L’étude de Gilles Hacourt présente les résultats d’une recherche scientifique menée en Communauté française de Belgique. L’objectif était d’obtenir une meilleure connaissance du phénomène de la consommation des nouvelles drogues de synthèse (NOS), communément appelées «ecstasy ».
Les données ont été recueillies lors d’une enquête par questionnaire fermé auprès de 364 consommateurs d’ecstasy ou de produits qu’ils estiment en être, de 33 entretiens semi-directifs individuels et 4 interviews en groupes d’usagers et de non-usagers, et de 8 observations de terrain.
Des publics, des motivations et des lieux diversifiés
Dans l’échantillon de l’enquête, l’âge le plus fréquent lors du premier essai a été 17-18 ans.
Deux tiers (66,5%) des consommateurs d’ecstasy déclarent en prendre au maximum deux à trois fois par mois, et 5% déclarent un usage quasi quotidien.
La quantité moyenne est d’un peu moins de trois pilules par occasion de consommation, une bonne moitié de l’échantillon en prenant deux au maximum par occasion.
Le profil de l’usager d’ecstasy ne correspond pas, ou plus, aux idées reçues telles que posées par l’équation: public jeune et intégré socialement + musique techno + (méga)dancing = ecstasy.
Les motivations de la consommation
S’amuser plus, rire, être euphorique, avoir du plaisir, augmenter les sensations du délire de la fête, se défoncer, s’éclater | 70 % |
Tenir le coup, être plein(e) d’énergie, être plus fort(e), être au top | 42,5 % |
Ressentir mieux ou autrement les sons, les choses, les gens, le monde | 42 % |
Etre plus convivial(e), plus ouvert(e), plus sociable, être love , se faire des ami(e)s | 29 % |
Oublier les petits tracas du moment, se relaxer après une semaine de travail | 21 % |
Etre dans le même délire que les autres | 19 % |
Se sentir plus sûr(e) de soi, moins timide | 18 % |
Faire une recherche sur soi-même, une prise de conscience, rechercher de nouvelles sensations | 18 % |
Oublier tous ses problèmes | 17 % |
Danser mieux | 14 % |
Draguer, désirer des relations sexuelles | 13 % |
Avoir une sensation de risque | 7 % |
Rien de spécial/se droguer | 4 % |
Faire plaisir à des amis | 2 % |
En fait, le public consommateur est relativement large: personnes jeunes et plus âgées (jusqu’à 36 ans), à la fois bien et moins bien insérées en termes d’emploi, de revenu. D’autre part, l’association de l’ecstasy et de la musique techno ne constitue plus un facteur d’identité collective chez les usagers; à l’inverse, c’est le refus des catégories et la liberté de l’individu qui sont revendiqués.
Et enfin, si l’usage d’ecstasy est le plus fréquemment motivé par la recherche de l’euphorie dans un contexte festif, l’étude précise un double phénomène: l’usage pour d’autres raisons, comme la recherche sur soi, la facilitation des relations, et la consommation en des lieux autres que ceux des sorties: à domicile, dans des lieux publics, par exemple.
Entre vigilance et imprudence
La plupart des usagers rencontrés développent, individuellement, des procédés de contrôle de leur consommation. Le produit en tant que tel n’est pas maîtrisable par l’individu. Dès lors, ce dernier veille à consommer dans un état psychologique et un contexte qu’il juge propices. La surveillance exercée par les pairs est également un moyen de contrôle (ces facteurs jouent aussi lors de l’essai). S’y adjoint une consommation voulue « réfléchie » en termes de nombre d’occasions, de quantités consommées, ainsi qu’au travers de l’utilisation de drogues associées à l’ecstasy – l’alcool, le cannabis ou encore les amphétamines – qui remplissent assez souvent des fonctions précises. Enfin, le contrôle est alimenté par l’information, pour autant qu’elle soit estimée objective, sans jugement de valeur, et non moralisatrice par l’usager.
Cette vigilance n’empêche pas la prise de risques dans l’ensemble des usages de l’ecstasy. Le but resterait d’atteindre le maximum de ce qui est recherché (plaisir, résistance physique, etc.); la prudence lors de l’usage se fait quand le consommateur y pense et « là où c’est possible ». Ce sont surtout des risques liés au contexte d’usage qui sont cités (lieu, ambiance peu propices), et dans une moindre mesure, des risques dus à l’état psychologique (être déprimé…) ou physique (souffrir d’une maladie, etc.). Il arrive aussi à plus d’un consommateur de déclarer avoir conduit un véhicule, ou encore d’avoir eu des relations sexuelles non protégées sous influence de l’ecstasy.
Prévenir et agir pour réduire les risques
Les non-usagers rencontrés ne souhaitent généralement pas devenir consommateurs d’ecstasy. Mais certains montrent une relative vulnérabilité, lorsqu’ils disent n’avoir jamais essayé de NOS pour la simple raison qu’ils n’ont jamais été mis en contact avec de telles substances. Des dispositifs de prévention se justifient donc et méritent d’être poursuivis.
Il en est de même quant aux actions visant à la réduction des risques pris par les usagers lorsqu’ils consomment de l’ecstasy. Les analyses diverses présentées dans le livre devraient permettre de mieux adapter de telles actions aux usages (selon les lieux, les quantités, etc.) et aux publics (socio-économiquement insérés, fragilisés, etc.).
HACOURT G., Ecstasy, pilules sans ordonnances, usages et usagers de nouvelles drogues de synthèse, L’Harmattan, 2002, 232 p.