Juillet 2020 Par Rémi GAGNAYRE Michèle GUILLAUME Benoît PÉTRÉ Aurore MARGAT Réflexions

La crise COVID-19 questionne nos politiques de santé à considérer le citoyen comme un véritable partenaire de santé. Comment la crise sanitaire liée à la COVID-19 renforce la nécessité d’investir dans les éducations en santé ? L’une des répercussions positives de la crise est qu’elle permet de dévoiler de manière importante les forces et faiblesses du système de santé. Les comportements humains étant au cœur de la réponse face à la pandémie, le présent article souhaite se concentrer sur l’examen des mesures préventives adoptées par nos autorités gouvernantes.

Et s’il était temps de croire en la capacité des citoyens à s’investir dans les questions de santé ?

Partout dans le monde, les pays sont confrontés à une crise majeure de sécurité sanitaire publique liée à la gestion de la pandémie de COVID-19. Chaque pays est touché et les gouvernements du monde entier préparent une réponse stratégique afin de minimiser l’impact de la maladie et de sa propagation sur la morbidité et la mortalité de leur population, ainsi que les risques sociaux et économiques associés. Un élément clé de la réponse d’un système de santé à la pandémie du COVID-19 est la capacité à mettre en place des mesures permettant d’éviter la propagation du virus et la surcharge des services sanitaires à accueillir des patients : « aplatir la courbe » et « éviter les rebonds » ont été au cœur des préoccupations des décideurs.

Comme il n’existe toujours pas de médicaments pour traiter ni de vaccins pour prévenir la COVID-19, les mesures de prévention se concentrent sur des stratégies qui appellent la participation active des citoyens : surveillance des symptômes, hygiène des mains appropriée et fréquente, action de couvrir sa toux, éloignement physique ou auto-isolement. Ces consignes sont nécessaires pour l’ensemble de la population. Plus spécifiquement, les personnes contaminées ou suspectes doivent s’isoler chez elles et renforcer encore davantage ces mesures sanitaires. Ainsi, éviter la surcharge du système de santé dépend de la capacité des personnes à prendre soin d’elles-mêmes à domicile tout en minimisant le risque d’infecter leurs proches.

La crise met à l’épreuve les stratégies de prévention et de promotion de la santé dont le principe fondateur consiste à croire en la capacité d’apprentissage des personnes à prendre du pouvoir, à agir de manière éclairée – on parlera d’empowerment – sur des questions de santé individuelle et collective. Le principal enjeu de la réponse à la crise consiste ainsi à mobiliser les capacités des personnes à s’investir massivement – ces changements doivent être impérativement adoptés par l’ensemble de la population – et durablement dans les mesures d’autogestion, appelant l’intervention des sciences humaines et sociales.

Dans un article d’opinion, une chercheuse de Londres relevait pas loin de 13 mesures de prévention à adopter par la population pour réduire la transmission du virus : des mesures d’hygiène de base (se laver la main, laver les surfaces) à des mesures les plus contraignantes (isolation, distanciation physique). Cela est à mettre en perspective des récentes enquêtes européennes sur la littératie en santé et qui révélaient que 50 % des citoyens européens n’ont pas suffisamment de compétences en matière de santé pour « accéder, comprendre, évaluer et utiliser l’information de santé en vue de porter des jugements et prendre des décisions dans la vie de tous les jours en ce qui concerne la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, de manière à maintenir ou améliorer la qualité de vie ».

Un raisonnement un peu simpliste issu de ces dernières informations montre qu’une personne sur deux n’est pas en mesure de comprendre et appliquer efficacement les mesures de prévention de la COVID-19. Prenons une simple application de nos propos sur la capacité des individus à discriminer les informations correctes des fameuses « fake news ». Pour la moitié de la population, il n’est ainsi pas aisé de savoir à quelle information se fier, d’identifier des sources d’informations valables et d’avoir une certitude sur les informations. L’utilisation correcte des accessoires de protection (gants, masques) est aussi illustrative des difficultés rencontrées par la population. L’utilisation correcte (c’est-à-dire évitant des contaminations potentielles) de ces accessoires est complexe et demande des connaissances sur la diffusion du virus, un savoir-faire lié à la mise en place et au retrait des accessoires en sécurité, une gestion du stress lié à la peur de contaminations…soit de réelles compétences en santé.

Politique de gestion de la crise : le grand écart entre but recherché et moyens alloués

En ce sens, la réponse sanitaire questionne la préparation de nos sociétés et de leurs gouvernants à mobiliser des capacités et compétences en matière de santé mais aussi la prise en compte dans les politiques de santé de la participation citoyenne. A l’heure où le confinement total se termine et que la plupart des pays européens entrent dans la période de déconfinement, les attentes envers les citoyens sont de plus en plus importantes et font appel à leurs capacités et compétences en matière de prévention.

