Septembre 2017 Par Mara BARRETO Réflexions

La prescription : avant, pendant et après…

On parle souvent de la (poly)médication chez la personne âgée. Toutefois, la question relative à la manière dont les seniors se représentent le moment où l’on prescrit leurs médicaments est plus rarement posée.

Il nous a, dès lors, semblé nécessaire de dialoguer avec les premiers concernés afin de mieux comprendre la relation qu’ils entretiennent avec leurs médecins et avec leurs médicaments. Dans le cadre d’une étude qualitative, des entretiens individuels ont été menés avec cinq seniors âgés de 62 à 77 ansNote bas de page.

Partant de questions prédéfinies et au regard des thèmes émergents lors des rencontres, le contenu de chaque entretien a été réparti en cinq sous-thèmes :

  1. Le vécu de la relation avec le médecin généraliste
  2. La prescription : avant, pendant, après
  3. Le degré de confiance vis-à-vis du médecin
  4. La place de tiers (pharmacien, internet…)
  5. Le médecin idéal

Les seniors interviewés se sont accordés à dire que le médicament n’est pas la seule réponse qu’ils attendent du médecin. Ils ont souvent des idées concernant leur traitement, même si parfois, ils n’osent pas les exprimer. Certains affirment même avoir essayé d’en discuter mais ne pas s’être sentis suffisamment écoutés :

« Je ne veux pas le déranger parce qu’il y a des gens qui attendent… Ça fait partie des conventions de la vie, des contraintes que l’on se crée soi-même… Je ne peux pas dire qu’il regarde l’heure mais je suppose que c’est un rythme qu’il a adopté et qui consiste à faire des RDV de plus ou moins un quart d’heure. » (Éloïse, 76 ans).

Pour eux, le médecin reste la source d’information privilégiée en ce qui concerne les maladies et le traitement médicamenteux sur prescription mais la majorité consomme aussi des médicaments sans ordonnance sur l’avis du pharmacien.
Même s’ils partent du principe que le médecin « sait ce qu’il prescrit », leur attitude est moins résignée en ce qui concerne la prise de médicaments à long terme. En effet, la majorité des seniors ont déjà arrêté des médicaments de leur propre chef ou se sont adressés au généraliste pour en stopper certains qu’ils prennent de manière chronique mais qu’ils ne considèrent plus nécessaires.

À première vue, leur discours pourrait renforcer l’idée qu’ils mettent leur médecin sur un piédestal. Celui-ci correspond surtout à leur représentation sociale de la profession médicale car chacun porte en soi l’image d’un médecin « idéal ». Quand ils développent ces idées au sujet de leur propre médecin, leur discours prend une autre tournure :

« J’ai vraiment envie de changer, vu son âge. Je le trouve vieux… Je me dis que ce n’est peut-être pas prudent de continuer à y aller… Depuis qu’il a vieilli, quand je lui dis que j’ai mal quelque part, il me répond que lui aussi… Un jour je vais lui dire que j’ai mal à l’utérus pour voir ce qu’il répondra !… Le jour où je sentirai que j’ai vraiment un problème de santé, je changerai de généraliste. » (Ange, 72 ans).

La démarche des seniors interviewés ne se limite pas à la demande de renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux. Ils prennent aussi l’initiative d’aller voir leur généraliste pour mettre à jour leur DMG, pour se faire vacciner, pour demander une prise de sang… En revanche, ils ont l’impression que le renouvellement d’un « abonnement » médicamenteux provient plutôt de leur médecin :

« Tous les médicaments que je prends sont prescrits par des spécialistes et quand j’en ai besoin parce que je tombe en panne, elle me donne des prescriptions… sept médicaments au total… Mon généraliste trouve bien tous les médicaments que je prends… Elle ne conteste pas… » (Françoise, 67 ans).

En outre, la majorité considère que leur médecin n’a pas, à certains moments, assumé complètement son rôle ou qu’il s’est trompé :

« Il y a un truc qui m’a interpelée. Je lui ai apporté mon dossier médical mais il ne l’a pas regardé. Il m’a envoyée voir le cardiologue… pour un examen de routine… Le spécialiste m’a dit que c’était plus qu’une routine ! Je n’ai pas trouvé ça sérieux… J’ai été un peu refroidie avec cette histoire… Je lui laisse le bénéfice du doute. » (Lucie, 77 ans). De plus, certains seniors témoignent d’un manque ou d’une perte de confiance vis-à-vis des médecins en général :

« Je lui fais confiance dans l’ensemble mais il ne faut pas oublier qu’il est seulement généraliste… Il faut avoir un généraliste et il n’y a pas de médecin parfait… Le médecin généraliste est un mal nécessaire. »
(André, 62 ans).

Les seniors interviewés prônent un mode relationnel (plus) symétrique, de type coopération-partenariat ou autonomie-facilitation, y compris en termes de prescription médicale. Ce type de relation médecin-patient peut se construire seulement si le médecin comprend les besoins mais également les demandes latentes du patient.

Nous avons vu que le temps consacré au patient est un sujet sensible et il est important qu’il ne se sente pas expédié. La disponibilité du médecin n’est pas non plus un point à négliger : elle permet au patient de se sentir reconnu, compris, accompagné. Le patient attend de son médecin qu’il lui montre toute la valeur qui lui est accordée. C’est au médecin d’aider le patient à s’exprimer en toute liberté, à l’impliquer dans la stratégie thérapeutique et à lui donner la place qu’il mérite en tant que partenaire de soins.

Il est vrai que pour certains patients, les actes médicaux sont assimilés à des produits de consommation et le médecin doit subvenir à tous leurs besoins. Le rôle du médecin n’est pas de « faire plaisir » au patient à tout prix mais de le reconnaître dans toute sa complexité, ses ambivalences, ses contradictions… Le patient ne veut pas être perçu comme un organe mais comme ce qu’il est : une entité à part entière.

L’acte de prescrire n’est pas un acte anodin. Chaque prescription renvoie le patient « à ses représentations imaginaires, qui viennent recouvrir les explications rationnelles du médecin… C’est en interrogeant le malade sur ses représentations, en partant de son point de vue, que le médecin peut accéder au sens que le malade donne à une maladie, un symptôme, à une thérapeutique »Note bas de page.
Dans une relation qui devient facilement asymétrique et en termes de prescription médicale, le médecin se doit d’adopter des pratiques qui visent à favoriser l’empowerment de ses patients seniors. Une prise de conscience non seulement des médecins mais aussi des seniors est nécessaire afin de mener à bien cette démarche.

Découvrez l’étude complète : « Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?

La prescription : avant, pendant et après… » sur :www.espace-seniors.be/Publications/Etudes/Pages/seniors-medecin.aspx

I. Moley-Massol. Relation médecin-malade : Enjeux, pièges et opportunités Situations pratiques. Le Pratique, Da Te Be Éditions
Courbevoie, 2007.

Pour des informations sur la méthodologie : Étude Espace Seniors : Comment les seniors vivent-ils la relation avec leur médecin ?
La prescription : avant, pendant et après…
Disponible sur : http://www.espace-seniors.be/Publications/Etudes/Pages/seniors-medecin.aspx