Novembre 2004 Par M. DEVRIESE Initiatives

Composition alimentaire des cartables, messages délivrés par nos lieux d’éducation et offre alimentaire à côté des cours: des dentistes bénévoles sont revenus des écoles… sans le sourire
Il n’y aura pas de bulletin de bonne santé pour nos enfants sans aussi une bonne santé dentaire. La dégradation de la denture chez des personnes parfois bien jeunes n’est pas anodine en termes de bien-être physique et psychologique. Pour éviter les problèmes de caries (et de gencives), il n’y a pas de solution miracle – style pilule magique au fluor, improbable vaccin ou dentifrice parés des mille vertus que vantent leurs publicités. On rappellera que la carie est une maladie plurifactorielle, et partant, sa prévention repose sur des actions menées sur plusieurs de ces facteurs. Toutefois, une alimentation raisonnée est le facteur capital dans le maintien d’une bonne santé dentaire, pour ne pas dire… d’une bonne santé tout court.
L’expérience-pilote «Sourire pour tous» (1) récemment menée avec le soutien du ministre Demotte a permis à une équipe de dentistes bénévoles de notre Fondation de se rendre compte incidemment des habitudes alimentaires actuelles des enfants dans les écoles visées. Pas n’importe quelles écoles: des écoles primaires choisies car accueillant les enfants de familles parmi les plus défavorisées du pays.
Nos observations et réflexions se sont attachées à trois aspects.

La composition alimentaire des cartables

Tant en ce qui concerne le repas de midi, les boissons, les en-cas (pour les récrés) sans oublier les inévitables friandises, c’est pire que tout ce qu’on pouvait imaginer: absence quasi absolue de fruits et de légumes dans les «boîtes à tartines» de ces enfants. Nous sommes entrés dans l’ère du suremballage de mini-portions de biscuits en tous genres. Même le bon pain semble céder du terrain à des biscuits vitaminés bien plus attractifs.
Mais le déséquilibre le plus frappant se situe au niveau des boissons. Quand ce n’est pas la belle canette de 33 cl hypercalorique, ce sont ces briquettes de jus soi-disant de fruits qui constituent la boisson-règle.
En moyenne, un seul enfant par classe a de l’eau toute simple et toute pure dans son cartable.
Les sacro-saints «10 heures» suivent la même composition déséquilibrée. Vous imaginez impossible de remettre en cause cette habitude si ancrée? C’est pourtant ce qu’a fait un groupe de pédiatres dans la revue française «Archives de pédiatrie» en 2003, sous le titre «La collation de 10 heures en milieu scolaire: un apport alimentaire inadapté et superflu» (2). Les conclusions de ce comité de pédiatres sont sans appel: « En tout état de cause , par sa composition , son horaire , son caractère systématique et indifférencié , la collation matinale actuellement proposée aux enfants en milieu scolaire ne peut constituer qu’une réponse inadaptée à l’absence de petit déjeuner . Elle est superflue et néfaste pour la grande majorité des enfants de cet âge qui déjeunent le matin , et , dans tous les cas , pourrait favoriser la progression de l’obésité

Le «climat» alimentaire dans l’école

Quel modèle de consommation alimentaire est présenté à nos enfants? D’énormes efforts d’information alimentaire ont été faits à destination des écoles, avec la collaboration des enseignants. Une visite in situ suffit pour s’en convaincre. Vous trouverez des affiches expliquant la pyramide alimentaire. Vous y trouverez des affiches rappelant l’importance des fruits et légumes, mais vous ne trouverez pas une seule épluchure: « Vous comprenez , si je dois éplucher toutes les oranges des enfants , je ne fais plus que cela !» nous confia cette institutrice débordée.
L’école accueille volontiers du matériel pédagogique mis à sa disposition… par des firmes alimentaires. Une lecture critique de ces documents est-elle faite? Y trouve-t-on une éducation nutritionnelle réelle, ou plutôt y apprend-on les marques de l’industrie yaourtière? Y apprend-on que la source principale des céréales dans notre alimentation n’est pas le pain, mais les Corn Flakes enrichis en vitamines et en sucre?
Nos ministres communautaires sortants avaient eu la bonne idée d’organiser un symposium sur l’alimentation à l’école. Mais avant même de le commencer, il était déclaré qu’il n’y aurait aucune mesure contraignante, misant toutes les actions sur une «charte» à élaborer et à adopter sur base volontaire. Nous n’avons pas vu trace de cette charte dans les écoles visitées. Nous avons vu des distributeurs automatiques.
Les écoles n’ayant pas une équipe éducative pointue ne seront donc pas encadrées par des lignes directrices, pourtant des plus élémentaires, définies par circulaires. Au mépris des milieux les plus défavorisés… une fois de plus?

