Le 2 octobre dernier, pendant un colloque consacré à une réflexion prospective sur l’organisation des soins de santé à l’horizon 2020 (1), plusieurs intervenants ont plaidé avec une belle unanimité pour que la ‘prévention’ reçoive enfin l’attention et les moyens qu’elle mérite. Jusque là, rien de bien extraordinaire: pendant que le secteur curatif flirte maintenant avec les 23 milliards de dépenses annuelles (2), les beaux esprits aiment à rappeler les limites d’interventions réparatrices qui passent à côté des déterminants principaux de la ‘bonne’ ou ‘mauvaise’ santé.
Ce qui était par contre plus frappant, c’était l’affirmation, tant par le médecin directeur d’un hôpital universitaire du nord du pays que par le responsable académique de la formation des généralistes d’une université francophone, qu’ils étaient l’un et l’autre le mieux placé pour se charger d’organiser avec leurs pairs une prévention efficace!
Passé le premier moment d’incrédulité, voire de légère irritation, je me disais qu’il y avait sûrement de la sincérité dans ces affirmations, et qu’à côté d’une médecine de plus en plus technicienne et morcelante, l’idée de la complexité percole lentement, y compris dans les milieux les plus imprégnés de certitudes scientifiques, bien forcés d’admettre que le ‘patient rationnel’ qui prend les bonnes décisions sur base des bonnes informations n’a pas encore été inventé.
Cela dit, les conférenciers n’ont pas explicité ce qu’ils entendaient par ‘prévention’, ce qui m’a probablement épargné une poussée d’urticaire…
Un mot aussi simple va de soi, nul besoin de le définir, non? Le présent numéro d’ Éducation Santé exprime l’idée contraire qu’il est toujours fécond de revisiter les ‘vieux’ concepts. Le séminaire organisé par l’APES en mars dernier nous en a donné l’occasion, et ce dossier nous permet de revenir sur quelques questions fondamentales en approfondissant quelques pistes de réflexion; en guise peut-être d’amorce d’un débat à continuer par les lecteurs.
Le travail dont vous allez prendre connaissance accompli, Chantal Vandoorne et Gaëtan Absil , les chevilles ouvrières de ce numéro, m’ont fait part de leur crainte: en se voulant réflexifs ces textes ne donnent-ils pas une image quelque peu lugubre d’un ‘nouveau’ paradigme qui n’arrive pas à s’imposer dans les faits; d’un cadre réglementaire qui, passé les principes généreux suscitant de tous une adhésion intellectuelle sans conséquence, ne fonctionne pas comme on le voudrait; de travailleurs désorientés qui bien souvent n’arrivent pas à transmettre au sein même de leurs institutions la beauté et le sens de leur action; d’une organisation en Communauté française qui a fait le pari de la dispersion plutôt que de la concentration des énergies… Et ce sans même évoquer les complexités institutionnelles belges qui font que rien n’est jamais acquis dans notre petit pays si compliqué.
Vu comme cela, pas de quoi pavoiser, en effet.
Personnellement, ayant la chance de suivre ces questions depuis longtemps, ayant eu aussi le privilège de présider le Conseil supérieur de promotion de la santé au lendemain du vote du décret qui aujourd’hui encore régit la promotion de la santé dans notre Communauté, je mesure le chemin parcouru depuis une bonne vingtaine d’années. Les incertitudes qu’il nous faut gérer, les interrogations pertinentes d’hier comme d’aujourd’hui, la nécessité de ‘faire avec’ des budgets dérisoires ont généré des réflexions intelligentes et des trésors de créativité. J’ai la faiblesse de croire que les pages qui suivent en sont un reflet modeste, lucide et fécond. En prime, pour vous récompenser de votre fidélité, j’ai le plaisir de vous offrir en supplément détachable de ce numéro un peu particulier un spectaculaire panneau didactique vieux d’une petite centaine d’années. Cela nous fait sourire aujourd’hui, mais la communication en santé a-t-elle vraiment changé tant que cela? Belle question pour un prochain numéro spécial d’Éducation Santé, qui sait?
Christian De Bock , rédacteur en chef
(1) ‘L’hôpital sans ses murs’, journée organisée à Louvain-la-Neuve par la Mutualité chrétienne à l’occasion du dixième anniversaire de la société ‘Solimut’.
(2) Pour la Communauté française, le budget de la santé tourne autour de 40 millions d’euros en 2009. Nous y reviendrons.