La Communauté française Wallonie-Bruxelles a décidé de proposer la vaccination gratuite contre la méningite à méningocoque C aux enfants âgés de 1 à 5 ans. La campagne de vaccination, qui durera quatre mois, a démarré début mars. Il est utile de préciser dans quel contexte est apparue la nécessité de vacciner les enfants et quel fut l’historique de cette décision qui a suscité pas mal de remous.
Contexte et rétroactes
Depuis quelques années, on constate un accroissement des cas de méningites à méningocoques en Belgique (de 77 cas en 1990 à 380 en 2001).
Alors que les méningites B représentaient de loin la majorité des cas par le passé, la proportion de méningites C s’accroît depuis 1997 jusqu’à constituer plus de 50 % du total des méningites aujourd’hui.
Précisons qu’on n’atteint pas les incidences du début des années 70 et qu’on n’est pas dans une situation d’épidémie. Cependant, cette croissance est inquiétante et représente un danger en terme de santé publique.
En novembre 2000, le Conseil supérieur d’hygiène remettait un avis sur la vaccination anti-ménigococcique. Au même moment, un vaccin anti-méningite C était enregistré en Belgique, et on prenait connaissance de l’expérience anglaise de généralisation de l’usage de ce vaccin.
Le Conseil supérieur d’hygiène, sans être alarmiste, recommandait l’administration du nouveau vaccin auprès de deux groupes d’âges plus à risque que d’autres, à savoir les enfants de moins de 5 ans et les grands adolescents.
Les chiffres de la méningite en Belgique en 2001
380 souches, contre 267 en 2000;
incidence de 3,7 cas pour 100.000 habitants, soit le triple par rapport à 1992;
49% appartenant au séro-groupe C, contre 47,5% du séro-groupe B;
68% des cas en Flandre (dont près de la moitié dans la province d’Anvers), 26% en Wallonie et 6% à Bruxelles;
27 décès (7% de mortalité), dont 12 attribués au séro-groupe C;
40% des cas chez les moins de 5 ans, et 18% des cas chez les 15 à 19 ans;
Ces données ont été enregistrées par le laboratoire de référence des méningocoques en 2001, pour l’Institut scientifique de santé publique.
La Conférence interministérielle de santé décide en mai 2001 de programmer une étude épidémiologique sur la question, et le Conseil supérieur d’hygiène remet un deuxième avis: constatant l’aggravation de la situation durant les premiers mois de l’année, caractérisée par la progression des infections du groupe C, il propose que la vaccination soit introduite dans le calendrier vaccinal à partir de l’âge de douze mois et que le vaccin bénéficie d’un remboursement partiel de l’INAMI pour améliorer son accessibilité pour les enfants de 2 à 21 ans, sans aller jusqu’à envisager la généralisation de ce vaccin pour toutes les tranches d’âge.
La distribution selon les tranches d’âge en 2001 sur l’ensemble du territoire national montre un plus grand nombre de cas chez les enfants de 1 à 4 ans (42) et entre 15 et 19 ans (36).
La Communauté flamande annonce alors qu’elle compte vacciner tous les enfants de 1 à 2 ans dès l’année 2001.
C’est que la dispersion de la méningite C est très hétérogène. Les cas sont trois fois plus fréquents en Flandre qu’en Wallonie et à Bruxelles (en 2001, on déplore 135 cas en Flandre pour 7 à Bruxelles et 37 en Wallonie).
Le débat est alors relancé au sein de la Conférence interministérielle de santé afin qu’une décision concertée soit dégagée. Un protocole d’accord est signé le 11 décembre 2001 entre l’autorité fédérale, les Communautés et la Commission communautaire commune de Bruxelles-Capitale (COCOM) pour la prise en charge du coût du vaccin et le choix du public prioritaire, c’est-à-dire les enfants de 1 à 5 ans.
Le Gouvernement fédéral s’engage à prendre en charge 2/3 du coût total de l’achat du vaccin, et les Communautés le 1/3 restant. Ces dernières, dans le cadre de leurs compétences en matière de prévention collective, sont également chargées d’organiser la campagne de vaccination.
Un budget total de 1.239.000 € est ainsi dégagé par la Communauté française, s’ajoutant aux 2.032.000 € du programme actuel de vaccination. L’appel d’offre est lancé en décembre et 200.000 doses de vaccin sont mises à disposition de la vaccination des enfants nés entre le 01/01/1997 et le 31/12/2000. De quoi permettre de vacciner quatre cohortes de 50.000 enfants, et probablement de conserver quelques dizaines de milliers de doses pour d’autres groupes d’âge, étant donné que certains parents ne feront pas vacciner leurs enfants, et que d’autres l’ont déjà fait l’an dernier sans attendre la proposition des autorités.
