Mai 2024 Par Clotilde de GASTINES Initiatives

En Région bruxelloise, des échevins cherchent à agir sur le bien-être et la santé globale de leurs administré.es en devenant un relais local pour la promotion de la santé. Une volonté qui se heurte souvent à des réalités de terrain.

Le Covid a été une opportunité pour illustrer à quel point la santé doit faire partie de toutes les politiques, y compris au niveau communal”, explique Vanessa Makola, chargée de projet du Centre de Recherche et d’Action pour des Projets en ‘Social-Santé’ (CeRAPSS) (anciennement Sacopar (cf notre encadré). Depuis 2019, son équipe accompagne douze échevins de la Région bruxelloise sur le plan méthodologique et opérationnel. Le 5 avril dernier, une matinée présentait le bilan de cette action intitulée ‘Santé dans Toutes Les Politiques’, qui bénéficie d’un financement de la Cocom. 

Sur le principe, ce projet est surprenant, car une commune n’a a priori pas de compétence santé à proprement parler, sauf pour la salubrité publique et les catastrophes naturelles. Et pourtant… Pendant le Covid, les communes se sont retrouvées en première ligne aussi bien pour sensibiliser aux gestes barrières, organiser le dépistage et la vaccination que pour apporter un soutien social aux plus démunis. 

Les communes sont un maillon crucial pour développer le bien-être et la santé globale de leurs habitants », explique Bruno Vankelegom, directeur du CeRAPSS et président de la Fédération Bruxelloise de Promotion de la Santé (FBPSanté). Il rappelle qu’elles peuvent “jouer un rôle considérable pour travailler sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé”, via leurs nombreuses compétences en particulier sur le logement, le scolaire, la petite enfance et la cohésion sociale. Les responsables communaux sont aussi “les mieux placés pour identifier les priorités locales, articuler les ressources et les compétences mobilisables, développer des actions visibles pour les habitants” ajoute Vanessa Makola. 

Circonspects puis enthousiastes

Le projet commence en juin 2019. Le CeRAPPS contacte les 19 échevins de la Région Bruxelles-capitale. L’accueil est tiède, voire circonspect. Quand la porte de l’hôtel communal semble fermée, il faut “entrer par la fenêtre”, rit Vanessa Makola, en se remémorant cette période. “Au départ, vous me disiez que vous étiez dans l’action, que vous aviez très peu de temps à accorder à la réflexion, puis vous avez pris le temps – j’ai senti un engouement, en particulier pour les rencontres inter-échevins qui se déroulent dans les communes participantes, et permettent d’échanger sur vos pratiques respectives”, raconte-t-elle devant les échevins qui sont venus témoigner ce matin-là. 

Plusieurs élus se mobilisent, bientôt rejoints par des nouveaux après les élections de mi-mandat. Douze communes sont représentées : Anderlecht, Auderghem, Etterbeek, Evere, Forest, Ganshoren, Jette, Koekelberg, Molenbeek, Saint-Josse-ten-Node, Uccle, Watermael-Boitsfort. 

Echevins Santé
Neuf des douze échevins à la santé étaient présents à la matinée du CeRAPSS « Santé dans toutes les politiques » (DR)

Les échevins, qui n’ont pas toujours la santé dans leur portefeuille, suivent une formation accélérée aux concepts de la promotion de la santé. Le fait de découvrir que la part non biologique des déterminants de santé pèse à hauteur de 80% sur la santé de la population, ouvre le champ des possibles. La surcharge du système de soins au moment du Covid et post-épidémie exacerbe aussi la nécessité d’inscrire la santé dans tous les choix politiques pour réduire les inégalités sociales de santé. 

Le Covid a eu un impact terrible, la promotion de la santé est devenue un enjeu communal” confirme Daniel Hublet (les Engagés), médecin et échevin à la santé de la commune d’Uccle. “Je dois dire que ma vision de la santé a beaucoup évolué, ajoute Alitia Angeli, échevine à l’action sociale de Forest (Ecolo) depuis juin 2022. Je considérais la santé comme l’absence de maladie ou de douleur, et j’ai découvert avec beaucoup d’intérêt la définition de l’OMS, qui nous permet de réaliser que nous disposons de leviers pour l’action publique à l’échelon communal”. 

Une charte comme feuille de route

Ensemble, les échevins rédigent une charte “en faveur de l’intégration de la santé dans toutes les politiques”. Elle se compose de deux volets. Le premier détaille pourquoi l’échelon communal est légitime et incite les différents services politiques et communaux à travailler en synergie. Il promeut aussi la participation citoyenne pour répondre aux besoins du terrain. Enfin, en signant cette charte, les communes s’engagent à identifier l’impact de leurs décisions politiques sur la santé de la population. Le second volet, opérationnel, liste quatre registres d’actions qui mettront du concret derrière les concepts de promotion de la santé et peuvent contribuer à réduire les inégalités sociales de santé. Libre à chaque commune de définir ses priorités. 

