Dans un rapport publié en mai dernier, la féda bxl publie ses recommandations pour adapter l’offre de services faites aux femmes* et améliorer les politiques en matière d’assuétudes.
Sur le terrain, les situations cliniques qu’endurent certaines femmes et minorités de genre usagères de drogues sont complexes. En plus de la consommation de produits psychoactifs, ces femmes* sont nombreuses à vivre des situations de violences conjugales ou sexuelles, de migration ou encore de travail du sexe ou de prostitution.
Dans un rapport publié en mai dernier, la fédération bruxelloise des institutions spécialisées en matière de drogues et addictions (« féda bxl », anciennement FEDITO) met en lumière des constats de terrain dressés par le GT Femmes*, genre et assuétudes. Ce groupe de travail s’est mobilisé en novembre 2020 à la suite d’un webinaire d’échange de pratiques. Il est composé de 16 associations et bénéficie de l’appui scientifique de chercheuses de l’ULB (Département de médecine générale, Faculté de médecine) et de l’UCLouvain (Institut de recherche santé et société).
Dans l’appellation de ce GT, le mot femme* comporte un astérisque pour désigner la volonté de marquer l’inclusivité concernant toutes les personnes qui s’identifient en tant que femme, et la notion de genre désigne les rapports de pouvoir à l’origine d’inégalités et de problématiques spécifiques qui concernent les femmes* et plus largement les minorités sexuelles et de genre.
Après trois ans de mobilisation, les auteurs et autrices du rapport dressent un constat inquiétant. Les femmes* restent invisibles ou se tiennent à l’écart des centres de ressources et de soutien. Si les femmes constituent un quart de la population consommatrice de drogues en Europe, elles représentent seulement un cinquième des files actives dans les services de traitement, selon les statistiques de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies publiées en 2017 (OEDT). Par ailleurs, des enquêtes de prévalence réalisées dans de nombreux pays ont révélé une diminution de l’écart statistique entre les femmes et les hommes dans l’usage de drogues.
Un éloignement bien ancré
Bien que les structures spécialisées en assuétudes soient en principe accessibles à tous·tes et reposent sur l’inconditionnalité de l’accès, les travailleur·euse·s de terrain observent une fréquentation majoritairement masculine et un moindre recours de la part des femmes*. Cette sous-représentation au niveau des institutions serait liée à de multiples obstacles, que le développement de dispositifs dédiés aux femmes* dans le cadre du GT Femmes*, genre et assuétudes, a permis d’identifier.
Les travailleur·euse·s sociaux ont récolté des témoignages et mis en lumière une peur d’être victimes de stigmatisation ou de répression. En effet, les femmes* (ex-)usagères de drogues ont tendance à dissimuler leurs usages car elles font l’objet de représentations sociales stigmatisantes et se confrontent à des politiques répressives, centrées sur la grossesse et la maternité, le travail du sexe/ la prostitution.
Les consommatrices évoquent ainsi une crainte – pour les mères – de voir leurs enfants placés par le·la juge. Elles mentionnent également des freins plus directement liés aux dynamiques de genre telle que la peur de rencontrer des agresseurs ou des clients (dans le cas du travail du sexe/ de la prostitution), des phénomènes d’emprise d’origine diverse (le conjoint, l’entourage social ou familial) ou encore un sentiment de malaise éprouvé dans des services majoritairement fréquentés par des hommes cisgenres.
Le contexte politique penche aussi souvent vers la répression. Les auteurs du rapport rappellent ainsi un événement de 2020, quand des représentant·e·s de la N-VA et de la SP.A avait déposé une proposition de loi sur la protection prénatale au Parlement fédéral. Celle-ci proposait que les femmes* (ex-) usagères de drogues pourraient subir des hospitalisations, des césariennes forcées ou des mises sous tutelle des enfants.
Répression rime avec invisibilisation
Or les constats de terrain montrent qu’une telle approche répressive est contre-productive, culpabilisante et contribue à éloigner les femmes* des services socio-sanitaires et à renforcer davantage leur invisibilisation. Des enquêtes récentes comparant différents cadres légaux permettent d’appuyer ces constats et d’établir que les contextes répressifs sont associés à une moindre mise sous traitement de substitution ainsi qu’à davantage de syndromes de sevrage néonataux.
Le rapport propose huit recommandations :
- Stimuler la capacité d’agir des femmes* (ex-)usagères de drogues et créer des conditions permettant d’obtenir le soutien de l’entourage.
- Sortir les femmes* (ex-)usagères de drogues de l’invisibilité et intégrer une perspective de genre dans la production de la connaissance sur le thème des assuétudes.
- Développer et/ou adapter les campagnes de prévention en matière de drogues en intégrant les problématiques spécifiques rencontrées par les femmes* (ex-)usagères de drogues.
- Améliorer l’accès aux services (non-)spécialisés en assuétudes en tenant compte des freins organisationnels et des obstacles majeurs liés aux multiples formes de stigmatisation.
- Intégrer la dimension de genre dans l’ensemble des dispositifs, dans notre approche et en favorisant l’implication de nos bénéficiaires.
- Soutenir le développement d’une approche sensible au genre auprès des professionnel·le·s de terrain.
- Développer le travail en réseau afin d’améliorer l’accompagnement et l’orientation des femmes* (ex-)usagères de drogues ainsi que la continuité des suivis
- Travailler sur une réflexion institutionnelle autour du genre en ouvrant le débat avec les pouvoirs publics.
La féda-bxl déploie une journée dédiée le 12 octobre pour visibiliser les difficultés que rencontrent les femmes usagères de drogues en ouvrant le débat avec les pouvoirs publics, avec un jeudi de l’hémicycle dédié aux sujets des « Inégalités de genre et assuétudes ». La féda bxl y présentera les principaux enseignements de ces trois années de mobilisation. Un documentaire consacré au sujet sera diffusé au cours de la matinée. Le film intitulé « Le cri des coquelicots » des réalisatrices Elisa Vdk, Melissa Laurent recueille des témoignages de femmes concernées. Puis l’après-midi, des ateliers participatifs auront lieu dans les auditoriums du CHU Saint-Pierre, rue des Alexiens, en guise de coup d’envoi des réflexions institutionnelles sur la place de ces femmes* usagères de drogues.
Inscription gratuite sur réservation sur ce lien
Le GT regroupe une dizaine de représentant·e·s des Asbl : MASS de Bruxelles, FARES, DUNE, Prospective Jeunesse, Femmes et Santé, Babel, I.Care, Modus Vivendi, Projet Lama, Réseau Hépatite C, Transit, Eurotox, Parentalité Addiction, ENADEN, Interstices et Le Pélican. Il est coordonné par la Féda bxl et bénéficie de l’appui scientifique de chercheuses de l’ULB (Département de médecine générale, Faculté de médecine) et de l’UCLouvain (Institut de recherche santé et société).
Contacts : Sophie Godenne (DUNE), Manoë Jacquet (Femmes et Santé), Lise Meunier (Réseau Hépatite C / Enaden), Laetitia Peeters (Transit).