Octobre 2005 Par Véronique JANZYK Lu pour vous

Annie Ernaux livre dans «L’Usage de la photo» un remarquable témoignage sur sa maladie, un cancer du sein.
Tout commence par des photos. Le titre l’annonce: «L’Usage de la photo». Annie Ernaux et le nouvel homme de sa vie, Marc Marie, décident de prendre des photos de leurs vêtements éparpillés ici et là, matin ou soir. Comme des natures mortes de tissu, des paysages sentimentaux, des scènes de crime parfois quand la lumière est moins présente. Chacun à son tour commente les clichés.
Dès le début, la maladie est présente. Première rencontre avec Marc Marie ou presque: «Au cours du repas je lui ai dit j’aimerais vous emmener à Venise et ajouté aussitôt que je ne pouvais pas. J’ai un cancer du sein. (…) Il n’a manifesté aucun des signes, une imperceptible rétraction, un figement, par lesquels même les gens les plus éduqués ou maîtrisés laissaient passer malgré eux leur épouvante quand je leur annonçais que j’avais un cancer. Il a seulement montré du trouble au moment où je lui ai révélé que ma nouvelle coiffure, sur laquelle il m’avait beaucoup complimentée, était une perruque.»
De jour en jour, de nuit en nuit, le couple vit son histoire, la maladie en marge. A moins que la maladie pousse à vivre encore plus intensément les sentiments. «C’est comme si l’écriture sur les photos rendait possible le récit du cancer, explique Annie Ernaux. Comme s’il y avait un lien entre les deux. Comme si M. me faisait vivre au-dessus du cancer.»
«Rien n’était effrayant, poursuit-elle. J’accomplissais ma tâche de cancéreuse avec application et je regardais comme une expérience tout ce qui arrivait à mon corps. Je me demande si, comme je le fais, ne pas séparer sa vie de l’écriture ne consiste pas à transformer spontanément l’expérience en description. En France, 11% des femmes ont été, sont atteintes d’un cancer du sein. Plus de trois millions de femmes. Trois millions de seins couturés, scannérisés, marqués de dessins rouges et bleus, irradiés, reconstruits, cachés sous les chemisiers et les tee-shirts, invisibles. Il faudra bien oser les montrer un jour. Ecrire sur le mien participe de ce dévoilement. »
Et d’ajouter sur le rapport entre le cancer et les photos de vêtements: «Pendant des mois, mon corps a été investigué et photographié des quantités de fois sous toutes les coutures et par toutes les techniques existantes. Je me rends compte maintenant que je n’ai vu ni voulu voir quoi que ce soit du dedans, de mon squelette et de mes organes. »
V.J.
Annie Ernaux, L’Usage de la photo, Gallimard, 2005