Les périodes électorales voient fleurir les mémorandums en tous genres. C’est d’autant plus vrai dans notre pays qui doit gérer un grand nombre de scrutins à tous les niveaux, vu sa complexité institutionnelle. Le secteur socio-sanitaire est rompu à ce type d’exercice, étant donné le morcellement des compétences ayant trait à la santé en Belgique.
On s’attend moins sans doute à ce que les élections communales inspirent à leur tour un travail de sensibilisation des politiciens à l’échelon local sur des enjeux qui semblent se régler à un tout autre niveau, fédéral, régional ou communautaire.
Ce n’est pas l’opinion de la Plate-forme d’action santé et solidarité (voir encadré), qui a profité des élections d’octobre 2012 pour rédiger à l’intention des candidats un mémorandum très ‘engagé’.
Ce document de 16 pages (téléchargeable sur le site http://www.sante-solidarite.be ) propose trois pistes aux décideurs locaux (extrait) :
Une politique de santé transversale et intersectorielle
Certains pays ont une politique plus développée qui fait systématiquement concorder différents champs de compétences politiques à la politique de santé et vice versa. En Belgique il est donc également important que la politique de santé des communes soit transversale et intersectorielle. Elle peut agir via la promotion de la santé, la prévention et l’éducation pour la santé, notamment en agissant sur les déterminants sociaux de la santé par un travail en collaboration avec tous les acteurs locaux concernés. La répartition des revenus, le marché de l’emploi, l’habitat, l’aide sociale, l’enseignement, les activités socioculturelles, l’égalité des chances, l’environnement et l’aménagement du territoire doivent faire l’objet d’une politique locale intégrée et holistique afin d’assurer une bonne santé à tous les citoyens.
Le lien entre la politique socio – économique et la santé devrait être intégré dans l’organisation des politiques communales. L’échevin de la santé, le cas échéant, devrait travailler en étroite collaboration non seulement avec le président du CPAS de la commune mais aussi en synergie avec l’ensemble des autres échevins au bénéfice de la santé. Toute mesure prise par les pouvoirs publics devrait être évaluée au regard de son impact sur la santé de tous ses habitants, à l’instar de ce qui existe au Québec par exemple.
Des initiatives locales au service de la population
La prévention et la promotion de la santé doivent aller à la rencontre de toutes les personnes concernées, dans leur milieu de vie, par le biais d’actions locales. L’universalité des services et des initiatives est une condition pour conserver et consolider une base forte pour la protection sociale. L’universalité de la santé s’appuie sur une accessibilité (financière, culturelle, géographique, etc.) pour tous.
Le principe de l’universalité ce n’est pas, «faire la même chose pour toutes et tous». Il faut une approche diversifiée selon les publics pour offrir les mêmes services pour toutes et tous.
La précarité économique est un déterminant prépondérant sur la maladie. Agir contre la précarité via une approche par quartier est une responsabilité de l’ensemble des politiques communales et pas seulement des CPAS. Dans une approche par quartier, une politique de santé locale et globale doit concerner tous les domaines d’activité. C’est-à-dire viser à améliorer l’environnement et les espaces collectifs, encourager le développement de services (crèches, haltes garderies, politique de mobilité, accès à la culture et au sport…). Mais aussi, concrétiser le développement des compétences (formation, apprentissage, insertion professionnelle) et revaloriser les quartiers et l’habitat au moyen de projets locaux d’économie sociale au sein desquels les habitants peuvent trouver un emploi.
Plus encore qu’une collaboration entre les divers échevinats et les acteurs locaux, la création d’un contexte dans lequel les habitants peuvent participer pleinement à la vie politique et sociale de leur commune est fondamentale. La participation à la politique, via les conseils consultatifs par exemple, et le développement d’une vie sociale locale ont de façon indirecte une influence sur la santé : celui qui sent qu’il a son mot à dire dans la société est en meilleure santé.
Une gouvernance locale au service de la santé des habitants
La gouvernance, la collaboration entre les représentants et l’implication citoyenne dans l’élaboration et la mise en oeuvre de stratégies politiques, est un élément fondamental. Ce principe présente de nombreuses facettes. Nous en retiendrons deux qui peuvent avoir un impact sur l’amélioration de la santé des habitants de la commune.
Transparence et participation citoyenne
Les mécanismes de transparence et de participation citoyenne sont fondamentaux, à savoir l’implication dans l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques communales des forces vives, telles que les associations locales, de fait ou de droit, les mutualités, les entreprises et les personnes ou groupes de personnes qui ont des activités sur le territoire de la commune. Dans cette optique, la commune est appelée à développer et renforcer le rôle des techniques de participation citoyenne, notamment la généralisation du droit d’interpellation directe lors des conseils communaux, la facilitation de la mise en oeuvre des consultations populaires communales, le développement de la technique des budgets participatifs.
