Mars 2002 Par C. LAFONTAINE Initiatives

Le 1er Colloque international des programmes locaux et régionaux de santé s’est déroulé à Amiens du 23 au 26 octobre 2001. Le présent article présente de manière subjective quelques lignes de force inspirées par la centaine d’exposés, les symposiums, les forums et les posters qui ont rythmé ces journées très denses.

Les programmes régionaux de santé

Il faut savoir qu’à ce jour une centaine de programmes régionaux sont développés dans 22 régions de France et 4 départements d’Outre-mer. Ils recouvrent un éventail très diversifié de thématiques, de publics, de stratégies,… De plus, les organisateurs avaient invité des professionnels de Belgique, de Suisse, du Canada, d’Espagne,… La matière pour ce colloque était donc extrêmement riche.
Cette rencontre avait plusieurs objectifs:
– analyser et comparer les mutations socio-politiques à l’origine des programmes locaux et régionaux de santé;
– comprendre la place des différents acteurs de santé publique impliqués et analyser le rôle des populations;
– prendre connaissance des expériences et des pratiques locales;
– débattre sur les méthodologies, les outils et les questionnements que suscitent les programmes.
Chose remarquable, tous ces objectifs ont été effectivement travaillés, même si ce fut avec plus ou moins de réussite. Les séances plénières se sont attachées à un essai d’analyse socio-politique et de compréhension de la place des différents acteurs. Les communications orales ont permis quant à elles des échanges autour des expériences de terrain. Tandis que les forums auxquels j’ai pu assister, furent le lieu d’intéressants débats sur les pratiques professionnelles et les outils.

Régionaliser les politiques

Le premier jour, une remarquable conférence inaugurale du professeur JL Denis de l’Université de Montréal a balisé le contexte des travaux du colloque. Dans son exposé, M. Denis s’est démarqué d’emblée d’une vision trop angélique de la régionalisation en précisant qu’une des fonctions de celle-ci est d’adapter la ‘gouverne’ (la gestion politique) à de nouvelles contingences souvent impopulaires (restriction budgétaire par exemple)! Il a défendu l’idée que cette régionalisation des politiques de santé met en tension différentes logiques plus ou moins conciliables:
– la logique démocratique: si on régionalise, c’est pour permettre l’implication active du citoyen;
– la logique pluraliste: si on régionalise, c’est pour permettre la responsabilisation et la négociation d’un compromis entre différents acteurs locaux influents;
– la logique de délégation: si on régionalise, c’est pour assurer un meilleur contrôle des politiques par l’intermédiaire d’un niveau de pouvoir plus proche.
Il a pu ensuite nous démontrer que le potentiel des politiques de régionalisation est dépendant des choix et des équilibres créés entre ces options.
Les communications orales de ce premier jour ont souligné que les programmes régionaux peuvent permettre la promotion par les acteurs de terrain d’idées nouvelles – un programme régional ouvre un espace de liberté où des propositions créatives peuvent naître – mais ils voient aussi se confronter des logiques de travail différentes et d’inévitables enjeux de territoire; cet exercice de démocratie se révèle donc moins idyllique que prévu.
Les programmes régionaux sont une tentative de rapprocher et d’impliquer tous les acteurs concernés par les priorités de santé (professionnels, population, politique). Ce défi est atteint en partie: les professionnels de terrain se mobilisent, des nouveaux modes d’intervention apparaissent… Mais, nos amis français évoquent aussi de nombreuses difficultés proches du constat que font certains d’entre nous:
– la démarche participative ne se décrète pas, elle se construit;
– la participation de la population reste un vœu pieux;
– le temps administratif n’est pas le temps de l’action de terrain;
– les programmes ne sont pas la panacée pour éviter les luttes de pouvoirs.
Et un des intervenants de conclure, ‘les convives sont nombreux, la table bien mise mais hélas peu pourvue’.

