Novembre 2012 Par N. HUBIN Gaëtan ABSIL Stratégies

Le contexte : le bien-être à l’école

La promotion de la santé à l’école tend à dépasser les initiatives de type pédagogique pour s’orienter vers des approches intégrées considérant tant l’influence des contenus d’enseignement dispensés que celle des apprentissages informels et celle des modes de vie induits par l’environnement dans lequel les élèves évoluent (Young & Williams, 1989). Les professionnels, les scientifiques et les leaders politiques reconnaissent aujourd’hui la nécessité de favoriser une action globale et cohérente qui, dans une perspective écologique, prend en compte les interactions de l’individu avec son environnement physique et social (Fortin, 2004). Cette tendance, qui peut être rapprochée de l’essor de la notion de bien-être telle que définie dans les travaux du Conseil de l’Europe (2010) ou de l’OCDE (2010), favorise des approches multifactorielles intégrant les dimensions médicales, politiques, sociales et éducatives.

Depuis les années nonante, de nombreuses initiatives intégrées de promotion de la santé à l’école se sont développées en Communauté française de Belgique. Elles étaient généralement portées par des instances situées hors du champ de l’enseignement, notamment dans le cadre de projets financés par le secteur de la santé. En mars 2011 par contre, un dispositif pilote baptisé «Cellule bien-être» (CBE) est promu simultanément par les Ministères de l’Enseignement, de la Santé et de la Jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Un dispositif ouvert et multi-niveaux

Concrètement, une CBE est un groupe de coordination local réunissant différents intervenants internes ou externes à une même école (chefs d’établissements, enseignants, éducateurs, membres des équipes des CPMS et des Services PSE, élèves…) qui se concertent régulièrement afin d’aider le chef d’établissement à définir les lignes de force de son école en matière de bien-être. Une Cellule bien-être a pour but, entre autres rôles, de «dynamiser» la promotion du bien-être dans le temps et l’espace scolaires, d’identifier les ressources internes et de déterminer les services de deuxième ligne et les services «extérieurs» auxquels faire appel afin de répondre au mieux aux problématiques spécifiques vécues dans chaque établissement en termes de santé et de bien-être. Le dispositif pilote s’étale sur deux années scolaires (2011-2012 et 2012-2013) et concerne 80 établissements de tous niveaux, tous réseaux d’enseignement et tous types (maternel et primaire, secondaire général et qualifiant, ordinaire et spécialisé). La liberté est laissée à chaque école de développer son propre projet en fonction de ses propres priorités et contraintes.

Le déploiement du dispositif est soutenu par l’accompagnement méthodologique des écoles, par une mobilisation des partenaires locaux, dont les SPSE et CPMS, ainsi que par des réflexions collectives à plusieurs niveaux. Des «journées territoriales» sont organisées deux fois par an et mettent en relation des écoles de mêmes provinces. À l’échelle plus globale de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des rencontres entre les différents services d’accompagnement ainsi que des assemblées stratégiques rassemblant des acteurs institutionnels de différents secteurs d’activité concernés par le bien-être à l’école, sont régulièrement programmées.

Le dispositif est donc pensé comme une organisation favorisant les apprentissages de tous les acteurs impliqués en contact les uns avec les autres. Enfin, le dispositif est géré par un Comité opérationnel où siègent des représentants des ministères impliqués et des administrations correspondantes ainsi que l’APES-ULg, chargée de l’accompagnement et de l’évaluation du dispositif à un niveau global.

Les 80 écoles retenues sont réparties en deux catégories. Les écoles A bénéficient d’une subvention de 1000€ par an et d’un accompagnement méthodologique. Cet accompagnement est confié à des services issus de différents secteurs: l’éducation permanente, la promotion de la santé, la jeunesse, l’aide à la jeunesse et le développement durable. Les écoles B sont des établissements ayant déjà développé des projets similaires aux cellules bien-être avant l’introduction du dispositif. Elles n’ont dès lors pas souhaité bénéficier d’un accompagnement, mais perçoivent le subside, participent aux rencontres collectives entre établissements et sont parties prenantes de l’évaluation.

