Juin 2009 Par V. FABRI A. REMACLE Christian DE BOCK Initiatives

Depuis 2001 en Flandre et 2002 en Wallonie et à Bruxelles, le programme national de dépistage du cancer du sein par mammotest offre à toutes les femmes âgées de 50 à 69 ans une mammographie de qualité contrôlée et gratuite.

Contexte

Le but premier du programme est de diminuer la mortalité par cancer du sein en détectant les lésions à un stade précoce et par conséquent d’éviter les traitements mutilants et lourds. Outre la qualité à chaque étape du dépistage et du traitement, une condition indispensable au succès d’un tel programme est une participation massive des femmes. L’Europe contre le Cancer (1) estime qu’elle devrait être d’au moins 70%.
Annuellement, l’Agence Intermutualiste (AIM) rend compte de l’évolution du programme depuis son instauration. Elle étudie la participation au programme et son impact sur le dépistage spontané.
Dans son sixième rapport, le troisième tour du programme (période 2005-2006) est comparé aux tours précédents (périodes 2001-2002 et 2002-2003).
Le recul de six années de programme permet aujourd’hui de mieux appréhender le comportement des femmes face au dépistage organisé ou opportuniste. Une analyse longitudinale de la population cible permet de nuancer les taux de fidélisation et de substitution du dépistage opportuniste au programme organisé et inversement. Par ailleurs, certains critères de qualité comme le pourcentage d’examens complémentaires, le pourcentage de biopsies et de tumorectomies et les délais associés sont également développés dans ce sixième rapport.

Matériel et méthode

Les données proviennent de tous les organismes assureurs et ont été collectées et traitées par l’Agence Intermutualiste (AIM).
Depuis juin 2001, un code spécifique de la nomenclature a été prévu pour la mammographie de dépistage ou mammotest en ajout à celui de la mammographie classique appelée ici mammographie ‘diagnostique’. Étant donné la situation hybride qui existe en Belgique, le rapport désigne par ‘couverture par mammotest’ la participation des femmes au programme de dépistage, par ‘couverture par mammographie diagnostique’, le pourcentage de femmes ayant réalisé un dépistage opportuniste et enfin par ‘couverture totale’, le taux de couverture quel que soit le type d’examen utilisé.
Dans ce sixième rapport, deux périodes de deux ans sont analysées.
La période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2004, appelée ‘deuxième tour’, correspond au deuxième tour complet en Flandre (le programme y a débuté en juin 2001) et au deuxième tour partiel en Wallonie et à Bruxelles (le programme y a débuté en été 2002).
La période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006, appelée ‘troisième tour’, correspond au troisième tour complet en Flandre et au troisième tour partiel en Wallonie et à Bruxelles.
Ces deux périodes sont comparées avec le ‘premier tour’, du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 (cette période correspond approximativement au premier tour ‘presque’ complet en Flandre et au premier tour partiel en Wallonie et à Bruxelles).
Les trois tours de dépistage organisé sont également comparés avec le dépistage opportuniste en 1999-2000.

Résultats

Participation

Après une forte progression de 38% à 50% au cours du premier tour du programme, la couverture totale évolue plus lentement à partir du deuxième tour (56%) et atteint 59% en 2005-2006. 71% des femmes se sont pourtant fait examiner entre 2001 et 2006. L’enjeu du programme de dépistage sera donc d’amener les femmes non encore examinées à ce jour (29%) à profiter du programme. L’analyse plus détaillée de ces femmes ‘non-répondantes’ au programme permettra sans doute de mieux cerner les freins à la participation au programme organisé.
Les résultats confirment une impression rapportée par le terrain: il semblerait plus facile d’adhérer au programme quand l’habitude de se faire examiner par la filière opportuniste n’existe pas, plutôt que de changer d’habitude et de méthode d’examen.
Comme indiqué plus loin, le programme de dépistage réussit à sensibiliser des femmes qui se soumettaient peu au dépistage opportuniste avant le programme, dont les femmes plus âgées et les femmes défavorisées socialement.

Couverture

Avant le programme de dépistage, en 1999-2000 (2), 38% des femmes participaient spontanément au dépistage opportuniste. En 2005-2006, après 3 tours de programme (6 années), 59% des femmes belges se font à présent examiner via le programme ou via le dépistage spontané. Toutefois, cette couverture totale évolue de plus en plus lentement au fur et à mesure des périodes.
La tendance est la même pour le dépistage organisé: à l’issue du troisième tour, 28% des femmes sont dépistées par mammotest, alors qu’elles étaient 24% en 2003-2004 et 14% en 2001-2002.

