En juin 2003, le Comité régional et départemental d’éducation et de promotion de la santé (CREDEPS) de Nantes a fait appel à mes services en tant que formatrice sur la question de la mort. J’ai donné une formation à des professionnels travaillant auprès des enfants âgés de 7 à 12 ans en milieu scolaire sur le sujet ‘La mort, le deuil thème sous-jacent dans la prise de parole des enfants’.
Notre but commun était de renforcer les compétences psychologiques des enfants. La question de la mort est soulevée lors d’animations en éducation pour la santé. Si Education Santé m’a déjà permis de toucher certains professionnels, je ne souhaite pas que l’initiative entre le CREDEPS et moi-même reste une démarche isolée.
Il est essentiel de parler de la mort avec les enfants, c’est pourquoi je me permets de revenir sur cette problématique. Comment parler de la mort avec les enfants? A partir de quel âge?
Je suis convaincue qu’il est préférable de discuter le sujet avec eux avant d’exploiter des livres et autres outils pédagogiques. Nous ne pouvons pas ignorer le fait que les enfants ont envie et besoin de communiquer sur la mort et le deuil, surtout s’ils sont limités dans leur vocabulaire pour exprimer des émotions fortes.
Même si ma démarche correspond à un besoin de notre société de réintégrer le concept de la mort, je dénonce le fait que trop souvent les adultes s’informent sans changer vraiment de mentalité et de comportement vis-à-vis de la mort. Que cette lecture soit une invitation au changement!
La mort est une réalité omniprésente dans le quotidien, et il n’est pas bon d’attendre un événement douloureux pour en parler avec les enfants. Comment la pédagogie scolaire répond-elle aux questions existentielles des enfants?
Il existe de multiples occasions pour un pédagogue d’aborder le thème de la mort avec l’enfant, comme par exemple l’observation des saisons. Jusqu’où l’école peut-elle répondre aux questions des enfants sur la mort? Le sujet est présent dans divers enseignements donnés à l’enfant comme le français, l’histoire, l’hygiène et la biologie, mais il est évité en raison de l’implication affective. La littérature faisant état de la mort des animaux me paraît intéressante sur un plan pédagogique, car les enfants sont sensibles à la vie animale . Cependant, elle est rarement utilisée même lors des cours de biologie. La dissimulation sociale de la mort dans les écoles reflète une réalité de nos sociétés occidentales.
L’union thématique de la mort et des animaux
À partir du XIXe siècle, on participe à une volonté de s’adapter à l’enfant en associant les animaux au thème de la mort dans les livres. «C’est là une façon de lier un lieu de l’enfance, en l’occurrence les animaux, à la mort, un sujet qui de tout temps a préoccupé davantage les grandes personnes » (Demers, 1997, p. 52). Je pense que ce type d’ouvrages adaptés aux enfants de 6 à 12 ans peut amorcer réellement les échanges autour de la mort.
L’animal fait partie de l’existence des enfants. Donald Woods Winnicott , psychanalyste anglais, disait que l’animal faisait la différence, tout en étant le prolongement de la peluche. La place de l’animal est valorisée chez l’enfant. Habituellement, le premier contact physique d’un enfant avec la mort se passe par l’intermédiaire d’un animal, qu’il lui soit familier ou non, car il peut aussi ressentir quelque chose, même s’il ne le connaît pas.
Ainsi, l’enfant découvre que l’animal mort ne bouge plus, ce qui suscite en lui de nombreuses questions. Il s’agit pour les adultes de saisir cette occasion parmi d’autres, d’éduquer l’enfant face à la mort afin qu’il puisse développer des mécanismes d’adaptation existentielle. C’est aussi lors de cours de biologie que l’enfant va pouvoir poser des questions sur la mort et la vie de l’animal.
Les enfants sont sensibles aux animaux. C’est pourquoi les ouvrages qui parlent de la mort des animaux sont intéressants pour éveiller les enfants sur des notions universelles. Les ouvrages représentent l’animal qui meurt de mort naturelle ou l’homme qui le tue volontairement – ils sont très intéressants pour susciter des interrogations. L’homme se sent impuissant face à la mort et l’animal est impuissant devant l’homme. L’enfant se rend compte que l’animal est fragile. La littérature infantile peut aborder la mort chez l’animal et la mort selon des lois naturelles de la vie (voir vieillesse). «Tout dans la vie a un cycle, après la nuit vient le jour, après l’hiver, le printemps» (Kübler-Ross, 1992, p. 11).