Les objectifs de l’évaluation

L’APES-ULg anime le processus d’évaluation participative et négociée et évalue le dispositif des «CBE» pour les 80 écoles. L’évaluation vise à favoriser l’émergence des points de repère, qui pourront être exploités pour soutenir la dissémination de ce type de démarche après les deux ans d’expérimentation. Ces points de repère doivent prendre en compte les éléments transversaux, des expériences menées dans les divers établissements et les mettre en relation avec des caractéristiques du dispositif global.

L’APES-ULg soutient les acteurs du dispositif et ses commanditaires dans l’identification et la formulation des questions d’évaluation. Ainsi, les points de vue, intérêts et attentes de tous les acteurs impliqués dans le dispositif (membres de la communauté scolaire, accompagnateurs, décideurs politiques, acteurs institutionnels…) sont pris en considération afin de d’émettre un jugement éclairé depuis plusieurs angles de vue.

L’évaluation doit aussi s’intéresser aux configurations particulières des CBE et refléter de manière dynamique les interactions entre des éléments aussi variés que les caractéristiques des actions mises en place dans l’école, à l’initiative de la CBE ou parallèlement à celle-ci, les modalités d’organisation et la composition des CBE, les autres dispositifs/groupes avec lesquels la CBE entretient des liens à l’intérieur d’un établissement, etc.

Les choix méthodologiques

Pour rencontrer ces objectifs, plusieurs options méthodologiques ont été adoptées. Tout d’abord, aucune hypothèse n’a été formulée a priori sur les caractéristiques que devraient avoir une CBE, ni sur les leviers et contraintes auxquels s’intéresser. De plus, les outils de collecte et d’analyse des données (schéma actantiel et récit) ont été sélectionnés pour leur caractère ouvert autorisant la manipulation de méthodes qualitatives et quantitatives et permettant un processus itératif de récolte des données, de formulation et de vérification d’hypothèses.

Des outils de collecte et d’analyse

Le schéma actantiel

Le matériau d’analyse est constitué des dossiers de candidature des écoles, des observations des accompagnateurs sous forme de «feuilles de route» (écoles A), des entretiens avec les personnes impliquées dans les CBE (écoles B), d’échanges entre représentants des écoles lors des journées territoriales (écoles A et B) et de l’envoi d’un questionnaire (écoles A et B) en fin de dispositif. Les phases de récolte des données sont échelonnées sur les deux ans.

Une première méthode d’analyse de contenu, visant à déterminer des critères d’évaluation au départ du discours tenu par les acteurs scolaires impliqués dans le dispositif, a été sélectionnée. Cette méthode qualitative, inspirée de la sociologie et de la linguistique et plus précisément des propositions d’ A.J. Greimas concernant l’analyse structurale des récits, mobilise un schéma de quête se présentant sous la forme suivante:L’utilisation de ce schéma offre l’avantage de structurer les données récoltées tout en restant suffisamment ouvert pour permettre de faire directement surgir du discours des acteurs des critères d’analyse utiles à l’évaluation. Les informations propres à chaque école sont réorganisées et encodées et sous la forme d’un «schéma de quête individuel» grâce à un logiciel de soutien à l’analyse qualitative. Au fil de cet encodage, les catégories du schéma les plus documentées sont subdivisées en sous-catégories plus précises, aboutissant à un canevas d’une centaine de rubriques. On parle donc d’une analyse inductive sur base des informations récoltées dans les écoles participantes.

Ainsi, on peut à tout moment modéliser puis analyser les informations disponibles, soit de façon transversale sur l’ensemble des établissements ou sur des sous-groupes, pour faire apparaître des régularités et des divergences autour d’un code spécifique du canevas (voir plus loin le point relatif à une méthode d’évaluation mixte); soit de façon particulière, par école, pour rendre possible l’analyse systémique de la complexité du contexte dans lequel se développent les CBE. C’est cette dernière modélisation, école par école, qui a été utilisée dans l’étape suivante du processus d’évaluation: la construction des récits.