Belgique Région flamande Région Bruxelles-Capitale Région wallonne
Couverture totale (en %)
1999-2000 38 33 47 45
2001-2002 50 50 49 49
2003-2004 56 56 51 56
2005-2006 59 62 53 57
Couverture par mammotest ( en %)
1999-2000 0 0 0 0
2001-2002 14 23 0 1
2003-2004 24 35 5 10
2005-2006 28 41 8 10
Couverture par mammographie diagnostique ( en %)
1999-2000 38 33 47 45
2001-2002 35 27 48 48
2003-2004 31 21 46 46
2005-2006 32 21 45 48
Suivi sur les 3 périodes ( en %)
N 836 697 499 995 65 181 271 521
Pas examinées 29 24 28 39
Examinées 1 fois 22 14 18 35
Examinées 2 fois 22 29 22 10
Examinées 3 fois 27 33 32 16
Fidélisation mammotest * ( en %) 6 10 0 , 3 0 , 1
Fidélisation mammographie diagnostique * 13 % 10 28 13

* Pourcentage de femmes ayant eu le même examen les 3 fois.

Populations nouvelle, régulière et perdue

24% des femmes examinées au troisième tour ne l’avaient pas été au second et constituent la population nouvelle. Comme au second tour, 6 femmes nouvellement examinées sur 10 le sont par mammotest. Cet apport de femmes nouvellement examinées est contrebalancé par les 20% de femmes perdues, c’est-à-dire les femmes examinées au second mais plus au troisième tour.
Si l’on considère le comportement à l’encontre du dépistage opportuniste ou organisé des femmes éligibles durant les 6 premières années du programme organisé (N=836.697), 29% d’entre elles ne se sont jamais fait examiner au cours de ces 3 premiers tours de dépistage organisé. 22% des femmes se sont fait examiner une seule fois, 22% deux fois et 27% trois fois (à chaque période donc).

Participation en fonction de l’âge

Avant le programme, en 1999-2000, la différence de couverture en mammographie diagnostique entre les catégories d’âge extrêmes était de 17%. En effet, la participation au dépistage spontané s’élevait à 45% chez les femmes les plus jeunes (50-54 ans) contre 28% chez les plus âgées (65-69 ans). Cette différence diminue au cours du temps mais reste manifeste: au premier tour du programme, elle passe à 14%, au second à 11% et au troisième tour, l’écart de couverture diagnostique entre les catégories d’âge extrêmes se réduit à 9%.
Par contre, le dépistage par mammotest touche de la même façon toutes les femmes quel que soit leur âge. L’écart de couverture entre les tranches d’âges 50-54 ans et 65-69 ans reste inférieur à 1%.
En 2005-2006, grâce au mammotest, l’écart de couverture totale entre les catégories d’âge extrêmes est réduit à 8% – contre 16% en 1999-2000.
Par ailleurs, dans les trois régions, les femmes les plus âgées sont les plus nombreuses à entrer dans le programme et à y être fidèles – 27% des femmes âgées de 65 à 69 ans contre 22% des femmes de 50 à 54 ans.

Participation en fonction du niveau socio-économique

En 1999-2000, la participation au dépistage opportuniste était nettement inférieure chez les femmes bénéficiant du remboursement préférentiel (BIM). En 2005-2006, la participation au dépistage opportuniste reste dépendante du statut socio-économique: 33% des femmes les plus favorisées socialement (non-BIM) sont examinées par mammographie diagnostique contre 25% chez les plus défavorisées (BIM).
Le programme organisé engendre donc une participation au mammotest plus équitable bien qu’il persiste une différence de couverture de 6% entre les femmes plus favorisées socialement (29%) et les autres (23%).
À l’instar des périodes précédentes, les femmes précarisées sont les plus nombreuses à entrer dans le programme – 30% contre 23% pour les femmes non BIM, mais aussi à y renoncer – 26% de femmes BIM perdues contre 23% pour les femmes non BIM – et ce, dans les trois régions du pays. Notons qu’elles sont également moins nombreuses à passer de la mammographie diagnostique au mammotest – 5 % chez les BIM contre 6 % chez les non-BIM.