Ainsi, Etterbeek réfléchit à monter des actions autour de la précarité menstruelle, de la santé mentale, ou encore de l’ambition “Génération sans tabac”. A Ganshoren aussi, la commune met au point un plan communal anti-tabac. “Ça se passe bien tant que ça n’implique pas de coût, car finalement on a davantage de budget pour le bien-être animal que pour la santé humaine” regrette Didier Egerickx, responsable du portefeuille éclectique “Economie locale-Animations urbaines-Emploi-Santé-Bien-être animal”. 

La plupart des communes disposent en effet de faibles marges de manœuvre faute de  financements dédiés. Certains élus regrettent aussi le contexte général de restrictions budgétaires imposées par la tutelle, qui pèse sur les ressources humaines, la formation, ou la possibilité de réaliser des Etudes d’Impacts en santé (EIS). 

Par rapport à Ganshoren, ou même de Forest, qui ne dispose ni d’un échevinat à la santé ni d’un budget dédié, la commune d’Uccle a pris une longueur d’avance. “Dès 2018, nous avons introduit deux pages sur la santé dans notre déclaration de politique générale et attribué une ligne budgétaire ce qui nous a permis de multiplier les actions” explique Daniel Hublet. Il organise entre autres des conférences sur l’impact des pollutions sur la santé, ou encore sur la santé mentale au centre culturel d’Uccle, et comme d’autres communes, mène des actions de sensibilisation à la santé dans tous les événements culturels (fêtes de quartier, brocantes, marchés, etc) avec un bus santé ou encore un point infodrogue. 

Créer de la transversalité et de la cohérence 

Aux contraintes budgétaires s’ajoutent celles liées à la différence de temporalités entre le politique et l’administration. Neuf communes sur douze ont pu faire voter la charte par leurs instances. Certaines initiatives sont aussi parvenues à faire fi des couleurs politiques et du fonctionnement en silo. A Etterbeek, l’échevin Pieterjan Vanden Boer (Groen) a mis en place des groupes de travail transversaux pour assurer des actions de promotion de la santé à destination de la petite enfance et du troisième âge notamment. 

Le CeRAPPS aide aussi les communes à identifier les ressources existant sur leur territoire et les encourage à mobiliser, en intersectoriel, les acteurs locaux de la promotion de la santé : le service d’accompagnement ou les Centres locaux de service social (CLSS). Au quotidien, les échevins sont encouragés à resserrer leurs liens avec les maisons médicales, les plannings familiaux, les associations actives en matière de santé, les crèches, les écoles de devoirs, les centres sportifs, les écoles, les centres PMS et PSE. A Saint-Josse-ten-Node, la commune a choisi comme priorité de renforcer la coordination sociale avec son CPAS.  

De son côté, la commune d’Uccle a lancé un appel à participation par le biais de son journal communal pour mettre en place une plateforme santé. Elle permet de faciliter les échanges de pratiques entre les acteurs locaux de la santé, impliqués dans la lutte contre les déterminants sociaux de la santé, les élus et les citoyens. Une de ses priorités est d’intégrer la santé mentale dans toutes les politiques. 

Aux travailleurs sociaux qui s’interrogent sur l’avenir de telles actions à l’échelon communal, et sur la mobilisation des échevins, le CeRAPPS enjoint : “il faut que vous les travailleurs de terrain, vous osiez aller vers les politiques. Venez avec vos propositions, vous êtes les experts, ils vous écouteront !” 

D’autant que l’accompagnement du CeRAPPS fait des émules – certains élus se demandent pourquoi la commune n’a pas été choisie pour mener les actions social-santé dans le cadre du Plan Social Santé Intégré. Lors de la prochaine réunion inter-échevins qui aura lieu à Koekelberg fin mai, Brusano présentera la teneur du plan aux douze échevins.  

En période covid, vers qui s’est tourné le gouvernement pour aller au front ? Vers les communes… Aller sur la santé, on en a la légitimité, mais on ne nous en donne pas les moyens” se désole Didier Egerickx.  

Pour les élections communales de l’automne, certains élus vont se battre pour que la santé soit présente dans les programmes de leurs partis politiques, et espérer ensuite les intégrer dans les déclarations de politique générale de leur commune. 

Le CeRAPSS : une fusion pour assurer l’avenir 

Le centre de recherche et d’action pour des projets en social-santé (le CeRAPSS) est le résultat de la fusion en décembre 2023 de trois structures bruxelloises : Santé, Communauté, Participation (Sacopar), Forest Quartiers santé et le CAIRN (une maison de quartier de Forest). 

Nous nous connaissions bien et nous avions l’habitude de travailler ensemble. Nous avons fait le choix de nous fédérer à la fois pour mutualiser nos moyens, mais surtout pour préserver notre projet associatif et nos savoir-faire à plus long terme« , explique Bruno Vankelegom, directeur de la nouvelle structure. 

L’Asbl met en commun ses projets et les revoit au prisme des réalités et des pratiques de chacun, ce qui selon Bruno Vankelegom est “très inspirant”. Elle compte désormais une petite vingtaine de salariés et s’appuie aussi sur un tissu de bénévoles. 

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