Ce commentaire d’un acteur politique a été fait avant le vote du 5 février dernier (ndlr).
Bruxelles va se doter d’un outil spécifique pour articuler la promotion de la santé en réponse à ses besoins qui restent immenses, pointant comme objectif majeur la réduction des inégalités sociales de santé.
Même si le décret devra encore faire ses preuves et relever l’enjeu de sa lisibilité, nous saluons cette étape qui a été franchie avec une collaboration déterminée du secteur tout en intégrant aussi quelques enseignements de l’évaluation de l’ancien décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles, réalisée voici quatre ans.
Nous nous réjouissons de voir un texte qui reprend l’historique de la promotion de la santé, concept qui percole de mieux en mieux auprès de multiples acteurs sociaux et publics. En effet, ce texte pose, pour la première fois, de nouvelles fondations solides quant à l’histoire de la promotion, tout en intégrant une vision globale et positive de la santé et en mettant l’accent sur les déterminants de la santé et ses inégalités sociales.
Ceci étant, la situation reste inconfortable. Largement. Parce que la promotion de la santé reste encore trop cantonnée dans le giron de la Commission communautaire française. Parce que ses champs d’action ne débordent que très/trop timidement des compétences de la Cocof. Parce que l’on cherche la volonté politique réelle d’assurer la transversalité de cette matière dans les autres secteurs de la politique bruxelloise, comme l’invite le projet de Bruxelles, Ville-Région en santé.
Pour rappel, l’adhésion au réseau européen des ‘Villes-Santé’ de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est l’engagement pris par les autorités publiques d’une ville, ou d’une région dans notre cas, à faire converger ses politiques vers un ensemble de principes de santé citoyenne et communautaire. Le projet Bruxelles, Ville-Région en santé se concentre sur trois grands objectifs:
- améliorer la cohérence des politiques de santé bruxelloises;
- développer des politiques de lutte contre les inégalités sociales face à la santé;
- promouvoir la transversalité des politiques.
Plaidoyer pour plus de transversalité
Autant d’éléments qui sont en phase totale avec le nouveau décret et qui me donnent l’occasion de m’étendre davantage sur l’enjeu de la transversalité.
Cet objectif est un levier d’action que nous, politiques, détenons pour améliorer d’une façon plus efficiente, efficace et équitable la santé des Bruxellois en abordant les enjeux de la santé par un prisme plus large.
Pour illustrer mon propos, je développerai un exemple: le lien entre l’urbanisme et la santé. Actuellement, il existe encore un fossé entre ces deux domaines d’actions.
Les projets d’urbanisme restent, malheureusement, trop souvent centrés sur les aspects techniques et environnementaux. Les institutions et les procédures administratives cloisonnées sont aussi la cause d’une non-collaboration entre ces deux champs.
Or, il est important de rappeler que l’urbanisme et l’aménagement du territoire sont des déterminants majeurs de la santé. La plupart de leurs composantes l’influencent directement: le logement, l’emploi, l’accès aux services collectifs, la politique concernant les espaces publics, les transports, le cadre de vie, les espaces verts, etc.
Je prends un exemple plus précis encore, extrait du dernier numéro de la revue de l’INPES La santé en action, qui consacre un excellent dossier aux liens entre l’urbanisme et la santé.
Réfléchissons un instant à la façon dont un espace de jeux est pensé: est-il équipé surtout de mobilier tel que des balançoires, des structures pour grimper et escalader ou plutôt incitera-t-il à raconter des histoires, à se cacher, à favoriser des expériences sensorielles avec la terre, le sable, l’eau… Suscitera-t-il la rencontre et l’expression, ou participera-t-il surtout à la gestion de l’explosion psychomotrice? Ou un mixte des deux? Chacun des choix posé est porteur de sens et porteur de santé. C’est intéressant d’en prendre conscience.
Autre exemple, on connaît l’incidence sur la santé de la pratique régulière de la marche et de celle du vélo. Sur le plan urbanistique, la place consacrée aux vélos et aux piétons a une incidence directe sur la santé. Ce n’est qu’en multipliant les zones sécurisées pour les vélos que l’on augmentera le nombre de cyclistes. C’est en réfléchissant aux types d’aménagements urbains que l’on suscite des évolutions dans les comportements.
Tous ces éléments ont donc une incidence directe sur l’état de bien-être physique, mental et social.
L’urbanisme a aussi un impact majeur sur les inégalités sociales de santé. Ces dernières sont accrues par l’exclusion sociale en matière de logement, de transports et d’accès aux services. Ces inégalités peuvent être analysées à travers une perspective de planification spatiale de notre ville. Par exemple la façon dont est pensée l’offre de transports en commun peut ou non combattre les inégalités sociales de santé: en désenclavant certains quartiers, en renforçant la mobilité pour tous on donne à chacun l’occasion d’élargir la représentation mentale de son cadre de vie.
On connaît les résultats de l’étude d’ Andrea Rea sur les cartes mentales des adolescents, leurs représentations de Bruxelles qui varient suivant leurs quartiers de vie, et qui renforcent ou non le repli sur soi. Avec les ségrégations et exclusions sociales à la clé et le sentiment de manque de confiance en soi qui y est corrélé.
Un urbanisme qui suscite et favorise l’échange et la participation des habitants dans l’aménagement de leur propre quartier est éminemment porteur de santé, il lutte contre les inégalités spatiales de santé! Je sais que c’est un des objectifs, malheureusement non dit, non suffisamment reconnu, des contrats de quartiers.
Ces exemples permettent d’illustrer toute l’importance et l’impact réel que peut avoir une politique transversale de la santé. Ils illustrent notre responsabilité et notre devoir politique en la matière.
Le texte du décret fait aussi référence, et largement, au concept de transversalité. Le décret mentionne, à plusieurs reprises, que «la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire: elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être».
Dans son introduction, le décret évoque de façon remarquable l’ensemble des déterminants de la santé. Où il est question de niveau de revenu, de statut social, d’éducation, d’emplois, de culture, de conditions de travail, d’environnements physiques et sociaux, etc. Autant de matières qui débordent largement des compétences de la Cocof.
Cependant, après lecture et débat du texte, nous peinons toujours à comprendre comment le décret parviendra à faire comprendre, à assurer la plus-value de la promotion de la santé et à décliner cette transversalité de manière opérationnelle. Le texte pose les prémices théoriques d’une éventuelle transversalité mais nous sommes encore loin de sa mise en œuvre. Cette transversalité dépend encore trop du bon vouloir des autres compétences ministérielles avec lesquelles des accords de coopération devront être conclus.
La mise en œuvre d’une transversalité doit aussi passer par une cohérence des différents niveaux de pouvoir. Ce texte expose encore certaines incohérences, comme nous l’évoque le cas du FARES. Dans son avis, le Conseil d’État a émis une réserve quant aux publics cibles de l’ONE. Les programmes de promotion de la santé ne doivent pas viser les jeunes scolarisés, compétence restée du ressort de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Or, le volet tabagique du FARES travaille certes avec des professionnels, mais vise, in fine, les jeunes scolarisés. Une incohérence au niveau politique se répercute de manière concrète sur le terrain.
Mon groupe politique votera positivement ce nouveau décret relatif à la promotion de la santé. Parce qu’il représente une avancée dans le trop lent combat de la promotion de la santé qui devrait habiter toute réflexion politique. Et je persiste à croire qu’il s’agit d’une saine utopie que de poursuivre ce combat. Nous resterons donc vigilants quant à sa mise en œuvre, sa déclinaison opérationnelle sur le terrain mais surtout quant à la mise en place d’une progressive transversalité en matière de santé.