Décembre 2009 Par Christian DE BOCK Stratégies

Au terme de la législature, Éducation Santé a rencontré pour vous Catherine Fonck, anciennement Ministre de la Santé de la Communauté française, pour un échange rétrospectif sur son action de 2004 à 2009.
Éducation Santé: Quel bilan pouvez-vous dresser de votre action 5 ans après avoir pris la responsabilité des compétences de la Communauté française en matière de santé? Cinq ans de stabilité à la tête d’un département, ce n’est pas si fréquent dans notre pays. Quels sont vos principaux motifs de satisfaction? Quels dossiers qui vous tenaient à cœur lors de votre prise de fonction avez-vous pu faire aboutir?
Catherine Fonck : Au vu de tous les projets développés et menés à terme, je suis vraiment satisfaite du bilan de ces cinq années. Il faut oser dire qu’en 5 ans, nous avons remis la Communauté française à la pointe du combat en matière de santé dans de nombreux domaines. En termes de dépistage , par exemple, je citerai notamment deux programmes bien lancés et rencontrant parfaitement des objectifs de prévention et promotion de la santé: le dépistage du cancer colorectal et le dépistage néo-natal de la surdité. En outre, tant pour le dépistage du cancer du sein que pour celui de la surdité, nous avons rattrapé notre retard par rapport à la Flandre (1).
En novembre 2006, j’ai lancé le programme de dépistage néo-natal de la surdité dans les maternités. Sur base volontaire, ce sont 43 maternités sur 47 qui adhèrent aujourd’hui au programme en Communauté française. Cela nous permet de dépister 90% des bébés (quelque 33 000 enfants ont été testés). On a ainsi pu recenser 44 déficiences auditives dont 32 chez des enfants sans facteurs de risque. Établir le plus tôt possible le diagnostic de surdité permet de mettre en place un mode de communication adapté à l’enfant le plus rapidement possible (langue des signes notamment), et de donner ainsi à l’enfant le maximum de chances pour une scolarité et une intégration réussies par la suite.
Et nous sommes aussi à la pointe pour le dépistage du cancer colorectal. C’est en 2006, suite à l’interpellation de gastroentérologues de tout le pays, que je m’étais engagée à étudier la possibilité de proposer un programme de dépistage du cancer colorectal en Communauté française. Très rapidement, l’idée a mûri et c’est avec l’aide d’un groupe d’experts que le programme a été conçu. Ce dépistage s’adresse à toutes les personnes de 50 à 74 ans.
Dès le début, j’ai insisté pour que le médecin généraliste en soit la pierre angulaire. Le programme est lancé depuis début mars 2009. Les premiers résultats sont encourageants avec une large adhésion non seulement de la population cible mais aussi des acteurs de la santé.
En termes de prévention des maladies cardio-vasculaires , j’ai développé, en collaboration avec mes collègues de l’Enseignement et du Sport, un important Plan de promotion des attitudes saines chez les enfants et les jeunes. Ce Plan s’inscrit dans le cadre du Plan national de nutrition santé (PNNS) au niveau fédéral. La majorité des mesures prévues ont été mises en place ou adaptées au vu de la réalité du terrain. Je constate avec intérêt que les enseignants, animateurs, mais aussi les parents sont en demande d’information pour valoriser des habitudes et des attitudes saines et parfois même développer des initiatives locales.
En termes de vaccination pour les nourrissons , grâce au recours aux vaccins combinés, 11 maladies infectieuses peuvent aujourd’hui être évitées. Dès le début de l’année 2007, j’ai intégré le vaccin contre le pneumocoque au calendrier vaccinal. De plus, les infections à rotavirus dont la vaccination n’est pas prévue dans le calendrier vaccinal font l’objet d’un remboursement INAMI. Selon les enquêtes réalisées en Communauté française en 2006 par Provac, la couverture vaccinale pour les nourrissons âgés de 18-24 mois tourne autour des 85%. Cela représente une augmentation de 34% par rapport aux résultats de l’enquête de 2003. Il sort des enquêtes de 2006 que les modifications du schéma vaccinal et l’introduction des nouveaux vaccins ont bien été suivies.
En termes de prévention des assuétudes , un ‘Programme d’actions de prévention des assuétudes en milieu scolaire’ a été mis en place. Depuis septembre 2007, l’interdiction de fumer à l’école est d’application et des points d’appui aux écoles en matière de prévention des assuétudes ont été créés. Ces points d’appui jouent le rôle d’interface entre les acteurs du milieu scolaire et les acteurs abordant la prévention des assuétudes.
Ces dernières années, la problématique de l’impact de l’environnement sur la santé a été de plus en plus présente, on peut réellement parler de thématique émergente. Pour assurer une gestion cohérente de ce type de dossier, j’ai mis en place, avec mes collègues Ministres régionaux de la Santé et de l’Environnement, une structure réunissant nos 3 cabinets et administrations respectives, la Task force Environnement-Santé. Elle permet de déterminer les éventuels risques liés à toute situation environnementale particulière (pollution de l’air, décharge, autres sites pollués…), et, si nécessaire, de prendre les mesures sanitaires qui s’imposent (communication vers les riverains ou suivi sanitaire par exemple), sans oublier les mesures spécifiques environnementales.