Rôle d’exemple en matière de conditions de travail de ses travailleurs et de concertation sociale
À l’heure de la dégradation continue des conditions de travail, notamment par le biais du développement de contrats de travail atypiques et la mise à mal de la concertation sociale, l’administration communale a plus que jamais un rôle d’exemple à jouer pour promouvoir des emplois durables, des conditions de travail dignes et la promotion d’emplois de qualité, ainsi qu’une politique de concertation sociale large et ouverte. Elle sera d’autant plus crédible à promouvoir de telles politiques sur son territoire, qu’elle les appliquera elle-même.
Des porte-paroles éloquents
Lors de la présentation de cette initiative citoyenne, nous avons été frappé par la forte conviction des trois intervenants de la plate-forme.
Jean Hermesse (Mutualités chrétiennes) rappela toute l’importance du niveau communal dans une approche globale de la santé, importance souvent sous-estimée par les élus locaux. Il souligna aussi que les inégalités sociales de santé se marquent fortement à l’échelon local, un exemple bruxellois très frappant à l’appui. En citant quelques leviers de l’action communale en la matière, il montra aussi que des choix judicieux en termes d’impact sur la santé des habitants ne nécessitent pas des moyens hors de portée des finances communales, mais plutôt l’intégration d’un ‘nouveau’ paradigme valorisant les déterminants non biomédicaux de la santé.
Isabelle Heymans (Fédération des maisons médicales) plaida avec beaucoup de vigueur et quelques exemples séduisants pour l’implantation d’un véritable axe de la santé au niveau local, et pas seulement pour la mise en place d’échevinats de la santé cantonnés à une stricte politique sanitaire.
Elle mit aussi en évidence le rôle intermédiaire des provinces (le scrutin d’octobre se jouait aussi à ce niveau dont l’utilité est régulièrement contestée depuis quelques années), défendant le travail de certains observatoires non seulement en matière de récolte et d’analyse des données épidémiologiques, mais aussi d’interventions de promotion de la santé.
Pour sa part, Jean-Marie Léonard (ancien du SETCa) mit en évidence l’impact délétère des ‘rationalisations’ en cours dans les services locaux à la population (fermeture de bureaux de poste, de mutuelle…), car si la richesse des contacts sociaux contribue à la santé, la raréfaction de ceux-ci renforce évidemment l’isolement, en particulier des moins mobiles, des plus fragiles. Il déplora aussi l’‘angle mort’ entre le monde du travail et celui de la santé, quand la première ligne est amenée à gérer autant que faire se peut les conséquences de la souffrance au travail.
Plate-forme d’action santé et solidarité
La Plate-forme est née de la rencontre de personnalités issues des mutualités, des syndicats, d’associations, d’ONG et de personnalités du monde académique. Elle considère que la santé est un droit pour tous, et plaide en faveur d’une politique de santé progressiste et égalitaire en Belgique, en Europe et dans le monde.
Concrètement, l’objectif principal de ces acteurs est d’unir leurs travaux et leurs forces sur trois plans principaux. D’une part, analyser d’un oeil critique les soins de santé en Belgique, en Europe et dans le monde, mais également les facteurs sociaux qui déterminent la santé et la maladie. D’autre part, informer et sensibiliser les professionnels et la population sur les conséquences des attaques des politiques néolibérales sur la protection sociale et le service public des soins de santé. Enfin, proposer, encourager et défendre des politiques de santé et de promotion du bien-être solidaires.
Dans cette perspective, la Plate-forme stimule la rencontre et l’échange, le travail de lobby et l’action, avec une attention particulière au grand public.
Plate-forme d’action santé et solidarité, chaussée de Haecht 53, 1210 Bruxelles. Tél.: 02 209 23 64. Courriel: info@sante-solidarite.be. Internet: http://www.sante-solidarite.be.
Comme le soulignait aussi Jacques Morel (Écolo), les valeurs défendues par la Plate-forme impliquent un nouveau mode de gouvernance au niveau local (et pas que local d’ailleurs ndlr), pour rompre avec le compartimentage des compétences au sein des majorités. Elles nécessitent aussi un gros travail auprès des élus locaux, dont la perception de la responsabilité communale en santé est encore très faible aujourd’hui.
Le mémorandum n’en est donc que plus pertinent. Il sera intéressant d’observer son impact concret en cours de législature…