L’offre alimentaire de l’école

Elle dépasse bien largement la seule offre de l’éventuelle cantine de midi.
Certaines écoles visitées organisent une vente d’aliments lors des récréations.
« On a essayé des fruits , mais cela n’avait pas de succès . Et ils pourrissaient !» nous a-t-on répété. Ce qui est vendu avec succès, ce sont les paquets de chips, les biscuits, les friandises et les canettes de sodas. Cette vente est l’initiative d’un professeur, d’une classe, voire de la direction elle-même… Vous avez dit «éducatif»?
Débarquant à l’école pour une journée de promotion de la santé dentaire, nous avons été surpris de la présence fréquente de distributeurs automatiques de boissons et d’«en-cas».
Chacun sait que si on laissait les enfants composer eux-mêmes le menu du jour, on y verrait inscrit trop systématiquement frites, hamburgers et sodas. Laisser au libre choix des enfants un distributeur avec quatre sodas et une eau… Vous imaginez bien sur quelle boisson va se porter le choix de l’enfant.
Notre alimentation évolue vers une consommation déstructurée. La notion de repas cède du terrain. On mange «sur le pouce», en faisant autre chose. On grignote et on saute les (vrais) repas. Plus de petit-déjeuner mais les enfants ont un coup de mou à 10 h et des ados se «nourrissent» le midi d’un paquet de biscuits accompagné d’une canette.
L’offre de nourriture et de sodas se retrouve maintenant partout et à toute heure: à la pompe à essence, à la librairie, au cinéma, dans les couloirs du métro, dans les salles d’attente des hôpitaux et… dans les écoles. Le respect de cycles travail/repos est pourtant également valable pour le tube digestif.
Les distributeurs automatiques entraînent la définition d’un nouveau mode d’alimentation: manger n’importe quand des aliments pré-emballés sans possibilité de constituer une alimentation équilibrée, variée, faite de rations adaptées à chaque âge.
Mais avec quelle valeur d’exemple? Nous ne parlons pas ici des choix alimentaires d’un adulte informé et responsable mais de ce qui est proposé comme aliment-type à des enfants fréquentant l’école primaire, voire l’école maternelle attenante. Comment un enfant si jeune peut-il résister à l’attrait d’une machine qui fait deux fois sa taille, rétro-éclairée, délivrant le précieux nectar, faisant de lui un consommateur de purs produits du marketing?

Une école sans distributeurs de sodas, c’est possible

La Ville de Bruxelles a décidé de retirer les appareils de distribution de limonades et de bonbons de ses écoles maternelles et primaires à partir du 1er janvier 2005. A la place, la Ville installera des fontaines d’eau potable, meilleures pour la santé et ne produisant pas de déchets.
Michel Devriese saisit l’occasion pour inviter directions d’école, professeurs, pouvoirs organisateurs et parents à entamer un débat sur ce sujet.
La Fondation pour la Santé dentaire est prête au dialogue: fondation@sourirepourtous.be.

A propos de publicité, quelle victoire pour ces firmes qui sont parvenues à installer des panneaux éclairés de deux mètres carrés aux couleurs de leur marque dans l’enceinte des écoles! Toute forme de publicité n’est-elle pourtant pas interdite à l’école?
Observez également le petit jeu des enfants devant cette machine: il y a ceux qui ont les pièces pour alimenter la machine et ceux qui n’en ont pas. On imagine déjà l’enfant «scier» ses parents pour passer dans la catégorie de ceux qui ont la thune pour faire partie du groupe. En termes d’initiés, cela s’appelle du «marketing tribal»: le fait de consommer donne le droit d’appartenir au groupe.
On pourrait rêver à un autre modèle éducatif dans nos écoles. Car rappelons-le, nous parlons de l’environnement scolaire de jeunes enfants fréquentant l’école primaire.
Il ne s’agit donc pas simplement de la qualité de ce qui est vendu: le mode de vente par machine automatique est tout autant en cause.
Et ne nous y trompons pas: ces machines implantées au sein de l’école primaire sont facteurs d’inégalités sociales. Les enfants issus de familles les moins favorisées sont les moins bien préparés à résister à l’attrait de ces machines à sous. Au détriment de leur santé.
Des initiatives ont été menées dans les écoles pour redonner une place à l’accès à l’eau de distribution, telle l’opération «robinets-fontaines» (3). Lors des visites dans nos écoles, nous en avons rencontré quelques-uns. Nous avons entendu des commentaires aussi: « c’est pas propre », « les enfants jouent avec l’eau », « c’est tombé en panne », « les enfants ne boivent pas d’eau ». Pas étonnant si le distributeur de sodas est juste à côté…
En tant qu’acteur de terrain, nous plaidons pour une interdiction pure et simple des distributeurs automatiques dans l’enceinte de l’école primaire. Que cette interdiction provienne de l’autorité fédérale ou de notre nouvelle ministre de la Santé en Communauté française, Catherine Doyen-Fonck .
Il faut cesser de tenir des beaux discours ou se contenter de lancer des campagnes d’information. L’heure est venue de poser des actes. L’heure est venue d’être cohérent.
Prendre cette disposition ne requiert aucun moyen financier. Il suffit juste d’avoir la volonté politique. Avant qu’il ne soit trop tard?
Michel Devriese , dentiste, Coordinateur de la Fondation pour la santé dentaire
Pour évoluer vers un système de santé plus préventif, la Fondation mène des actions visant à améliorer la santé dentaire dans des écoles d’enfants de milieux défavorisés. Son adresse: Fondation pour la santé dentaire, av. De Fré n°191, 1180 Bruxelles. Tél:02 374 85 80. Courriel: fondation@sourirepourtous.be
Internet: http://www.sourirepourtous.be .
Article paru sous le titre ‘Zéro pointé pour l’alimentation à l’école’ dans La Libre Belgique du 1/9/2004, pages Débats, reproduit avec l’aimable autorisation du journal. (1) Voir dans le n°188 de mars 2004 ‘Sourire, un privilège?’ , ‘La Belgique a encore de belles dents, mais…’ et ‘La dent dure’ , par Myriam Marchand.
(2) http://sfpediatrie.com/upload/2/758/collation.pdf
(3) Voir dans le n°178 d’avril 2003 ‘L’eau du robinet, ça nous plaît’ , par Sylvie Bourguignon.