Enfants difficiles, hyperactifs avec ou sans impulsivité, enfants rois ou tyrans, futurs délinquants détectables dès la maternelle… Y’a pas à dire: l’éducation de nos chères petites têtes blondes fait régulièrement couler de l’encre! Et quand les troubles neurologiques sont exclus, pas facile d’identifier les causes pour s’y attaquer.
C’est pourtant à cette tâche que s’est attelée l’équipe d’ Isabelle Roskam , en suivant dès leur plus jeune âge les enfants qui posent problème à leur famille et/ou à l’école.
Diagnostiquer précocement les difficultés de comportement de l’enfant: voilà précisément le défi relevé par une équipe pluridisciplinaire des Cliniques universitaires Saint-Luc (UCL) à Bruxelles, impliquant des psychologues, bien sûr, mais aussi des neuropédiatres, pédopsychiatres, logopèdes et neuropsychologues.
« Depuis plusieurs années , nous rencontrions un grand nombre de parents et d’enfants en souffrance dans leur relation : face à leur enfant très difficile , les parents qui ne s’en sortaient plus venaient consulter des spécialistes de notre unité pour comprendre ce qui n’allait pas . Lorsque nous avions exclu des causes neurologiques ou des situations personnelles problématiques , la seule réponse que nous pouvions apporter était la psychomotricité . Mais en observant les archives des consultations , nous avons constaté que cette réponse peu claire les incitait à se lancer dans du shopping médical afin d’obtenir une réponse plus précise …», explique Isabelle Roskam, docteur en psychologie et promoteur du projet. Elle et son équipe ont alors décidé de réfléchir à la meilleure manière d’apporter de véritables solutions aux patients et à leurs familles.
Étude de cas
D’où l’idée de chercher à objectiver plus précisément les types de problèmes rencontrés par ces familles. « Nous recrutons depuis 2005 des enfants de 3 , 4 ou 5 ans qui présentent des difficultés de comportement , tels que l’agressivité , le manque d’obéissance , l’impulsivité ou l’agitation . Le contact se fait via les consultations aux Cliniques Saint – Luc par des parents qui ne s’en sortent plus et viennent demander une aide . Nous excluons les enfants qui présentent des problèmes neurologiques clairs comme l’épilepsie par exemple , ceux qui vivent dans un contexte psychosocial problématique , ceux qui rencontrent d’importants troubles du langage ou souffrent de déficiences intellectuelles . Raison pour laquelle nous travaillons de concert avec des neuropédiatres ou encore des psychologues qui sont chargés de dépister ces cas », poursuit Isabelle Roskam. Elle note que si certains troubles sont aujourd’hui plus aisément diagnostiqués grâce à des outils fiables, ce n’est pas le cas pour tous, notamment l’inhibition motrice et cognitive. Ils ont dès lors dû adapter des outils utilisés pour les enfants plus grands, les standardiser afin de pouvoir réaliser des comparaisons fiables de cas.
Sur base des quelque 150 enfants enrôlés, comparés à 300 à 400 enfants d’un groupe contrôle recruté dans des écoles partenaires du projet, l’équipe d’Isabelle Roskam a pu déterminer quatre facteurs qui étaient à l’origine de la problématique comportementale de ces enfants. « Tout d’abord , un quart d’entre eux présentent un développement insuffisant du langage : ils ne comprennent donc pas les consignes , et de ce fait , ce que les parents ou les éducateurs attendent d’eux . Si de plus ces consignes ne sont pas énoncées clairement , ou que les enfants ne sont pas capables de s’exprimer correctement , une agressivité risque de se manifester .
Deuxième facteur : l’incapacité d’inhibition . Celle – ci est régie par une zone frontale du cerveau ; si elle est déficiente , on peut constater chez ces enfants une incapacité à inhiber les mouvements moteurs pour respecter la consigne , ou pour attendre que l’adulte ait fini de parler pour prendre la parole , par exemple . Les enfants ADHD ou présentant un trouble de l’attention sont les plus à risque dans ce domaine .