La campagne
Pendant deux mois, l’Administration de la Santé, Provac, le Service communautaire Question Santé et le Cabinet de la Ministre de la Santé ont travaillé à la mise au point de la campagne, en veillant notamment:
– à la gestion du flux prévisionnel des demandes;
– à l’information aux parents sur la possibilité offerte (mais non obligatoire) de protéger leurs enfants contre cette maladie;
– à la possibilité de veiller à ce que les vaccins fournis gratuitement parviennent effectivement aux enfants auxquels ils sont destinés.
Afin d’organiser efficacement cette campagne, une collaboration s’est également établie avec l’ONE qui est la «plaque tournante» de la mise en œuvre de la campagne, puisque c’est elle qui peut fournir aux familles les titres d’accès à la vaccination, de façon à vacciner précisément les enfants concernés et pas les autres. Cela est relativement complexe sur le plan logistique.
Un objectif de santé publique
Cette collaboration entre l’Etat fédéral, les trois Communautés et la COCOM conforte l’importance de la prévention, qui améliore la santé de la population. Cette politique de prévention active peut éviter bien des situations douloureuses pour les familles, et contribue également à la maîtrise des dépenses en soins de santé.
Cette collaboration d’un type nouveau aura peut-être des suites, puisqu’un Groupe de travail de la Conférence interministérielle de santé travaille plus globalement à une harmonisation de la politique de vaccination dans notre pays.
Comme toute politique de vaccination, cette campagne contre la méningite C vise à rencontrer un objectif de santé publique:
– assurer une couverture maximale de la population visée;
– protéger l’individu contre la maladie;
– protéger collectivement les personnes;
– utiliser un vaccin à l’efficacité avérée.
Le second objectif est celui de l’équité sociale et de l’égalité dans la prévention. Il faut à tout prix éviter une dualisation de la prévention vaccinale. Outre son injustice sociale, elle aurait un impact négatif sur la dispersion de la maladie. Dans le cas de la méningite C, le prix du vaccin, très élevé et non remboursé, créait un réel risque de ‘médecine à deux vitesses’. Une attention particulière sera d’ailleurs portée à l’information et la promotion de la campagne auprès des populations précarisées.
Si à la fin juin, le budget dégagé pour le public cible n’a pas été totalement utilisé (c’est-à-dire si toutes les doses de vaccin n’ont pas été nécessaires), il sera possible dès la rentrée scolaire de septembre 2002 d’entamer la vaccination de la deuxième tranche d’âge la plus vulnérable, en commençant par les jeunes de 15 ans.
A l’avenir, la vaccination contre la méningite C sera incluse dans le programme de vaccination de la Communauté française via les critères habituels de vaccination, la perspective et la volonté étant bien entendu d’éradiquer progressivement la maladie.
d’après l’intervention de Nicole Maréchal, Ministre de la Santé au lancement de la campagne, Bruxelles, 27/02/02
Quelques considérations autour de la campagne
Cette initiative témoigne d’un fonctionnement plutôt sympathique de nos institutions, puisque malgré le saucissonnage des compétences en matière de santé, voire de prévention, il a été possible de mettre en place en quelques mois une campagne ambitieuse de vaccination. Autre élément positif, le fait que dans la situation budgétaire précaire qui est toujours la sienne aujourd’hui, la Communauté française Wallonie-Bruxelles a pu dégager des moyens relativement importants sans mettre en danger ses autres programmes de promotion de la santé.
Ce satisfecit ne signifie pas pour autant que tout soit parfait, comme en témoignent certaines réactions.
Un enfant de six ans vaut-il moins qu’un enfant de trois ans?
La campagne ne passera pas inaperçue: les médias sont déjà largement sensibilisés au problème, et des spots publicitaires passent en radio au début de chacun des 4 mois pendant lesquels la vaccination est proposée. Pour éviter les embouteillages, il est prévu de vacciner les enfants nés en 2000 en mars, ceux nés en 1999 en avril, ceux nés en 1998 en mai, et ceux nés en 1997 en juin. Pour les enfants nés en 2001 ou en 2002, le vaccin sera proposé gratuitement quand ils auront 13 mois, ce qui évite de devoir leur administrer trois doses (coûteuses) pour les protéger contre la maladie.
