Le Conseil supérieur de promotion de la santé se réjouit qu’en application du décret du 14 juillet 1997 portant organisation de la promotion de la santé, une évaluation du secteur ait été mise en œuvre comme il le souhaitait depuis plusieurs années.
Toutefois, le Conseil estime que le rapport d’évaluation ne représente qu’une première étape d’un processus plus large. Une réflexion devrait-être poursuivie en vue de la construction d’un nouveau dispositif. Cette réflexion devrait précéder les changements législatifs et faire l’objet d’un investissement financier pour que des professionnels puissent y travailler en tenant compte du terrain.
Le Conseil rappelle qu’une réforme à enveloppe fermée ne suffira pas pour amener une amélioration notoire de la qualité et de l’universalité des services. Pilotage, priorisation, coordination ne constituent pas des panacées là où le budget est nettement insuffisant par rapport aux besoins de la population et aux enjeux de la prévention qui visent la réduction des coûts des soins de santé. Il faut absolument investir dans la promotion de la santé pour couvrir l’ensemble de la population. À ce sujet, la structure institutionnelle de la santé en Belgique représente un frein. Il faudrait en effet un changement structurel important pour laisser une meilleure place à la promotion de la santé dans les politiques et dans les financements.
À propos du rapport d’évaluation , il apparaît qu’il présente certaines lacunes, incohérences et contradictions internes au texte. Il manque de nuance, de finesse d’analyse, il contient parfois des erreurs factuelles importantes.
À titre exemplatif, le Conseil aurait souhaité:
•une meilleure prise en compte du cahier des charges formulé par le Conseil lui-même ainsi qu’une concertation plus régulière avec le Conseil afin de soutenir le pilotage de cette évaluation et l’analyse des résultats;
•une référence au cadre réflexif de la réduction des inégalités sociales de santé. Celle-ci aurait été un atout pour l’analyse des pratiques en matière de services de santé, de médecine préventive et de promotion de la santé. En ce sens, le Conseil regrette aussi l’absence d’analyse des enjeux liés à l’intégration de la promotion de la santé dans les services de santé de première ligne tels que la médecine générale;
•une meilleure prise en compte des références en matière de promotion de la santé;
•que la promotion de la santé ne soit pas exclusivement envisagée au travers de textes de définition, voire d’un point de vue légal, mais aussi comme un corpus de bonnes pratiques, de compétences et de critères de qualité spécifiques;
•un relevé de l’existant des « bonnes pratiques » et des processus de travail fructueux en matière de concertation, de partenariats, de participation et d’intersectorialité;
•un échantillonnage plus large prenant en compte tous les acteurs du secteur, qu’ils soient subsidiés ou non;
•en matière de programmes de médecine préventive, une analyse qui ne soit pas focalisée sur PROVAC en laissant de côté les programmes de dépistage des cancers, des maladies métaboliques, de la surdité et les structures qui y sont associées tels que les centres de référence pour le dépistage des cancers;
•une analyse des politiques de la Région Wallonne dans un souci de complémentarité, par exemple une analyse du dispositif mis en place dans le cadre de la cohésion sociale et la lutte contre les inégalités sociales de santé, aurait pu être porteuse de pistes intéressantes pour les dispositifs de promotion de la santé;
•une investigation plus avancée des niveaux politiques et institutionnels qui peuvent impacter le dispositif de promotion de la santé;
•une analyse plus systémique de la mise en œuvre des missions par les divers acteurs;
•un recoupement des informations (triangulation) qui aurait permis d’apporter une validation à certains constats. En particulier, le croisement entre les points de vue d’acteurs qui exercent des missions à différents niveaux (action locale, action communautaire, administration, acteur institutionnel ou de proximité, dédié ou non à la promotion de la santé);
•une analyse opérationnelle des informations collectées. Ainsi toute une série de missions, remplies par des organismes ou services agréés, sont présentées de manière théorique (observation, documentation, aide méthodologique, évaluation, communication, ..) mais les services concernés n’ont pas été interrogés sur leur façon de les mettre en œuvre dans leur activité propre;
•dans certains cas, une analyse présentant des résultats en rapport avec le référentiel posé par les évaluateurs. Ainsi la PSE est parfois budgétairement complètement intégrée dans la promotion de la santé et à d’autres moments, elle est prise en considération dans la médecine préventive. Or, les services PSE assurent à la fois des missions de médecine préventive, d’observation et de promotion de la santé. Dans un autre domaine, la promotion de la santé dans le sport n’est abordée que sous l’angle de la surveillance (contrôle du dopage), conception étroite du sens du décret qui cadre ces missions;
•voir mieux apparaître des commentaires, analyses ou réflexions des experts internationaux sur les informations récoltées par les évaluateurs.
Le Conseil souhaite également pointer l’intérêt des éléments suivants ressortant du rapport:
•le rapport d’évaluation met en lumière l’intersectorialité et le partenariat comme des éléments-clés du concept de promotion de la santé. Il propose la promotion de la santé comme un référentiel commun qui tisserait des liens entre les compétences en s’inscrivant dans les agendas politiques des entités fédérées, des Provinces et des Communes, au même titre que le développement durable;
•en conséquence, le rapport propose que le cadre légal de la promotion de la santé en Communauté française prévoie différents niveaux d’action: une action au niveau des politiques de santé spécifiques à la Communauté française; une action par voie de protocoles d’accord avec les autres politiques gérées par la Communauté française (ONE, enseignement, culture, sport, éducation permanente, etc.). À ces deux niveaux, le Conseil suggérerait d’ailleurs d’ajouter la nécessité de protocoles de collaboration avec l’autorité fédérale et les autres entités fédérées pour l’action sur les déterminants de santé qui dépendent de celles-ci;
•le rapport propose que l’implémentation de la promotion de la santé dans les différentes compétences de la Communauté française soit à charge d’une cellule plurisectorielle dépendant directement du Secrétariat général du Ministère de la Communauté française;
•le rapport souligne que les opérateurs financés par le secteur investissent la question de l’évaluation, mais que les évaluations et rapports d’activités réalisés ne sont pas toujours exploités pour un meilleur pilotage de la politique. Il suggère des pistes pour capitaliser sur cette habitude d’autoévaluation en vue d’un meilleur pilotage de la politique. Pourquoi ne pas donner plus de moyens pour utiliser les évaluations?