Dans l’ensemble des livres pour enfants, l’animal meurt de vieillesse, c’est-à-dire de manière idéale. Bruno Bettelheim dit qu’«au cours de ses premières années, jusqu’à l’âge de 8 ou 10 ans, l’enfant ne peut se former des concepts hautement personnalisés qu’à partir de ce qu’il expérimente» (Bettelheim, 1979, p.81). C’est pourquoi j’ai mis en place des groupes de lecture suivis de discussion avec des enfants âgés de 6 à 12 ans pour qu’ils soient accompagnés dans l’approfondissement de leur questionnement. Ces groupes ont eu lieu en région parisienne. Les enfants avaient besoin de comprendre la mort en faisant appel à leur imaginaire. Ils allaient jusqu’à mimer ou ritualiser des scènes vécues dans les ouvrages pour mieux comprendre et intégrer le concept de la vie et de la mort.
C’est uniquement à partir du vécu que la compréhension de l’avant et de l’après mort est possible par l’expérience des étapes de deuil (exemple: faire référence aux types de relations, aux rituels). Les livres suggèrent des notions à l’enfant, mais c’est à lui d’en faire l’expérience intérieure. Les ouvrages peuvent introduire le thème de la mort. Généralement, les divers livres indiquent que le thème de la mort n’est pas pris en considération d’une manière satisfaisante et qu’il faut l’intégrer dans un projet plus cohérent, suppléant leurs carences essentiellement pédagogiques, comme dans le cadre de groupes de lecture et de discussion.
Un ouvrage qui suscite un réel débat sur la mort serait un album écrit par des enfants en dehors d’expériences douloureuses. Les ouvrages écrits par des adultes en fonction de leur vécu peuvent donner un caractère exclusif à la mort. Lors de groupe de lecture, nous avons introduit la lecture d’albums suivie de discussions afin de rendre à la mort son caractère universel et à la fois personnel en fonction de ses propres expériences. La notion de la mort ne peut être intégrée que lorsqu’il a été vécu. La dynamique des groupes de lecture et de discussion a permis aux enfants de partager leur expérience et d’explorer leur perception sur la mort.
Exemples d’un groupe de lecture et de discussion
Un enfant lit l’histoire de Blaireau , tandis que les autres élèves prêtent une oreille attentive. Blaireau , l’ami de tous, parce qu’il est vieux, un jour s’éteint. Il n’avait pas peur de la mort, il l’attendait même. Son corps ne fonctionnait plus aussi bien qu’auparavant. Seule la tristesse de ses amis l’inquiétait. Mais la présence de celui qui a dû partir habite ceux qui l’aimaient et le dialogue ainsi n’est pas interrompu.
L’auteur de cette histoire raconte l’avant, le pendant et l’après mort. L’avant est présenté sous la forme de préparatifs à un voyage. Cette idée de « voyage » n’est pas neutre d’un point de vue culturel. Le pendant consiste à la traversée d’un tunnel (voir l’Expérience de Mort Imminente / Near Death Experience ). On peut voir malgré le retrait historique des instances religieuses que les mentalités sont encore influencées par l’univers culturel et religieux. L’Expérience de Mort Imminente tout comme le néant n’est pas scientifique. Pour que cette démarche soit réellement pédagogique, il convient d’explorer avec l’enfant les multiples facettes des croyances sur l’après-mort.
L’Organisme de Recherche sur la Mort et l’Enfant (ORME) dispose d’un site internet à l’adresse [L=http://perso.wanadoo.fr/orme.asso/]http://perso.wanadoo.fr/orme.asso/[/L]
A côté d’informations habituelles (présentation de l’association, activités, documentation, liens,), on trouve des questionnaires permettant aux professionnels de l’éducation et aux enfants de témoigner sur le sujet, ainsi que des dessins d’enfants sur la mort et leur interprétation.
Lors de cette séance de lecture et de discussion avec des enfants âgés de 6 ans, certains ne comprenaient pas ce passage dans le tunnel où sont dessinées deux flèches, l’une pour aller vers la vie et l’autre vers la mort. Pour ces enfants, Blaireau se tue puisqu’il choisit de prendre la direction de la mort. Pour l’enfant, la mort provient d’un phénomène extérieur. Cet exemple, peut nous montrer qu’il est important de répondre aux questions des enfants et d’accompagner les jeunes dans leur lecture. En explorant le sujet de la mort, les enfants s’aperçoivent que tout le monde est concerné par la mort, et qu’elle peut survenir à n’importe quel moment. L’après-mort de Blaireau correspond aux souvenirs agréables qui restent. Les enfants par l’intermédiaire de cet animal se sont identifiés à leur propre mort, et se sont représenté la mort sous forme imagée. Un enfant peut être plus sensible à la mort d’un animal qu’à celle d’un adulte en raison de sa familiarité. La perte ne sera pas vécue de la même manière s’il s’agit de la mort d’un humain, d’un animal ou de la destruction d’un objet. Dans cette démarche, les enfants ont pris appui sur des images pour comprendre la mort non-illustrable. Les images ne représentent pas la mort. Vladimir Jankelevitch dit: «On ne peut expliquer que ce qu’il y a autour de la mort, pas la mort elle-même». C’est pourquoi outre les débats nous avons observé la mort d’un animal. Ce livre de Susan Varley permet d’effectuer un travail en amont avec l’enfant, en imaginant l’avant-mort, mais aussi de rassurer celui qui reste.