Troisième facteur , les problèmes affectifs : l’enfant cherche à se faire remarquer par son comportement difficile ou par un profil anxieux . Les enfants ayant vécu un trouble de l’attachement sont particulièrement représentés dans cette catégorie .
Enfin , il y a les problèmes d’ordre éducatif : les parents dépassés ne fixent pas suffisamment de limites ou manquent de cohérence soit dans les différentes décisions prises , soit entre eux .»
Des enseignements intéressants
Tous les enfants sont alors évalués durant trois ans selon ces 4 critères, sur base de consultations régulières. « Après la phase de bilan complet initial , qui comprend une consultation psychologique , une consultation logopédique et une rencontre à l’école , l’enfant refait cette même triple consultation tous les six mois durant deux ans , et lors du bilan de clôture , afin d’observer son évolution .» Les enfants seront ensuite à nouveau revus à 9, 12 et 15 ans afin de connaître leur évolution.
La mission de l’équipe est de débusquer les facteurs les plus contributifs dans chaque cas et de donner aux parents des pistes pour adapter leur attitude en fonction de la situation, de manière individuelle, même si les lignes directrices sont les mêmes. En effet, il faudra tenir compte de la situation familiale, sociale, éducative, socio-professionnelle… de chaque famille.
Après plus de trois années d’observation de ce panel dont les premiers enrôlés ont terminé les trois années d’étude, quelles sont les grandes lignes qui se dégagent?
« Premièrement , on a vu à quel point il était déjà difficile de déterminer les enfants réellement à problème … Selon la personne qui demande une évaluation ( le père , la mère , l’enseignant , un autre médecin …), l’image donnée de l’enfant peut varier très fortement . D’où notre questionnement : qui croire ? Qui est le meilleur informateur ?» Selon Isabelle Roskam, la vision des parents est biaisée, notamment parce que souvent, ils arrivent dans son service au bout d’un long parcours fait de recherches sur les techniques d’éducation, de discussions avec des proches: ils cèdent finalement la main à un professionnel.
«Et comme ils veulent que leur demande soit prise au sérieux, ils exposent les problèmes sous leur plus mauvais angle, racontent les expériences les plus négatives. Ces problèmes isolés donnent une image qui colle à leur représentation, mais est-elle fiable?»
Les enseignants alors? Souvent plus structurée, parce qu’ils ne sont pas impliqués émotionnellement comme les parents, leur demande est différente de même que leur jugement. Mais il n’y a pas de mauvais point de vue, s’empresse d’ajouter Isabelle Roskam: « L’enfant est une synthèse de tout ce que nous rapporte son entourage . Parfois , l’enfant est difficile à l’école et pas à la maison et vice – versa . Il est aussi différent à la consultation , même s’il y a des cas d’enfants difficiles toujours et partout …» Mais elle souligne que le problème des spécialistes consultés est qu’ils ne peuvent se fier qu’à la personne qui vient en consultation, faute de temps et d’argent: idéalement, il faudrait avoir le «son de cloche» de différents intervenants…
«Nous ne nous attendions pas à constater tant de différences. Par exemple pour le diagnostic d’ADHD, si le spécialiste s’en tient à une seule version, le trouble concernerait 25% des enfants de 3 ans; si l’enfant est étudié dans deux milieux différents, le chiffre tombe à 2,5%! Il faut donc rester humbles…»
Des solutions sur mesure
Autre enseignement important: l’impact des troubles du langage. 25% des enfants difficiles seraient concernés. Pourtant, des mesures simples peuvent déjà avoir un impact considérable, comme une communication efficace avec ces enfants: se mettre à leur niveau pour capter leur attention, énoncer des consignes claires, communiquer simplement et efficacement… « Nous avons fait suivre aux parents une formation pour leur apprendre ces mesures . Et quand la situation se normalise , le comportement de bon nombre de ces enfants s’améliore .»