Et les autres, diront les parents? Ceux nés en 1996, ou avant? D’aucuns ne manqueront pas de crier à l’injustice.
Une campagne collective de vaccination implique de la part des autorités sanitaires la libération d’un budget important, qui n’est forcément plus disponible pour d’autres initiatives aussi louables. Les autorités britanniques ont choisi en 1999 de vacciner massivement les moins de 18 ans, cela n’a pas été le cas en Belgique.
La cible retenue par la Communauté française n’a toutefois pas été choisie au hasard, puisqu’il s’agit du groupe le plus vulnérable (avec les adolescents).
Que font les mutualités?
C’est évidemment une maigre consolation pour les parents qui veulent protéger leurs enfants âgés de plus de 5 ans!
Certaines mutualités ont décidé l’an passé d’inclure le remboursement partiel du prix du vaccin dans leurs avantages d’assurance complémentaire, en attendant la mise en place de la campagne publique de vaccination. Ce n’était certainement pas la meilleure solution (démarche individuelle, vaccination ‘sauvage’, coût élevé restant à charge des familles, impossibilité de faire pression de manière significative sur les fabricants pour faire diminuer le prix, etc.), mais c’était toujours mieux que rien.
D’ailleurs, il semble que 20 à 40 % des enfants visés par la campagne auraient déjà été vaccinés à l’initiative de leurs parents, et au prix fort.
Les mutualités chrétiennes flamandes vont plus loin cette année, puisqu’elles ont décidé d’étendre le remboursement partiel aux tranches d’âges non visées par les autorités flamandes. A raison de 20 € par enfant ou jeune, et tenant compte de la part de marché dominante de cette mutualité, cela représente un gros effort financier. Il n’a pas échappé à la Ministre flamande de la Santé, Mieke Vogels , qui a apprécié cette démarche.
Des médecins de famille pas contents
Les contraintes diverses, institutionnelles, et autres, ont obligé la Communauté française à mettre en place une procédure d’accès au vaccin assez compliquée, avec la nécessité de se procurer à l’ONE un titre d’accès à la vaccination, pour autant que l’enfant concerné ait l’âge requis. Ce titre doit alors être remis au médecin vaccinateur, qui commande le vaccin en détachant un autocollant ad hoc. Bien entendu, il n’est pas exclu de faire vacciner les enfants à l’ONE, ce qui raccourcit sérieusement le circuit, mais l’Office ne peut pas se permettre de se mettre les médecins de famille à dos en obtenant le monopole de la vaccination. Dans un article vengeur, l’hebdomadaire Le Généraliste parle de ‘Procédure ubuesque’. Il n’a pas tout à fait tort, le système mis en place pour vacciner la bonne cible au bon moment est plutôt compliqué. La relative confusion au démarrage de la campagne, que les médias ont largement relayée, en témoigne aussi.
Si comme cette publication on estime qu’il n’y pas lieu scientifiquement de limiter la vaccination gratuite aux enfants de 1 à 5 ans, la procédure est évidemment absurde. Est-ce pour autant une raison pour écrire que ‘ce n’est pas par des procédures inquisitrices et vexatoires que nos décideurs politiques redoreront leur image auprès du corps médical’ , alors que l’effort entrepris par la Communauté française est déjà appréciable? N’exagérons pas!
Wyeth Lederle, entreprise ‘éthique’?
Il y a plus nul que l’attitude de l’hebdo médical, c’est la campagne de communication de la firme qui a vendu le vaccin à la Communauté française (ce n’est pas la même pour la Flandre). Je cite:
‘L’incidence des infections à méningocoque C augmente chaque mois de manière préoccupante.
Ces infections peuvent laisser de graves séquelles ou être fatales.
Les interventions financières qui existent aujourd’hui sont malheureusement limitées à certains groupes d’enfants.
Wyeth Lederle a décidé de faciliter l’accès des plus défavorisés à la vaccination antiméningococcique C, en créant une ‘initiative méningite C’, dotée d’une quantité importante de vaccins gratuits.’
Non contente d’avoir obtenu un prix de vente dissuasif pour son vaccin, d’avoir travaillé l’opinion publique de façon à contraindre la Communauté française à lui acheter 200.000 doses de son produit (à un prix il est vrai plus raisonnable), la firme se permet de donner des leçons de morale. On aura tout vu!
Christian De Bock