Un colloque sur l’éthique en promotion de la santé (1), voilà une démarche intéressante. Des philosophes, des sociologues, des praticiens de la promotion de la santé y ont suscité beaucoup de réflexions en amenant une série de questions précieuses pour lesquelles il n’existe pas de réponses simples. En voici quelques-unes.
Plus de questions que de réponses
La complexité de la réflexion tient au sujet même de l’éthique et à son application dans le champ de la santé.
Les questions ont été illustrées à travers de multiples exemples qui mettaient en évidence quelques-uns de ces éléments qui font surgir l’éthique, dont notamment l’influence de la culture et de la religion dans la manière d’aborder la santé et dans les décisions qui sont prises par les autorités publiques. Et les intervenants de questionner la prise en compte des choix individuels. Jusqu’où, ou à partir de quand, faut il prendre des décisions pour la santé des autres?
La santé est autant liée à des éléments d’environnement qu’à des comportements personnels. S’il est parfois possible de modifier l’environnement, l’action sur les comportements est souvent complexe et fait plus rapidement surgir des questionnements éthiques.
Par exemple, interdire de fumer est une décision prise pour la protection d’une partie de la population mais elle contient en elle-même des effets négatifs en limitant les libertés d’une autre partie de la population.
Le paternalisme qui est associé à certaines décisions est une combinaison de deux éléments: une action (limiter les libertés de quelqu’un par exemple) et une raison (pour son bien). Le pouvoir de la santé publique est grand: coercition, interdiction, enfermement, secret… au nom de la santé.
Il faut donc établir des règles pour dire jusqu’où la santé publique peut aller. Il est important de pouvoir considérer les bénéfices attendus d’une intervention en regard des conséquences (personnes «blessées», exclues, respect de la confidentialité…) et de prendre alors la solution la plus respectueuse des libertés de tous. La réponse est décidément complexe.
Les décisions qui sont prises en termes de santé sont basées sur des valeurs, mais des personnes différentes auront des opinions différentes sur les valeurs prioritaires et elles auront chacune des raisons fondées. Aucun principe éthique ne permet de mettre une valeur avant une autre, le débat démocratique doit avoir lieu.
Des répercussions très concrètes
Pour illustrer le propos, je vous relate un exemple. Aux Philippines, la Constitution a beau séparer l’Etat et l’Eglise, la grande influence de celle-ci a modifié quelque peu la vision de la contraception. Bien que les méthodes fiables soient toujours disponibles, leur accès est rendu plus difficile et c’est la promotion des méthodes dites naturelles qui a pris le dessus. Le pays est chrétien à plus de 90% et un changement dans la Présidence a aussi modifié l’approche de la planification familiale, rendant non seulement la contraception moins accessible mais faisant aussi peser sur les individus la responsabilité du respect de la «vie».
Par ailleurs, la référence à la «bonne» santé est elle-même questionnée. Représente-t-elle le but unique? Ne peut-on offrir le choix plutôt qu’imposer par la coercition?
Une vraie priorité
Les inégalités en matière de santé ont été longuement évoquées au cours de ce colloque. La considération de la multitude de déterminants qui interviennent montre, s’il le fallait encore, la complexité du phénomène. Mais l’on peut questionner l’inégalité de la prise en compte de ses déterminants. En effet, nous vivons dans un monde où les «nouveaux» besoins d’une minorité prennent le pas sur les besoins essentiels d’une majorité: abondance pour les uns, manque flagrant pour les autres. Les droits humains et la santé sont liés, indissociablement. Tout ce qui s’oppose aux droits humains est antagoniste de la santé. L’asymétrie dans la distribution des richesses et du bien-être peut nous faire douter du bien-fondé des décisions prises dans un monde globalisé. Les disparités en santé sont évitables et injustes, elles constituent bien une priorité.
Les solutions à trouver pour permettre à chacun d’accéder à un état de bien-être passent aussi par le respect des valeurs de liberté et d’équité. Il y a en effet des valeurs auxquelles on tient tout autant qu’aux objectifs de santé. Mais quelle est l’application possible de ce fondement dans une société où tout est vu sous l’angle du «coût-bénéfice», où les investissements sont souvent pensés uniquement en termes de «rendement»?
Quelques règles éthiques pourraient encadrer les décisions… La promotion de la santé offre un cadre de base.
Un intervenant nous a proposé une petite comparaison, caricaturale certes, mais illustrative: la promotion de la santé vise une situation idéale quand la santé publique tend à arrêter les menaces dangereuses. La première combine une série d’actions de plusieurs secteurs, quand la deuxième agit directement sur la source de la menace.
Alors quid des réponses? Et bien, à nous de voir… Quelques pistes ont été tracées: lorsque surgit le questionnement, ouvrir le débat. Détailler les bénéfices recherchés, s’inquiéter des conséquences négatives possibles, rechercher des alternatives respectueuses des droits et libertés de chacun et au moment de faire un choix, ne pas hésiter à investir dans la meilleure solution.
Tout un programme…
Tatiana Pereira , Direction de la promotion de la santé, Communauté française de Belgique
(1) Setting an ethical agenda for Health Promotion, colloque qui s’est tenu du 18 au 20 septembre 2007 à l’Université de Gand