Le 23 mai dernier, les Femmes Prévoyantes Socialistes organisaient une conférence ‘Changer les stéréotypes : tout un travail !’ au cours de laquelle une réflexion fut menée sur ce sujet qui est et restera probablement toujours d’actualité ! À cette occasion, nous avons rencontré Jacques-Philippe Leyens, Professeur émérite de psychologie sociale à l’UCL et auteur l’an dernier du livre ‘Sommes-nous tous racistes? ’.(1)
Peu importe où nous travaillons et la fonction que nous occupons, nous sommes sans cesse confrontés à des préjugés et à des stéréotypes, pour la plupart du temps aliénants pour ceux qui en sont les cibles.
Sans doute l’usage des stéréotypes fait-il partie de notre nature, au même titre que d’autres penchants qui ne donnent pas de nous une image très glorieuse. Que du contraire ! Mais ne dit-on pas que faute avouée est à moitié pardonnée et que le changement passe par la prise de conscience ? D’autant plus que l’usage des stéréotypes n’est pas toujours dégradant et négatif. Certains stéréotypes sont non seulement valorisants, mais ils font aussi la part belle à l’humour, à la créativité, et peuvent favoriser la naissance de nouveaux liens. Raison de plus pour veiller à l’usage que l’on en fait…
Partant de cela, la prudence est évidemment de mise partout, et peut-être plus encore lorsque nous travaillons dans l’éducation, l’enseignement, en centre de santé, en planning familial, dans la lutte contre le racisme, le sexisme, l’homophobie…
Éducation Santé : À quoi les stéréotypes nous servent-ils ?
Jean-Philippe Leyens : Parce que notre environnement est extrêmement complexe, nous devons le catégoriser et donner du contenu à ces catégories. Mais ce contenu sera toujours approximatif. Dans le cas des stéréotypes, il s’agit de généralisations abusives. Par exemple, «les Hollandais sont avares» est un stéréotype qui leur colle à la peau.
Si les stéréotypes ont mauvaise réputation, c’est notamment parce que les gens croient que ce sont des jugements individualisés, alors qu’ils sont, par définition, des généralisations. La fonction principale du stéréotype est donc la simplification qui nous sert de théorie naïve pour fonctionner.
E.S. : Comment les stéréotypes évoluent-ils au fil des ans, des générations, des siècles ?
J.-P. L. : Les stéréotypes peuvent changer, notamment selon les circonstances. Ainsi, dans les années 30, il était de bon ton, aux États-Unis, d’émettre des stéréotypes négatifs à l’encontre des Noirs, même si on n’était pas d’accord. Ce n’est manifestement plus le cas aujourd’hui. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les stéréotypes autour des Allemands et des Japonais sont soudainement devenus hostiles, hostilité qu’ils ont perdue depuis.
Les stéréotypes peuvent également varier selon le contexte. Si les Français et les Portugais devaient stéréotyper les Américains, ils diraient probablement d’eux qu’ils ne sont pas cultivés, qu’ils sont mégalomanes et superficiels. Par contre, les Pakistanais et les Syriens diraient sans doute que les Américains sont démocrates, pacifiques et respectent la liberté d’expression.
Mais il est vrai que les stéréotypes sont résistants au changement. Cela est dû au fait qu’ils constituent une théorie, comme une théorie scientifique. Si nous devions en changer constamment, notre univers serait ingérable.
E.S. : De quelle manière les stéréotypes interviennent-ils dans le racisme ?
J.-P. L. : Comme dans tout processus efficace, les stéréotypes sont utilisés pour bien des objectifs. Un de ceux-ci est le racisme qui peut comprendre le sexisme, l’islamophobie, l’antisémitisme, etc. Dans ce cas, l’usage qui est fait des stéréotypes est dégradant. Par exemple, on dit des Noirs et des Juifs qu’ils sentent mauvais; des femmes qu’elles sont émotives (plutôt qu’intelligentes).
E.S. : Pourquoi est-on raciste ?
J.-P. L. : Tout le monde est raciste, car nous avons tous un besoin vital d’avoir autour de nous un entourage de gens aimés et aimants. Le problème serait simple s’il n’y avait qu’un seul groupe, mais il y en a des infinités et ce que certains possèdent échappera toujours à d’autres. Avec des conflits à la clé.
Étant donné que nous sommes immergés dans une multitude de groupes, il y a beaucoup de chances que l’on soit raciste envers un ou plusieurs de ces groupes. Ce racisme peut se produire chez des gens qui, honnêtement, sincèrement, ne veulent pas être racistes et qui malgré cette volonté se comportent de manière raciste. Beaucoup de recherches montrent ce racisme qui s’ignore.
E.S. : Pour en revenir au mauvais usage qui est fait des stéréotypes, à qui profite le crime sur le plan sociétal ?
J.-P. L. : Aux dominants, c’est-à-dire, dans notre société, aux hommes blancs hétérosexuels qui ont un statut dans la société. Curieusement, ces privilégiés sont également ceux qui se montrent les plus racistes. Ils tiennent à leur position dominante et ils ont les moyens de contrer les efforts des moins dominants.
E.S. : Quels sont les moyens d’action pour lutter contre le racisme, le sexisme, les discriminations ?
J.-P. L. : À part la socialisation, je n’ai pas de recette pour lutter contre le racisme. C’est un combat d’une vie.
Emprunté à l’imprimerie
À l’origine, le ‘stéréotype’ est un terme qui provient de l’imprimerie et qui désigne un caractère solide servant à (ré)imprimer. En 1922, l’écrivain et journaliste américain Walter Lippmann détournait ce terme et lui donnait pour la première fois un sens sociologique. Pour lui, les stéréotypes sont des ‘Pictures in our heads (Des images dans nos têtes’). Il y voit la trace du caractère rigide ‘imprimé’ dans notre perception du monde qui nous entoure. Ces images sont intercalées entre la réalité du monde et sa perception et, en particulier, dans l’image que nous nous faisons des groupes sociaux.
(1) Sommes-nous tous racistes? Psychologie des racismes ordinaires , Jean-Philippe Leyens, Éd. Mardaga, 2012.