Lors des journées de réflexion et d’échanges autour du projet de société hérité de la Charte d’Ottawa, en novembre 2016 à Lyon, Christine Ferron, déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé (Fnes) en France, a pointé les lacunes du secteur en matière de plaidoyer, l’une des trois stratégies d’action plébiscitée par la charte. Qu’à cela ne tienne, il est toujours temps d’apprendre et de développer ses compétences individuelles et collectives.
Sous l’intitulé «Plaidoyer pour la santé», les rédacteurs de la Charte d’Ottawa ont inscrit cette phrase : «La promotion de la santé a précisément pour but de créer, grâce à un effort de sensibilisation, les conditions favorables indispensables à l’épanouissement de la santé.»
Un effort de sensibilisation, dites-vous? S’il n’en fallait qu’un, il y a longtemps que les valeurs et les principes de la promotion de la santé auraient conquis le monde, irrigué toutes les politiques publiques, convaincu chacun de la pertinence d’une approche globale de la santé prenant en compte ses multiples déterminants, conféré aux individus et aux populations les moyens de participer au déploiement de leur propre santé…
Force est de constater que nous n’en sommes pas là. Pas encore. C’est donc qu’un effort de sensibilisation n’a pas suffi et qu’il faut en faire d’autres. Plaider en faveur de la promotion de la santé, la défendre même, comme un avocat son client. Advocate, disent les anglo-saxons. Pour Christine Ferron, déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé (Fnes, France), plaider revient à «promouvoir le projet de société porté par la Charte d’Ottawa dans tous les espaces possibles : professionnels, personnels et dans toutes les instances où l’on est impliqué à quelque titre que ce soit, afin de faire entendre la conception et l’éthique de l’action en santé publique propre à promouvoir la santé.»
Un travail de tous les jours, notamment auprès des institutions et des élus, sur son lieu de travail et dans son environnement professionnel mais aussi dans la vie quotidienne avec les membres de sa famille, ses amis, ses relations. «On ne cesse pas d’être porteur de cette vision de la société quand on ferme la porte de son bureau le soir», s’amuse Christine Ferron.
Cependant, l’exercice, jamais terminé, peut user à la longue. «Au départ, nous pensions faire du plaidoyer pendant un temps puis qu’il deviendrait moins nécessaire parce que la culture de la promotion de la santé aurait infusé les actions et les décisions politiques. Nous nous serions alors positionnés plutôt en soutien. Or nous devons continuer, encore et toujours.
On a même parfois l’impression d’un retour en arrière autour de notions que l’on croyait acquises au niveau politique. Je pense par exemple à la prise en compte du gradient social ou encore aux calamiteuses campagnes de prévention par la peur, dont on sait pourtant qu’elles donnent des résultats très discutables et au sujet desquelles il n’y a même pas de débat !»
Doucement mais sûrement
Il y aurait de quoi baisser les bras, à moins d’y regarder de plus près. «Tous les événements organisés en 2016 autour des 30 ans de la Charte d’Ottawa ont rassemblé des centaines de personnes», rapporte Christine Ferron. «Cet intérêt manifeste m’incite à penser que le soufflé n’est pas retombé et que les efforts portent.»
Il y a aussi toutes les dynamiques contribuant à la reconnaissance de la promotion de santé comme démarche efficace, pertinente et utile pour améliorer la santé des populations, à l’instar des travaux sur la promotion de la santé fondée sur des données validées par la recherche ou l’expérience, des initiatives en faveur du partage et de l’application des connaissances (PAC), ou des appels à projets récurrents en recherche interventionnelle [1].
Autant de raisons de croire que le plaidoyer porte ses fruits, doucement mais sûrement, et que cela vaut la peine de s’accrocher. Pour autant, les tentatives pour faire entendre la voix de la promotion de la santé ne sont pas toujours concluantes. Les membres de la Coalition Promotion Santé française créée en 2013 au moment de l’élaboration de la stratégie nationale de santé en savent quelque chose, eux qui se sont essayé au plaidoyer politique à l’échelon national. La Fnes en faisait partie, parmi d’autres associations d’horizons divers mais partageant valeurs et principes d’action. La coalition a rédigé un manifeste qui a été transmis à la ministre de la Santé avant d’être diffusé dans les régions. Puis la loi de modernisation du système de santé français a vu le jour et il a bien fallu regarder la réalité en face : «Il y a des avancées en matière d’actions sur l’environnement et de réglementation. Ceci dit, le résultat est décevant par rapport aux ambitions que nous portions, autour de l’intersectorialité et des approches territoriales notamment.»
Limiter le nombre de messages
Le message n’est probablement pas bien passé, ou n’était pas audible, ou s’est heurté à d’autres messages plus forts, plus clairs ou plus convaincants que lui.
« On n’est pas bon sur les messages”, reconnaît Christine Ferron. «On veut trop en dire, ne rien omettre des orientations que nous portons, et cela nous dessert.»
Et si le secteur ne devait porter que deux messages? «Le premier valoriserait les approches par milieux de vie. Le second mettrait en avant, preuves scientifiques à l’appui, l’intérêt qu’il y a à investir dans la promotion de la santé pour économiser des fonds publics et maintenir la soutenabilité de notre système de soins.»
À défaut de convaincre dans les ministères, le plaidoyer auprès des élus, quel que soit leur niveau d’exercice du pouvoir, reste utile en vue d’atteindre une masse critique et d’infléchir les politiques. «On sait que les élus parlent aux élus et qu’ils sont les mieux placés pour montrer à leurs homologues que c’est faisable.»
Quant au plaidoyer auprès des populations, rien de tel que les rencontres de terrain pour lui donner corps. «C’est ce que font chaque jour un grand nombre d’acteurs de proximité, parfois sans le savoir : les enseignants, les référents santé des missions locales, les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse, les travailleurs sociaux, etc.» À chaque fois que l’un d’eux invite un groupe à réfléchir sur ce qui produit de la santé ou au contraire la met en péril dans le milieu de vie où il exerce, il distille un peu de promotion de la santé.
Les réseaux sociaux constituent un outil de communication qui pourrait également être mis à contribution, à condition de s’en servir habilement. «Nous avons tout à apprendre dans ce domaine», concède Christine Ferron. La Fnes réfléchit actuellement à une expérimentation de participation citoyenne et de démocratie en santé faisant appel aux réseaux sociaux et s’interroge sur la pertinence d’ouvrir un espace étiqueté promotion de la santé. «Ce terme n’est ni compréhensible ni fédérateur. Sans doute serait-il plus judicieux de nous greffer sur des communautés numériques déjà constituées et qui portent en germe, sans le savoir, une démarche de promotion de la santé.»
[1] Voir notamment dans Éducation Santé les articles suivants: ‘Part age et application de connaissances’, Anne Le Pennec, Éducation Santé n° 329, janvier 2017, http://educationsante.be/article/partage-et-application-de-connaissances-pac/ et ‘François Baudier, invité de la ‘dernière’ du Conseil supérieur de promotion de la santé’, Carole Feulien, Éducation Santé n° 320, mars 2016, http://educationsante.be/article/francois-baudier-invite-pour-la-derniere-du-csps/