Un nouveau plan d’actions et un appel à une mobilisation générale
A l’occasion du lancement de cette campagne d’été, je voudrais, à partir des compétences de la Communauté française en matière de prévention, faire le point sur la lutte contre l’épidémie de sida. Faire le point mais aussi et surtout inviter tous les acteurs, et nous verrons que cela dépasse largement les spécialistes de la prévention du sida, à participer à une mobilisation vigoureuse contre ce fléau.
Il ne s’agit pas d’adopter une attitude catastrophiste ou émotionnelle mais bien de prendre la juste mesure du phénomène, de sa complexité, de l’évolution des mentalités en matière de vie sexuelle et des capacités scientifiques en matière de dépistage et de traitement.
Les constats
Les chiffres témoignent clairement de l’importance de l’épidémie (voir encadré). Il faut cependant pouvoir les interpréter avec nuance et en tirer des conclusions sur les stratégies à mettre en place.
Les oscillations d’une dizaine de cas par an depuis 3 ou 4 ans représentent une différence de moins d’ 1%. Par contre, la courbe générale des nouveaux cas observée sur une vingtaine d’années montre que la situation actuelle est comparable à celle que nous avons connue au début des années 90, alors qu’on avait constaté une diminution très significative vers 96.
Je retiendrai les éléments suivants:
– les nouveaux cas concernent surtout la tranche des jeunes adultes de 30 à 35 ans dans la population belge et les moins de 25 ans dans la population africaine;
– les conditions de transmission sont inconnues dans 1 cas sur 3;
– pour le reste, ce sont les populations originaires de l’Afrique subsaharienne et des pays européens autres que la Belgique qui sont le plus victimes de l’épidémie. Plus récemment l’Afrique du Nord et l’Amérique latine apparaissent à la marge dans les chiffres des victimes. C’est la communauté homosexuelle belge qui est la plus touchée.
– le phénomène reste un phénomène urbain essentiellement présent dans les grandes villes, majoritairement en région bruxelloise, en province d’Anvers et en région liégeoise.
Outre les chiffres, le constat et l’analyse doivent porter sur l’évolution des comportements et sur les conditions générales, scientifiques et sociales dans lesquelles évolue l’épidémie.
Sida et MST: évolutions récentes
Au cours de l’année 2002, 973 nouveaux diagnostics de VIH ont été rapportés dans le pays. Ce chiffre s’inscrit dans la ligne des années 2000 et 2001, et fait suite à l’importante augmentation observée entre 1997 et 2000 (+ 38%). Les chiffres actuels sont proches du pic observé en 1992. En ce qui concerne la répartition par sexe, par groupe d’âge et par catégorie de transmission, aucune modification significative n’est observée en 2002 par rapport à 2001.
En ce qui concerne les autres MST, il apparaît que, après une diminution très marquée au cours des décennies 80 et 90, les tendances s’inversent. Le Réseau des laboratoires vigies a signalé une recrudescence des enregistrements de gonococcies en 2001, confirmée en 2002, par rapport aux années précédentes. D’autre part, une augmentation des cas de Chlamydia trachomatis est observée en 2002. Parallèlement, le réseau sentinelle des Cliniciens a enregistré depuis l’année 2000 un nombre croissant de diagnostics de syphilis, principalement chez des patients masculins mentionnant des contacts homosexuels.
Extrait d’une communication du Dr André Sasse, de l’Institut scientifique de santé publique
Tout le monde s’accorde sur la moindre vigilance de tout un chacun par rapport au risque d’infection. Cette relative banalisation tient à de multiples facteurs conjoints:
1. La génération actuelle est née non pas avec l’émergence d’une maladie qui tue mais avec l’émergence des possibilités de traitement. L’assimilation avec la guérison – ce qui n’est pas le cas faut-il le rappeler -, l’illusion de l’espoir est certainement un élément de perte de la vigilance.
Moindre vigilance dans les comportements relationnels, moindre vigilance dans la qualité et la précision des informations sur le sida en milieu scolaire, moindre vigilance et moindre mobilisation du corps médical lui-même.
2. D’autre part les tabous autour de la sexualité sont encore loin d’être levés. Si la pornographie a connu des développements médiatiques ces dernières années, l’éducation affective et sexuelle n’en est encore qu’à ses balbutiements et connaît bien des difficultés à s’intégrer dans un cursus de formation.
3. Enfin, on voit apparaître des comportements qui cherchent à tester les limites du risque et se font les promoteurs d’une sexualité pseudo libérée, volontairement non protégée. C’est un comportement irresponsable.
Sur base de ces différents constats, je souhaite qu’ensemble, on puisse se remettre en ordre de marche. Car je suis convaincue qu’on peut faire mieux pour contrôler davantage ce fléau.
J’ai déjà réagi en rencontrant des professionnels du secteur qui m’ont fait part de leur lecture de la situation et qui ont esquissé quelques axes prioritaires de réaction qui me paraissent importants.
Un plan d’action en cinq points
C’est au lancement d’un plan d’actions en 5 points que j’invite tous les acteurs concernés par le sida, les MST et plus largement par la vie sexuelle et affective.
Ce plan fera l’objet d’une Journée de mobilisation, véritables Etats généraux, dans le courant du dernier trimestre 2003, à partir de laquelle les pistes que j’ai dégagées devront être mises en œuvre.