ES: Corollairement, quelles sont les questions qui vous laissent frustrée, voire sur un sentiment d’échec?
CF : Malgré toutes les énergies développées à propos du programme de dépistage du cancer du sein, je dois bien constater que ce dépistage n’a pas atteint son but. Seule une femme sur 2 bénéficie d’un dépistage régulier du cancer du sein. C’est insuffisant!
Outre des actions de sensibilisation vers les femmes (y compris vers les femmes plus défavorisées, moins réceptives à la pertinence du dépistage), de nombreuses rencontres avec les professionnels, la mise en place d’un logiciel performant pour les invitations et le suivi des personnes concernées, j’ai finalisé la centralisation de la deuxième lecture et depuis peu la reconnaissance de la mammographie numérisée. L’objectif est de permettre que les résultats arrivent plus vite vers le médecin traitant et donc vers les femmes, et de lever une série de freins à la participation au dépistage.
ES: On sait que le niveau fédéral des soins de santé est doté d’un budget non négligeable, de l’ordre de 23 milliards d’euros par an. La Communauté pour sa part doit se débrouiller avec environ 500 fois moins , pour gérer des matières pourtant aussi essentielles que la promotion de la santé, la vaccination, les dépistages, la promotion de la santé à l’école. N’y a-t-il pas là un déséquilibre aberrant, d’autant plus aberrant qu’il est établi que les soins de santé, quelle que soit leur qualité, ne contribuent que modestement à l’amélioration de la santé publique?
CF : Comme vous, je dois bien reconnaître que la prévention est le parent pauvre du budget de la santé dans notre pays. J’ai hérité de cette situation, mais je me suis battue pour obtenir des moyens supplémentaires importants, convaincue des bénéfices à moyen et long terme.
Ainsi, entre 2004 et 2009, soit durant cette législature, le budget initial est passé de 30,2 millions d’euros à 53,5 millions d’euros par an. On peut réellement parler d’un refinancement important au regard de l’évolution du reste du budget de la Communauté française.
N’oublions cependant pas que l’espérance de vie est certes liée à la santé en tant que telle, mais elle est aussi liée, et de façon prépondérante, aux autres facteurs que sont l’éducation, l’emploi, le logement, l’environnement. La prévention ne se joue donc pas uniquement dans les compétences de la santé, mais à travers de très nombreuses politiques.
ES: Ce déséquilibre budgétaire cruel entre prévention et ‘réparation’ incite régulièrement les politiques à plaider pour des paquets de compétence plus homogènes que ce n’est le cas aujourd’hui. On vous a entendue dire à plusieurs reprises qu’il vaudrait mieux faire marche arrière en ce qui concerne la santé, et renvoyer la médecine préventive et la promotion de la santé au niveau fédéral. Est-ce réaliste? L’évolution institutionnelle du pays ne nous indique-t-elle pas que l’homogénéité des compétences s’inscrit nécessairement dans une dynamique centrifuge? Je pousse même le raisonnement plus loin: les ‘cultures’ de la santé, de la prévention, de l’enseignement universitaire, des pratiques des professionnels ne sont-elle pas de plus en plus éloignées au Nord et au Sud du pays?
CF : Je pense en effet que renvoyer la prévention au niveau fédéral permettrait d’en augmenter les moyens, de bien mieux coordonner les politiques menées, et probablement de faire de substantielles économies d’échelle. Toutefois, comme vous le faites remarquer, il faudrait tenir compte des disparités entre le Nord et le Sud du pays. Cela ne pourrait se faire au détriment de ce qui existe aujourd’hui. Pour ce qui est de régionaliser la sécurité sociale, je ne peux absolument pas m’inscrire dans cette logique (qui coûterait d’ailleurs très cher aux contribuables flamands et francophones), sauf à dire que la Belgique n’existe plus…
ES: Toujours dans le domaine compliqué des savants équilibres ‘à la belge’, certaines choses n’ont pas trop mal fonctionné ces dernières années, comme la répartition des responsabilités du niveau fédéral et des entités fédérées dans le programme organisé de dépistage du cancer du sein ou le financement collectif et l’organisation de la vaccination. Pourquoi avez-vous choisi de jouer cavalier seul avec le nouveau programme de dépistage du cancer colorectal?
CF : Entendons-nous bien, je n’ai pas choisi délibérément de faire cavalier seul. Dès le début des réflexions du groupe de travail ad hoc, un représentant de la Communauté flamande y a été associé, et à plusieurs reprises j’en ai débattu en conférence interministérielle (réunissant les différents niveaux de pouvoir) pour tenter de mettre en place un projet commun sur tout le pays. Mais très rapidement, il est apparu que leurs projets étaient différents des nôtres.
De notre côté, avec les différents experts, nous avons estimé qu’il fallait mettre ce programme en place dans des délais rapides. Nous avons également opté pour une généralisation d’emblée à toute la Communauté française (la Communauté flamande s’est lancée dans un projet pilote sur quelques villes). En effet, de nombreux pays pratiquent déjà ce programme de dépistage depuis plusieurs années, il n’y a donc plus lieu d’en démontrer la pertinence et l’efficacité (gain clair sur la réduction de mortalité et sur l’incidence de ce cancer).