Les récits

Les récits sont construits selon un processus de condensation des données (Huberman et Miles, 1992). Cette étape consiste à réorganiser les codes du canevas sous la forme d’un texte continu, déroulé selon une structure commune pour chaque école. Quatre-vingt récits sont donc rédigés par l’APES-ULg et passent en revue les éléments suivants.

Des éléments factuels liés à la CBE et à son action

  • La cellule bien-être elle-même, sa composition, ses modalités d’organisation, ses interactions avec l’accompagnateur, sa permanence.
  • Ce que fait la CBE pour se faire connaître, développer un projet pour l’établissement, mobiliser à l’intérieur de l’école, développer des partenariats, durer…
  • Les actions que la CBE coordonne ou que la CBE met en place au bénéfice des élèves, des enseignants, etc.
  • Les effets que l’on peut observer sur la vie à l’école ou sur les comportements et le vécu des différents acteurs de l’école, en lien avec le bien-être.

Des éléments motivationnels

  • Ce qui met en mouvement: ce qui a été à l’origine de l’inscription de l’établissement dans le dispositif (une personne, une situation, des expériences antérieures, etc.), ce qui motive les personnes porteuses de la dynamique CBE, mais aussi ce qui mobilise le reste de la communauté scolaire pour des actions ou des projets spécifiques, etc.
  • Des bénéfices/des bénéficiaires d’une amélioration du bien-être : élèves, enseignants, directions, éducateurs, parents, climat de l’école, image de l’établissement, accrochage scolaire, réussite scolaire, etc.

Des éléments d’appui ( facilitateurs / adjuvants ) ou de résistance ( freins / opposants )

  • Ces éléments peuvent être liés à l’environnement extérieur de l’établissement : sa localisation, ses implantations, les infrastructures dont il dispose, la disponibilité des partenaires ou le type d’appui qu’ils fournissent…
  • Ils peuvent aussi être internes à l’établissement : élément liés à l’organisation de l’établissement, aux sections qu’il organise, à son projet d’établissement, à la stabilité de l’équipe éducative ou aux caractéristiques de sa population, au manque de moyens financiers ou humains…
  • Ils peuvent concerner un outil ou une démarche particulièrement dynamisante, des projets ou procédures déjà implantés dans l’établissement ou encore des organes de concertation existants…
  • Ils peuvent enfin toucher à la CBE elle-même : son ancrage et sa reconnaissance dans l’établissement, les moyens qui lui sont donnés, ses modes d’organisation, le manque de temps…

L’objectif de la construction des récits est de fournir un support utile à la collecte d’informations itératives. Cependant, il donne aux CBE l’occasion de formaliser leur expérience en cours de construction et d’en garder trace. Secondairement il est utilisé comme rapport d’activités. Enfin, il devient dans de nombreux cas un outil réflexif utilisé avec l’accompagnateur (écoles A).

Une méthode d’évaluation mixte

Au terme de chacune des deux années scolaires, un rapport d’évaluation est rédigé par l’APES-ULg. Celui-ci vise à réunir des informations rigoureusement documentées sur les modalités d’institutionnalisation des CBE. Ces informations sont vouées à être exploitées pour décider de l’opportunité de mesures qui soutiendront la dissémination des CBE dans les écoles à l’échelle de toute la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour la rédaction de ce rapport, l’ensemble des hypothèses émises par l’APES-ULg sur base des récits sont vérifiées et mises en perspectives avec les enjeux discutés dans les différentes instances de concertation se tenant à différents niveaux : réunion des accompagnateurs, Assemblée stratégique et Comité opérationnel. Pour ce faire, on repère d’abord les sous-catégories issues du schéma de quête qui sont documentées dans un nombre suffisant de récits, ces sous-catégories font alors l’objet d’une analyse de contenu. À titre d’exemple, si on investigue la rubrique «partenaires de la CBE» dans les catégories «facilitateurs» et «freins» du schéma de quête, on peut identifier toutes les CBE ayant exprimé les effets positifs ou négatifs d’une collaboration externe. On peut ensuite en déduire, par exemple, une typologie des partenariats.