Discussion

L’efficacité d’un programme dépend entre autres de la large participation de la population cible. L’Europe contre le cancer mentionne comme acceptable une couverture égale à 70 % et recommande de viser une couverture supérieure à 75 %. En effet, un taux de participation de 60% à 100% devrait entraîner une réduction de mortalité de 20% à 40%.
En Belgique, la couverture totale avoisine aujourd’hui les 60%. Elle varie fortement d’une province ou même d’une commune à l’autre (3). La couverture liée au seul dépistage organisé atteint 28% des femmes de 50 à 69 ans après trois tours de programme.
Au cours de la période 2005-2006, le programme voit sa progression fortement ralentie. Le programme recrute moins de nouvelles femmes en 2005-2006 comparé au premier et second tours (sauf à Bruxelles). De plus, les femmes régulièrement examinées remplacent moins la mammographie diagnostique par le mammotest.
Toutefois, en Belgique, le programme s’impose et s’organise dans un contexte d’habitudes et de pratiques de dépistage qui diffèrent d’une région à l’autre du pays.
En Flandre, où les habitudes de dépistage opportuniste étaient moins ancrées, le programme s’est implanté rapidement en recrutant de nouvelles femmes et en remplaçant la mammographie diagnostique par le mammotest. Les femmes se fidélisent au programme: 75% des femmes qui ont effectué un mammotest aux premier et second tours restent dans le programme au troisième tour.
En Wallonie et à Bruxelles, où existaient déjà des habitudes de dépistage opportuniste, le programme de dépistage a du mal à s’imposer. En plus des problèmes techniques qui avaient empêché l’invitation de la totalité des femmes, il semblerait que tant les femmes que les prescripteurs soient difficiles à convaincre de l’intérêt de se faire dépister dans le cadre d’un programme organisé.
La couverture totale atteint 57% en Wallonie et 53% à Bruxelles. Les femmes régulièrement examinées abandonnent peu la mammographie diagnostique pour le mammotest, et le programme recrute peu de nouvelles femmes.
En Wallonie, parmi les femmes qui ont réalisé un mammotest aux deux premiers tours, seulement 48% restent fidèles au programme. À Bruxelles, ce pourcentage monte à 62%.
La population régulière se constitue essentiellement de femmes qui conservent la pratique de la mammographie diagnostique et gardent leur habitude de dépistage opportuniste d’avant le programme.
Le suivi individuel des femmes au cours des trois périodes montre des comportements très différents face au dépistage, qu’il soit opportuniste ou organisé. Nous constatons que la cohorte de femmes examinées n’est pas stable: elles n’adoptent pas chaque année la même attitude face au dépistage. Cette attitude est plus marquée en Wallonie que dans les deux autres régions.
Enfin, le suivi individuel nous permet d’objectiver une impression rapportée par les acteurs du terrain: il est difficile de changer les habitudes des femmes qui se faisaient déjà examiner auparavant. En effet, le suivi de 2001 à 2006 nous apprend que, parmi les femmes qui ont réalisé une mammographie diagnostique aux premier et second tours, la plupart (75%) continuent à pratiquer une mammographie diagnostique au troisième tour et très peu sont recrutées par le programme (11%).

Améliorer la participation au programme

Au cours d’un atelier de réflexion organisé par l’Agence intermutualiste le 26 mars dernier, une quarantaine de personnes ont pu prendre connaissance de ce 6e rapport d’évaluation du programme, présenté par Valérie Fabri (AIM) et Anne Remacle (AIM) qui permet un recul très intéressant après 3 tours complets (du moins en Flandre).
L’intérêt de l’échange résidait aussi dans la possibilité offerte à certains acteurs-clés du programme, en Flandre comme en Wallonie et à Bruxelles, de faire part à l’Agence de leurs desiderata en termes de récolte de données dans le futur, et aussi de suggérer aux mutualités des pistes pour renforcer leurs efforts en vue d’améliorer la participation des femmes (et des professionnels!) au programme.
Sans prétendre que l’idée de génie à laquelle personne n’a songé jusqu’ici a jailli de la discussion, quelques points d’attention ont été soulevés, sur lesquels il est possible de travailler:
-le programme est de qualité (certains radiologues le reconnaissent eux-mêmes, d’autres doivent encore en être convaincus…), utile, et gratuit pour les femmes, choses qu’il serait bon de rappeler plus souvent et avec plus d’emphase;
-cinq publics méritent un effort de communication tout particulier: les généralistes, les radiologues, les gynécologues, les femmes qui n’ont jamais été dépistées et celles qui restent dans le circuit ‘opportuniste’ ou qui sont mal suivies;
-un enjeu important est de connaître les caractéristiques des femmes qui n’ont jamais participé au dépistage et les raisons de leur attitude. Dans les prochains mois, une étude IMA s’attachera ce public particulier afin de fournir de bonnes bases à l’organisation de campagnes mieux ciblées ainsi qu’un outil d’évaluation de ces campagnes;
-la Communauté française pourrait s’inspirer en partie du mode d’invitation choisi par la Flandre, où le programme fonctionne mieux, et qui propose d’emblée un rendez-vous pour effectuer le mammotest, avec une grande souplesse pour en changer si besoin;
-si vous êtes née un jour pair, vous serez contactée une année paire pour le mammotest, une année impaire pour le cancer de l’intestin, et, bientôt, tantôt une année paire tantôt une année impaire pour un frottis: on s’y perd, on risque de faire un impair! Peut-être serait-il bon d’avoir une approche plus intégrée des ‘standards’ préventifs après 50 ans?
-la qualité a un coût en temps nécessaire entre la prise des clichés et la communication du résultat, la plupart du temps ‘rassurant’. La généralisation du mammotest digital doit aller de… pair avec un sérieux raccourcissement du délai (de l’ordre de 3 semaines aujourd’hui, alors que pour une mammographie diagnostique, sans deuxième lecture, sans assurance de qualité, le résultat est connu le jour même…).
Christian De Bock , d’après le rapport de l’AIM, avec l’appui de Valérie Fabri et Anne Remacle

(1) Epidemiological guidelines for quality assurance in breast cancer screening, 2007.
(2) Voir le Rapport AIM n°5 sur le site http://www.nic-ima.be
(3) En Flandre, les communes limbourgeoises de Lommel, Hamont-Achel, Bocholt et Neerpelt et les communes anversoises de Boechout et Lint ont atteint l’objectif de santé flamand à l’horizon 2012 de 75% de couverture, avec en prime une écrasante majorité de mammotests.