Toujours dans l’idée d’énoncer des consignes claires, celles-ci ne doivent pas seulement l’être dans leur verbalisation, mais aussi dans leur consistance. « Les parents utilisent parfois des techniques différentes pour se faire obéir . Résultat , il y a un manque de consistance éducative et l’enfant saura toujours comment obtenir de l’un ou de l’autre ce qu’il désire . De même , ces parents lancent des menaces irréalistes ; l’enfant y reste donc totalement insensible et ne change rien à son comportement . Autre cas de figure : ils essaient simultanément toutes sortes de techniques pour se faire respecter , de sorte qu’il n’y a plus de ligne directrice .»
Dans certains cas, il faudra même briser une image négative que les parents peuvent avoir de leur enfant, par exemple s’il n’était pas désiré, ou s’il s’agissait d’un garçon alors que les parents souhaitaient une fille, ou vice versa… Il s’agira alors de travailler sur la représentation de l’enfant par exemple en soulignant ses compétences reconnues par les enseignants, ou ses progrès.
Pour sa part, la logopédie sera utile pour rectifier des troubles du langage. « Quant au manque d’inhibition , la psychomotricité peut être utile , mais aussi des petits jeux très faciles à réaliser en famille comme le « ni oui ni non » pour exercer l’inhibition cognitive ou le « Jacques a dit » pour l’inhibition motrice . De plus , c’est un moment positif de relation avec l’enfant …», souligne Isabelle Roskam. Et si ces mesures ne suffisent pas, si le comportement de l’enfant a un impact sur son parcours scolaire, une médication peut être envisagée pour les enfants de plus de 6 ans sur décision du neuropédiatre, et parfois sur avis de l’équipe de recherche.
Et puis il y a les cas de troubles affectifs. « C’est l’aspect le plus difficile à travailler : cela demande une grande remise en question durant des séances familiales . On envisage aussi des thérapies mère – enfant s’il y a eu un problème de lien .»
Enfin, pour recadrer les méthodes d’éducation, des séances de guidance parentale sont organisées pour les parents qui sont prêts à remettre leur attitude en question. Une forme de coaching éducatif, en somme, organisé à raison de 5 à 10 soirées, individuellement ou en groupe. Précision importante: il est indispensable d’avoir l’adhésion des deux parents, afin qu’ils forment une équipe face aux problèmes, qu’ils puissent passer le relais quand nécessaire et décident de mesures adéquates. Cela a pour effet un retour de la confiance: les parents se sentent à nouveau capables d’agir. Quant à l’enfant, il tirera un bénéfice de ces thérapies, et ne se sentira plus rejeté, avec un effet positif sur son estime de lui-même.
Bilan tous les trois ans
Les enfants qui ont été pris en charge dans cette étude et qui ont suivi ces corrections adaptées à leur problématique spécifique ont donc aujourd’hui 6 ans. « Bonne nouvelle : aucun enfant difficile à 3 ans n’est condamné à le rester ! Il y a un potentiel d’aide pour tous .», aime souligner Isabelle Roskam.
La théorie des futurs délinquants dès la maternelle est donc effacée d’un coup de balai! « Il faut simplement développer des outils pour travailler avec les parents et les réseaux , mais aussi pour diminuer le stress dans la famille ou le couple , afin de ne pas rester dans un cercle vicieux . Les interventions générales comme la psychomotricité aujourd’hui proposée doivent être remplacées par des mesures ciblées .»
Une étude comme celle menée par Isabelle Roskam et son équipe, aussi utile et efficace soit-elle, a un coût non négligeable « Les parents n’ont rien dû payer , et 85 % environ sont restés avec nous . Si nous les avions fait payer , ceux qui seraient allé ne fût – ce qu’un peu mieux seraient déjà partis … Il nous faut donc des fonds pour poursuivre cette étude , trouver un financement .»
Toujours le même nerf de la guerre…
Carine Maillard