Repenser les pratiques

Lors de la deuxième journée, les exposés des séances plénières ont rappelé que, lorsqu’il s’agit de mobiliser des acteurs au sein d’un même projet, il y a nécessité de créer un langage commun au sens propre comme au sens figuré.
La mise en parallèle des attentes et discours du médecin avec ceux du patient était une illustration intéressante de ce constat. Le Professeur Lalau du CHU d’Amiens fit la même démonstration, par le biais d’une vidéo originale, très humoristique et pleine d’autodérision. Il faut dire que les nombreux sigles utilisés – PRS, DRASS, DDASS, CRAM, ORS, APAIS, URCAM, CPAM, CRES,CODES… – par nos collègues français m’avaient déjà largement convaincue de cette nécessité!
Durant le reste de la journée, j’ai assisté aux ateliers et au forum présentant plusieurs méthodes d’évaluation de projets. J’ai pu ainsi identifier quelques éléments transversaux:
– l’évaluation a été utilisée par plusieurs acteurs: le promoteur du projet bien sûr mais aussi les relais de terrain impliqués dans le projet, les autorités subsidiantes,…
– elle peut être co-construite par les différents utilisateurs potentiels qui y introduisent ainsi leurs questions, leurs attentes,…
– elle peut être un facteur de changement et d’amélioration du projet;
– mais elle est difficile à mettre en œuvre car elle nécessite des outils pertinents et adéquats;
– elle continue à soulever un certain nombre de questions. Evaluer, est-ce contrôler? L’évaluation peut-elle être menée par l’équipe ou doit-elle être externe? Le rapport d’activités est-il de l’évaluation?…

Réfléchir les stratégies

Dans le cadre de la séance plénière de la troisième journée, le Docteur Demeulemeester a exposé comment l’utopie des programmes régionaux de santé avait pu être concrétisée et quelles leçons tirer de cette expérience. Dans le même registre, Michel Demarteau a fait partager sa conception des liens difficiles entre la réflexion et l’action et a proposé quelques pistes, notamment en terme d’évaluation, pour améliorer cette relation. Ainsi, il a présenté aux acteurs de terrain des modèles d’évaluation interactifs et participatifs. Chaque acteur du programme (promoteur, financeur, partenaires) est invité à définir les utilisateurs potentiels de l’évaluation, les attentes qu’ils ont en terme d’évaluation (pilotage du programme, aide à la décision de poursuite d’un financement,…), les valeurs de référence utilisées (l’efficacité, la faisabilité, la visibilité,…).
J’avais choisi de consacrer la suite de la matinée à la problématique ‘des territoires et partenariats’. Dans leurs communications, les orateurs faisaient le constat que l’implantation de programmes repose sur toute une série de conditions et rencontre de multiples obstacles. Ils ont ainsi évoqué le développement de partenariat, la nécessité de la souplesse, de la créativité, de la clarification des rôles et responsabilités de chacun, du respect et du partage des expertises diverses, l’implication des décideurs, la permanence/rotation des acteurs.
Les exposés de l’après-midi s’articulaient autour de la thématique ‘des outils aux résultats d’évaluation’. Les intervenants ont présenté des outils/méthodes d’évaluation: des fiches documentées, des entretiens, des questionnaires… Ce sont des outils dont la prise de connaissance n’était pas inintéressante car l’aspect très pratico-pratique est séduisant mais seuls des échanges plus longs avec les auteurs auraient pu permettre d’en apprécier toutes les dimensions.
Enfin, le dernier jour consacré à la régionalisation des politiques était utile pour des planificateurs de politique de santé mais moins porteur pour des acteurs de terrain.

Bref…

La présence d’un fil conducteur permanent a permis une réelle progression dans la connaissance des programmes régionaux de santé et surtout une première approche des éléments facilitateurs et des obstacles qu’ils rencontrent. Les nombreux parallélismes entre les expériences présentées et les situations rencontrées en Communauté française pourront se révéler enrichissants pour notre pratique quotidienne. Si on ajoute à tout cela, une organisation parfaite, des horaires respectés, des repas vite et bien servis, on comprend pourquoi ce colloque m’a laissé une excellente impression.
Carine Lafontaine , APES-ULG
Les actes du colloque sont disponibles auprès de l’APAIS – Facultés de pharmacie et de médecine – Monsieur P. Lorenzo, 3 Rue Des Louvels, 80036 AMIENS Cedex 1, France, tél. 00 33 322827977 .