Les résultats qualitatifs
Dans l’ensemble, les enfants ont apprécié de parler de la mort, car c’était un thème facile à aborder pour eux et différent des sujets d’étude de l’école. Les enfants sont parvenus à parler de leurs propres émotions et se sont impliqués davantage afin de transmettre au groupe une partie de leurs sentiments et perceptions à propos de la mort. Il est apparu que les enfants étaient quotidiennement confrontés à la mort. Le groupe leur a permis de se concentrer et de partager leurs idées. Le simple fait de parler de la mort a été un moyen d’améliorer l’apprentissage scolaire. Parce que la majorité des enfants a établi un lien entre le vécu et ce qu’ils lisaient (album, livret traitant de la mort…), l’intérêt pour la lecture leur a permis d’améliorer la diction, l’attention, la concentration et leur apprentissage. Certains d’entre eux sont arrivés à une meilleure écoute et concentration. Ainsi, une fille de 7 ans a amélioré sa diction et acquis plus de facilité à transmettre ses idées. Un garçon de 7 ans a commencé la lecture pendant cette période. Il s’est mis à lire alors qu’il ne le faisait pas d’habitude. L’attention et l’observation générées par le groupe ont permis aux enfants et aux éducateurs de devenir eux-mêmes attentionnés et observateurs. Les mises en situations, les partages d’expériences donnaient aux enfants un regard différent sur la mort et sur autrui.
Ils s’exprimaient librement, en dévoilant des situations héréditaires, des secrets familiaux et des difficultés existentielles dans le but de les résoudre en famille. Les enfants qui se sont exprimés sur ce tabou se débarrassaient de l’image macabre de la mort. Ils ont parlé de la mort comme un état normal, mettant la société face à la réalité. Le fait de parler de la mort dès le plus jeune âge est une action préventive et très vivante.
Grâce à la démarche de groupe, les enfants ont posé spontanément des questions sur la mort en lisant des ouvrages en lien avec leur enseignant habituel et leur famille, permettant d’approfondir le sens de la vie. Cette démarche a révélé que nombreux étaient les adultes qui cachaient la mort et le(s) mort(s) aux enfants, et que cela avait un retentissement sur la scolarité et la santé des élèves. Le fait que les enfants se soient exprimés sur le sujet de la mort a été un soutien pour leur famille, en révélant parfois des événements jusqu’alors cachés. Les enfants et les adultes dans les groupes de discussion ont apprivoisé la mort en amont des difficultés existentielles afin qu’ils soient plus armés face à la vie. Un enseignant conscient de l’importance éducative de l’attention à la mort et de la nécessité d’accompagner la lecture des enfants sur ce thème saura saisir l’opportunité, dans la classe, pour explorer ce sujet si complexe. Marie-Ange Abras , cofondatrice et présidente de l’Organisme de Recherche sur la Mort et l’Enfant (ORME), chercheuse en sciences de l’éducation, associée au Centre de Recherche sur l’Imaginaire Social et l’Education (CRISE), Université Paris 8. Après cette réflexion et cette analyse, nous avons réalisé un album avec des enfants de 6 ans. Actuellement, nous sommes à la recherche d’une prise en charge pour éditer le livret intitulé: «Adieu grand-père». Si vous êtes intéressés, nous vous remercions de bien vouloir contacter Marie-Ange ABRAS, 22 rue Pierre Demours, 75017 Paris. Courriel: orme.asso@wanadoo.fr
Bibliographie
BETTELHEIM, Bruno (1979), Psychanalyse des contes de fée . Paris, Livre de Poche.
DEMERS, Dominique (1997), Des têtes tranchées à la mort éthérée. In Frontières , Les animaux et la mort, volume 10, numéro 1, 51-53. Québec: Université du Québec à Montréal.
KÜBLER-ROSS, Élisabeth (1992), Une lettre à un enfant devant la mort . Suisse: éditions du Tricorne.
VARLEY, Susan (1996), Au revoir blaireau . Paris: éditions Gallimard.