ES: Jusqu’il y a peu, les statistiques de naissances et de décès pour la Belgique étaient bloquées en… 1997. La situation s’est améliorée récemment, la Communauté française a mis les bouchées doubles pour rattraper son retard concernant les chiffres wallons (Bruxelles est dans ce domaine comme dans tant d’autres un cas à part). Un motif de satisfaction pour vous?
CF : Bien entendu. Au début de la législature, l’enregistrement des naissances et décès en Communauté française avait pris un retard de 7 ans! Celui-ci était notamment dû à l’encodage et au codage entièrement manuel. J’ai donc demandé que l’Administration y accorde un haut degré de priorité et puisse y apporter une solution efficace et rapide. La Communauté française a opté pour une solution de lecture optique et un traitement informatisé des documents. Ce système de reconnaissance permet de traiter des volumes importants de documents en un minimum de temps.
Ces mesures ont porté leurs fruits puisque le retard au niveau de l’encodage des certificats de naissances et de décès de moins de 1 an est actuellement entièrement résorbé et qu’une première publication concernant les données de l’année 2004 a été envoyée à l’ensemble des médecins de la Communauté française. De même, la situation est en bonne voie pour les certificats de décès de plus de 1 an.
ES: La médecine scolaire a eu certaines difficultés à gérer le décret qui marquait l’évolution de ses fonctions d’une approche traditionnelle de bilans de santé réguliers au cours de la scolarité des enfants vers la promotion de la santé à l’école qui vise une approche plus globale de l’élève et cherche à mobiliser l’ensemble de la communauté éducative. Pouvez-vous affirmer aujourd’hui que la ‘sauce a pris’?
CF : De gros investissements ont été faits dans le secteur de la promotion de la santé à l’école.
Un des grands chantiers a été l’instauration du projet de service. Depuis la rentrée 2007, les services PSE sont amenés à définir un projet de service à la place d’un projet de santé. Cette modification de décret leur permet de définir une offre qui corresponde à la fois aux besoins prioritaires de la population scolaire avec laquelle ils travaillent et à leurs compétences spécifiques, tout en tenant beaucoup mieux compte de la réalité de terrain.
En termes d’accords du non-marchand, des avancées significatives ont été menées et ont permis d’améliorer de façon substantielle les conditions du personnel salarié des services.
Des efforts ont également été réalisés pour améliorer la situation des médecins scolaires. La médecine scolaire reste peu attractive pour les médecins pour de multiples raisons: faible rémunération, pas de remboursement des frais de déplacement pour les visites médicales, absence de statut ou diversité des statuts, numerus clausus… La conciliation de ces deux activités n’est guère aisée d’autant plus que chaque médecin scolaire avait l’obligation de prester au minimum 40 heures par mois en cette qualité, leur faisant perdre dès lors, plusieurs matinées de pleine rémunération.
Pour vous donner un exemple, ce quota minimal d’heures de prestation a été diminué, le limitant à un seul médecin par service, en veillant toutefois à ce que chaque service puisse bénéficier d’une structure médicale stable. Les efforts doivent absolument être poursuivis, sous peine de mettre à mal la poursuite de la médecine scolaire.
J’ai également simplifié les procédures d’agrément et de calcul des subventions, ainsi qu’allégé la récolte des données sanitaires en milieu scolaire, pour faciliter et soulager au mieux les acteurs des centres de santé.
ES: On a pu constater au cours de la législature qui s’achève que vous n’avez pas votre langue en poche. Pouvez-vous nous citer l’une ou l’autre situation qui vous ont particulièrement énervée?
CF : Le bon sens et le pragmatisme sont parfois bien mis à mal par certaines idéologies ou par des débats qui ne me semblent personnellement pas prioritaires (comme par exemple les débats communautaires). De même, les cadres juridique, budgétaire et politique créent une certaine inertie par rapport à ce que l’on veut mettre en place… C’est toute la différence entre le «il n’y a qu’à» et la concrétisation des projets qui doit, elle, respecter les différentes règles en vigueur!
ES: J’ai eu l’occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises au cours de ces 5 années, et il m’a semblé que le sérieux de la fonction ministérielle ne vous empêchait pas de vous amuser dans ce que vous faites. Je me trompe?
CF : Si s’amuser, c’est prendre du plaisir dans ce l’on fait, alors le sérieux de ma fonction ne m’a pas empêchée de m’amuser, que du contraire! Je me suis investie à 300% dans ma fonction, et j’ai vécu ces 5 années avec passion!
Propos recueillis par Christian De Bock 1 Catherine Fonck est bien consciente du fait que le programme ‘mammotest’ fonctionne mieux dans le nord que dans le sud du pays; elle estime que l’objectif prioritaire doit être de convaincre plus de femmes de faire régulièrement le dépistage, que ce soit dans le cadre du programme organisé ou non (ndlr).