Faisant référence aux théories relatives à l’éducation en santé, nous mentionnons différents principes, non-exhaustifs, nécessaires à l’adoption de comportements préventifs : le besoin de comprendre les raisons du changement, l’inscription du changement dans une vision positive, l’intelligibilité des messages de prévention, la préparation au transfert dans les actes de la vie quotidienne, la question de sens à l’apprentissage attendu, la réponse aux préoccupations et questions des personnes. Ces conditions d’apprentissages illustrent que le traitement de l’information vers la mise en œuvre d’un comportement de santé est loin d’être automatique et demande un traitement actif de l’information par les personnes, une recherche de sens dans le choix de rejoindre ou non les moyens de prévention et d’un transfert potentiel dans la vie quotidienne et durable de la personne. Il faut encore ajouter à cela la question de l’environnement dans lequel évoluent les personnes, qui peut être plus ou moins favorable à la mise en œuvre de ces mesures : absence/présence de soutien social, autres problèmes de santé, préoccupation non prioritaire (par rapport à la perte d’un revenu par exemple), ou encore l’habitat favorisant ou non la promiscuité entre personnes et le possible respect des distanciations sociales.

Pourtant, les quelques traits généraux du principe d’agir en matière de prévention et d’éducation en santé brossés ci-avant ne semblent avoir été que peu rencontrés dans les stratégies adoptées par les gouvernements européens qui se focalisent sur des approches plutôt informatives, paternalistes et coercitives. Pour preuves, les communiqués de presse se suivent et se ressemblent avec comme toile de fond des messages activant la peur des individus, l’imposition de mesures de restriction universelles et l’expression de menaces et de sanctions en cas de non-respect des obligations. Un autre élément se situe dans la surveillance des comportements de santé au sein des populations. Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé appelle à un monitoring des connaissances, de la perception du risque, de la confiance dans l’information et comportements préventifs, force est de constater que les enquêtes menées à l’échelle nationale cherchent davantage à vérifier les comportements des individus, négligeant ainsi les facteurs qui motivent ces comportements. Finalement, tout se résume à ce que les personnes font ou ne font pas avec le risque afin de les catégoriser entre bons et mauvais citoyens.

Les constats posent questions. Ils exacerbent un mode de gouvernance qui minimise la capacité et les compétences en santé des personnes, et montrent l’impréparation profonde de nos systèmes de santé à miser sur la capacité des citoyens à agir comme acteurs de leur santé. La crise réactive d’anciennes approches préventives basées sur l’idée qu’informer, c’est produire le comportement attendu d’autant plus qu’on joue sur la peur, sur des sanctions. Pourtant ces approches ont été démontrées comme peu efficaces depuis de nombreuses années.

Investir dans l’offre d’éducation en santé dans une perspective de promotion de la santé

Bien que les enjeux sanitaires soient très lourds, cela autorise-t-il les gouvernements à renouer avec des principes archaïques en matière d’approche préventive en santé ? La réponse est bien entendu négative. Repenser un système de santé en inscrivant le citoyen non pas seulement comme un bénéficiaire mais comme un acteur, un partenaire, nécessite un investissement majeur. Cette stratégie constitue une réponse à court et long termes du changement des profils sanitaires, qu’ils soient aigus (COVID-19) ou chroniques.

Investir dans le développement des capacités et compétences en matière de santé des citoyens passe inexorablement par une offre d’éducations en santé. Cette offre existe et a besoin d’être soutenue et intégrée durablement dans les politiques de santé. On parle des éducations en santé pour désigner les différentes offres d’éducation ciblant un public ou un contexte particulier : l’éducation pour la santé qui est l’action d’accompagner les citoyens dans leurs choix de vie de façon éclairée ; l’éducation thérapeutique du patient qui confère aux patients les compétences de gestion de leur traitement ; l’éducation à porter soins et secours qui donne aux individus et aux familles les capacités d’agir et de réagir face aux diverses situations de la vie courante ; l’éducation pour la santé familiale qui a pour but de conférer aux familles les connaissances et les compétences de base leur permettant de maintenir leur santé, de résoudre par elles-mêmes des problèmes de santé courants et de gérer des situations d’urgence à domicile, sans avoir à s’adresser systématiquement à un système de soins de premier recours. Ce continuum des éducations en santé devrait s’inscrire indéniablement dans une approche dite de promotion de la santé ou de démocratie sanitaire. Autrement dit, l’éducation ne doit pas se faire selon une approche moralisatrice ou dogmatique mais bien de construction et d’émancipation de la personne, en tenant compte du fait que nous sommes loin d’être tous égaux en matière de santé.

Pour conclure

Les observations relatives à la crise actuelle nous font la démonstration d’un besoin radical d’évolution du système de santé, bien plus profonde que celle de la réponse à la présente crise. Les choix des autorités témoignent que la transition attendue vers le citoyen considéré comme acteur de santé est encore loin d’être achevée. Les enjeux éthiques et d’efficacité en matière de politique sanitaire appellent de manière urgente un investissement majeur dans les stratégies de promotion et prévention en santé, contribuant ainsi à réduire l’écart entre déclarations de politique nationale, régionale et les pratiques observées en matière de démocratie sanitaire.

A propos des auteurs

Benoit Pétré et Michèle Guillaume : Département des Sciences de la Santé publique à l’université de Liège (BE)Remi Gagnayre et Aurore Margat : Laboratoire en Educations et Pratiques en Santé – UR 3412-Université Sorbonne Paris Nord (FR)