Cependant, il est parfois utile de recoder certaines sous-catégories sous forme de variables quantifiées au sein d’un tableur. Ce type d’analyse permet la mise en évidence plus directement lisible d’éléments transversaux (contraintes communes, ressources communes, usages communs…) en rapport avec des éléments de contexte facilement accessibles comme le réseau, le niveau des écoles, leur type d’enseignement ou leur inscription éventuelle dans un programme d’encadrement différencié.

Par ailleurs, une analyse de type quantitative est aussi mobilisée afin de permettre une comparaison plus systématique entre des variables, et ainsi de rendre plus lisible certains liens privilégiés entre des caractéristiques des CBE, tels que le nombre de membres des CBE et le niveau d’enseignement dispensé par les écoles, ou encore la structure des CBE et les modalités de coordination, etc.

Processus itératif : des aller-retour entre collecte et analyse des données

Le récit de chaque Cellule bien-être est destiné à être enrichi, complété par ses représentants à plusieurs moments. Le but recherché est de pouvoir suivre l’évolution de la CBE grâce à l’enrichissement progressif de son récit. Pour ce faire, les deux années scolaires dédiées au projet pilote sont subdivisées en plusieurs périodes, séparées par des «temps d’arrêt». Ces temps sont l’occasion pour les membres de chaque CBE de s’approprier leur récit, d’en corriger certains éléments, d’en actualiser d’autres et ensuite de le valider afin qu’il reflète le plus fidèlement possible la conjoncture de leur Cellule.

Après chacun de ces temps d’arrêt, les informations supplémentaires ajoutées au récit par les CBE et leurs accompagnateurs sont ajoutées dans le canevas d’encodage par l’APES-ULg (grâce au logiciel). Les informations ré-encodées donnent ensuite lieu à la révision du schéma de quête de chaque école, à l’écriture d’une nouvelle version du récit, mais aussi à l’affinement progressif des hypothèses nécessaires à l’évaluation. L’évaluation finale nécessitera alors de demander aux établissements de remplir un questionnaire standardisé afin de tester définitivement les hypothèses retenues.

Conclusion

De ces différentes étapes de l’évaluation résulte une méthode mixte originale où approches qualitatives et quantitatives se combinent afin de conjuguer le reflet de la complexité et de la diversité des CBE en construction avec la nécessité de dégager des repères utilisables à moyen terme par des acteurs institutionnels. En outre, l’approche qualitative basée sur le schéma de quête, les récits et les processus de catégorisation et de condensation itérative des données apparaît favorable à la mise en œuvre d’apprentissages collectifs, garants de continuité.

Bibliographie

CONSEIL DE L’EUROPE (2010), Construire le progrès sociétal pour le bien – être de tous avec les citoyens et les communautés . Guide méthodo ., Éditions du Conseil de l’Europe, Paris.
FORTIN J. (2004), «Du profane au professionnel en éducation à la santé: modèles et valeurs dans la formation en éducation à la santé». In Jourdan (Éd.), La formation des acteurs de l’éducation à la santé en milieu scolaire , Éditions Universitaires du Sud, Toulouse, pp. 51-65.
GREIMAS, A.J. (1976), Sémiotique et sciences sociales , le Seuil, Paris.
HUBERMAN, M., MILES (1992), Analyse des données qualitatives , De Boeck, Bruxelles.
OCDE (2010), L’éducation , un levier pour améliorer la santé et la cohésion sociale , Éditions OCDE.
SAINT LEGER L., YOUNG I., BLANCHARD C., PERRY M. (2010),Promoting Health in Schools, from Evidence to Action, UIPHE
YOUNG I., WILLIAMS T. (1989), The Healthy School , Scottish Health Education Group, Edinburgh