgun, E. et al., 2021) a été publiée dans la revue Affective Science (en anglais : https://doi.org/10.1007/s42761-020-00028-4).
Des ressources pour les parents et les professionnels
La Mutualité chrétienne a mis sur pied un vaste programme autour du bien-être psychologique intitulé « je pense aussi à moi », mettant en avant la nécessité de préserver un espace de bien-être personnel, un équilibre entre tous les rôles que chacun est amené à jouer dans sa vie, et notamment le rôle de parent.
www.jepenseaussiamoi.be: un site internet avec des contenus ciblant notamment le burnout parental, et des solutions concrètes pour ne pas s’y enliser
Isabelle Roskam et Moïra Mikolojaczak ont créé un site dédié au burnout parental, à destination des parents, professionnels et chercheurs : www.burnoutparental.com.
[1] Cette expression anglophone signifie « des modèles, des histoires de réussite »
[2] Cette expression anglophone désigne des hommes ou femmes « qui se sont construits/ qui ont construit leur réussite tout.es seul.es »