1. Un renforcement des campagnes de sensibilisation et d’information.
Le maintien d’un seuil permanent de sensibilisation «grand public» doit permettre d’accrocher des campagnes d’information destinées davantage aux publics plus vulnérables, pour lesquels les démarches doivent être plus spécifiques.
J’envisage dès lors, une nouvelle campagne audiovisuelle qui viendra compléter, par exemple, celle assurée par les humoristes Jannin et Libersky que je souhaite rediffuser rapidement.
Les moyens seront à cet égard renforcés.
2. Donner la priorité à des actions au bénéfice des communautés les plus touchées : la communauté gay et les communautés africaine et d’immigrations récentes.
Pour ces populations migrantes, se posent les questions de l’accueil et de l’accès à l’aide sociale et juridique, voire de l’accompagnement. Bref, de leur insertion sociale.
Toute action de prévention ne peut, en effet, se concevoir qu’en répondant parallèlement à ces différentes questions: certes des cas de séropositivité sont « importés » mais d’autres se contractent, ici du fait même des conditions de promiscuité, d’insalubrité, de prostitution et plus généralement de conditions sociales précaires.
Ces facteurs sont une des raisons d’interpeller mes collègues, non seulement Ministres de la Santé mais aussi des Affaires Sociales, de l’Egalité des chances, de l’Intérieur, de la Coopération au développement et de l’Enseignement, tant régionaux que fédéraux, pour envisager ensemble ces conditions.
A cette fin, je proposerai une réunion qui pourrait déboucher sur une Conférence interministérielle sida permanente.
3. Les jeunes doivent rester un de nos objectifs prioritaires.
Dès le plus jeune âge, une sensibilisation à l’éducation sexuelle et affective doit être entreprise. J’ai commandé un travail de recherche dans ce sens, qui fasse un premier état des lieux et dresse des perspectives. Sida et MST doivent s’inscrire dans une approche plus globale que purement médicale. Une journée y sera consacrée le 4 octobre.
Par ailleurs, je compte également toucher les jeunes via leurs médias privilégiés en développant des collaborations avec des chaînes thématiques (musicales).
4. Solliciter les relais.
Les professionnels du sida ne sont pas les seuls à devoir se remobiliser: les planning familiaux, les médecins généralistes et spécialistes, les équipes de Promotion de la Santé à l’Ecole, les milieux de jeunesse, les centres d’accueil et les services d’immigration: tous ont un rôle à jouer. Ils seront conviés à la journée de mobilisation à l’automne.
5. Organiser un nouveau programme de dépistage.
MSF a coordonné une concertation des acteurs du dépistage en Communauté française organisée à ma demande: centre de référence, CHU de Liège et de Charleroi, Centre de Namur, Centre Elisa.
On connaît aujourd’hui le bénéfice important d’un dépistage le plus précoce possible, pour à la fois traiter plus rapidement et diminuer au plus vite le réservoir de porteurs ignorants.
Le nombre de dépistages montre une légère augmentation – 550.000 dépistages réalisés l’an dernier – ce qui pourrait expliquer à la marge une légère augmentation du nombre de nouveaux cas.
La stratégie doit viser les populations les plus vulnérables, faciliter l’accès au dépistage et mobiliser les ressources de la Communauté française autour d’un même protocole.
Les moyens actuels consacrés à la prévention du sida sont de 1,537 million d’euros. C’est l’un des deux plus gros budgets «santé» de la Communauté française qui globalement atteint un peu plus de quinze millions d’euros. Nous consacrons donc un dixième de ce budget à la prévention du sida. Il faut encore y ajouter les nouveaux moyens dégagés dans le cadre du plan d’action pour la charte d’avenir de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, soit 31.000 euros.
Sans compter les espaces «télé» ou «radio », qui peuvent être gratuits pour la promotion de la santé sous certaines conditions, les campagnes audiovisuelles de sensibilisation ont coûté 90.000 € en 2002. Cette année, nous y consacrerons 155.000 € pour doubler l’impact: en effet, 2003 comptabilisera trois ou quatre campagnes contre deux en 2002.
La campagne ‘été 2003’
La campagne qui est lancée aujourd’hui va à la rencontre des jeunes et remet en circulation un outil d’information générale sur le sida, mais aussi et sans doute pour la première fois sur les autres maladies sexuellement transmissibles. Comme vous l’aurez sans doute lu, les maladies dues aux gonocoques et la syphilis sont en augmentation également. D’autres, comme les hépatites B et C, ont des modes de contaminations proches.
Le petit livre rose comble un vide et répond à des demandes fréquentes d’information. Un préservatif l’accompagne. Son utilisation reste le seul mode de protection efficace vis-à-vis de ces maladies, la vigilance éclairée.
D’autre part, la Communauté française va renforcer la logique de collectif d’achat de préservatifs initiée par la Plate-Forme Prévention Sida: aujourd’hui 600.000 préservatifs sont distribués chaque année. Doubler ce nombre pour rencontrer plus de jeunes (et de moins jeunes) dans plus de lieux et libérer des moyens d’actions pour les associations est un objectif à court terme.
C’est à une mobilisation générale et renouvelée qu’il s’agit de s’atteler. J’en appelle au secteur de la santé, mais aussi aux secteurs sociaux et administratifs d’accueil et d’éducation pour utiliser les leviers les plus pertinents par rapport aux constats que nous pouvons faire aujourd’hui: un problème grave, non guérissable mais davantage contrôlable.
Nicole Maréchal , Ministre de la Santé de la Communauté française Wallonie-Bruxelles