Dans le cadre du colloque «Santé mentale, santé sociale», organisé en octobre 2000 par la Commission de coopération et de développement de l’Association des services de psychiatrie et de santé mentale (CODAPSY), le Service de santé mentale «Le Méridien» avait invité Michel Toussignant (1)(Québec) à présenter une recherche en matière d’approche communautaire pour contrer le suicide.
Il était une fois Causapscal…
Il s’agit de l’histoire d’une petite localité du Nord-Est du Québec comptant quelque 2000 habitants. Cette communauté était confrontée à une sorte de phénomène de suicide par contagion: 6 suicides sur une période de 14 mois suivis de 10 tentatives de suicide graves. C’était une tragédie pour la communauté!
Mais pourquoi cette communauté-là? Vue de l’extérieur, cette petite ville paraissait un lieu idyllique: un endroit tranquille près d’une rivière où on pêche le saumon. Vue par les habitants, par contre, cette ville était un trou: elle souffrait de stagnation économique, les leaders de la communauté avaient migré, les jeunes partaient étudier ailleurs et ne revenaient pas, il n’y avait plus beaucoup d’activités non plus.
Le climat social se détériorait: il y avait une sorte de sentiment de jalousie entre les habitants qui n’acceptaient pas que l’un des leurs relève la tête. On n’osait plus non plus demander «Comment ça va?» de peur de recevoir des confidences pénibles, personne ne voulait plus entendre les difficultés ni la vulnérabilité de l’autre. La communauté était caractérisée par une sorte d’étanchéité sur les difficultés vécues par les individus. Mais rien n’était dit de cette difficulté.
A un moment donné, la population a commencé à se solidariser autour du problème. Des citoyens se sont unis à des intervenants communautaires pour contrer le suicide. Ensemble, ils ont proposé des actions collectives: ils ont organisé des Olympiades, auxquelles 10.000 personnes ont participé dans une ambiance très conviviale; ils ont distribué des rubans « V » pour symboliser la vie contre la mort, ils ont amené des bouquets de fleurs pour faire un V, ils ont aménagé des jardins communautaires, la Maison des jeunes a réalisé une pièce de théâtre,… Toutes ces actions collectives ont permis de recréer du lien social, de refaire circuler la parole, de redonner du sens.
La dynamique est venue de la communauté elle-même. Tous les gens ont participé à l’action collective, ce n’est pas resté un problème entre les seules mains des experts. La communauté a perçu ainsi qu’elle pouvait avoir une maîtrise sur son évolution, son destin.
Soutien social et résilience communautaire
Qu’est-ce que la communauté met en œuvre pour aider les individus à passer à travers les épreuves? Comment se structure-t-elle pour soutenir ses membres? Comment est-elle elle-même résiliente et renforce-t-elle la résilience de chacun?
Résilience?
Le mot de résilience est emprunté à la physique, il désigne la capacité de résistance d’un matériau à la pression et aux chocs. Transposé dans le domaine psychologique, il exprime la capacité de l’être humain à résister et à s’adapter à des situations difficiles. En latin, le verbe resilire ajoute une notion de ressaut, de revenir en sautant, de capacité de rebondir après avoir subi le recul du coup.
La théorie de la résilience veut favoriser une action sociale qui veillerait à développer davantage les facteurs de protection et non plus seulement les facteurs de risque. En ce qui concerne le sujet résilient, on cite le plus souvent l’estime de soi, la sociabilité, le don d’éveiller la sympathie, un certain sens de l’humour, le développement d’un projet de vie,… En ce qui concerne l’entourage, on (re)découvre l’importance de la famille ou plus précisément, la présence d’un ou de plusieurs adultes qui éveillent la conscience de l’enfant et lui font confiance. Plus largement, on évoque encore l’importance du soutien social. Autrement dit, la résilience cherche à mobiliser toutes les ressources (matérielles mais aussi philosophiques, morales,…) des personnes, de leur entourage, des réseaux sociaux, sanitaires, éducatifs afin de dégager pour les personnes concernées un nouveau chemin de vie.
(d’après un article de Christian Van Rompaey (En Marche n°12224, 4.01.2001))
Telles étaient les questions auxquelles cette communauté (mais aussi nos sociétés industrialisées) était confrontée: une communauté où la valeur de l’autonomie était prônée à l’excès, où on devait se débrouiller tout seul.
Un des suicidés, un jeune de 16 ans, s’était donné la mort dans la cour de l’école: il avait laissé une lettre disant «Oui, j’ai besoin de votre aide, de votre attention mais si je profite de votre aide, je suis un échec» et la seule issue pour lui a été de se suicider. Au départ, il a été considéré comme un héros local, tout le monde était venu à l’enterrement; en faire un héros, c’était une façon pour la population d’abdiquer la culpabilité, la responsabilité sociale.
Mais il a fallu changer les normes, changer l’idée qu’il faut se débrouiller tout seul dans la vie. La communauté s’est alors mobilisée pour structurer et aider les individus à surmonter les difficultés. C’est ce que les actions collectives ont permis de signifier aux membres de cette communauté, ce qui a permis de renouer le dialogue entre eux, de redonner une valeur positive aux échanges et au support que chacun peut apporter et recevoir. C’est ce processus de résilience communautaire qui a eu pour effet d’enrayer le phénomène suicidaire de la communauté.
Texte rédigé avec l’aide de Nathalie Thomas et Benoît Van Tichelen (Centre de santé mentale «Le Méridien») à partir de l’intervention de Michel Toussignant (1) Michel Toussignant est professeur de psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Après des recherches anthropologiques au Mexique et en Equateur, il poursuit ses travaux entre autres sur les comportements suicidaires chez les jeunes et sur les adolescents migrants.