•le rapport insiste sur la nécessité de préserver l’autonomie des acteurs et sur la nécessité d’associer les acteurs de proximité à la définition des plans et programmes;
•en particulier, le rapport insiste sur l’importance de s’adapter à la spécificité locale des structures et des offres en promotion de la santé, grâce notamment aux CLPS, tout en assurant un cadre d’action commun. Le CSPS suggère en outre d’accorder une attention particulière aux mécanismes qui assurent un juste équilibre entre cadre commun et possibilités d’adaptation aux spécificités locales. Une analyse de la manière de mobiliser les autres niveaux territoriaux (province, communes) devrait aussi être réalisée.
Les réflexions et analyses préalables à une réforme du cadre décrétal
Les réflexions ci-dessous portent sur les deux grandes propositions du Cabinet de la Ministre de la santé que sont la rédaction d’un « Code de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles » et la mise sur pied d’un organisme de « pilotage opérationnel et de coordination de la santé ».
Réflexions à propos du «Code de la santé de la Fédération Wallonie Bruxelles»
Comme signalé dans les préalables, il semble prématuré de créer un Code de la santé pour la Fédération Wallonie-Bruxelles notamment dans le contexte de la future réforme de l’État.
Il s’agit tout d’abord de fixer à quel niveau opère le concept de promotion de la santé.
Fournir une référence intégrative pour servir de toile de fond à un décret , en accord avec les recommandations des organismes internationaux ( OMS ). Ces recommandations montrent l’importance d’agir sur l’ensemble des déterminants de la santé, instaurent l’accès à la santé comme un droit fondamental et transcendent nos normes juridiques parce qu’elles prennent racines dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Dans cette optique, le critère ultime de la justesse d’une politique de santé sera l’universalité des services offerts à tous les niveaux (dépistage et prévention, éducation pour la santé et promotion de la santé). Cependant il faut avoir conscience que l’étroitesse des ressources et des compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles reste le premier frein à l’universalité dans l’offre et/ou la qualité des services proposés.
Définir un corpus de pratiques et de compétences spécifiques qui s’exercent , en première et en deuxième ligne . Pratiques et compétences s’exercent en première ligne , au niveau de l’interaction individuelle ( éducation , information , dépistage et protection ) et au niveau de la mobilisation des communautés ( empowerment et action sur les milieux de vie ). Elles s’exercent en deuxième ligne , dans le domaine du plaidoyer auprès des institutions et dans celui des partenariats intersectoriels pour veiller à faire bouger les déterminants collectifs de la santé .
Au cours des dernières années, le CSPS a émis plusieurs avis très documentés qui montrent l’absolue nécessité de combiner ces niveaux d’interventions pour atteindre l’efficacité des politiques publiques en matière de santé. (Consulter notamment l’avis sur les bonnes pratiques de dépistage, l’avis sur la réduction des inégalités sociales de santé).
Le soutien de ce corpus de compétences et de pratiques spécifiques représenterait le champ d’application du « code de la santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Au sens institutionnel du terme, cette « compétence technique » constituerait ainsi la spécificité et l’exclusivité de la FWB, lui permettant de marquer de manière visible son utilité au service de la santé des citoyens.
En conséquence, il importera aussi de clarifier quelle est la place (l’impact) de la promotion de la santé vis-à-vis des autres compétences notamment les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles (culture et audiovisuel, sport, enseignement, éducation permanente, enfance et jeunesse…). La seule mention de « passerelles » semble trop faible pour définir ces liens. Il importe en effet d’assurer une meilleure pénétration des outils et du soutien que peut apporter la promotion de la santé dans d’autres domaines de compétences et à d’autres niveaux de pouvoir. Pour ce faire, des accords formalisés, ayant une base juridique, sont incontournables.
Réflexions à propos de l’organisme de «pilotage opérationnel et de coordination de la santé»
La conception de l’organisme de pilotage opérationnel et de coordination relève d’une analyse managériale des données d’évaluation, empreinte de technicité. L’emphase est mise sur une planification descendante, négligeant souvent une vision plus « organique » centrée sur la mobilisation, l’adhésion, l’amélioration coopérative de la qualité des services rendus et l’exercice de la responsabilité.
Cette grille de lecture est-elle adaptée pour affronter les tensions qui traversent un secteur d’activité dans lequel la fonction publique communautaire ou régionale doit impulser des politiques, être garante du fonctionnement d’un dispositif, d’un choix judicieux de priorités, de l’universalité et de la qualité des services, alors que les activités sont essentiellement déployées par le monde associatif ou par des partenaires publics locaux? Il est important que le mode de pilotage et de coordination soit en cohérence avec le pacte associatif qui préserve une large part de liberté et d’initiative aux acteurs associatifs.
En outre, le mode de pilotage proposé ne prend pas suffisamment en compte le principe de subsidiarité. Ainsi, le partenariat entre les structures publiques sur le terrain local est le point de convergence des politiques de tous les niveaux territoriaux. Malheureusement, ces politiques sont souvent trop peu cohérentes entre elles. Un pilotage descendant à partir d’un seul niveau de pouvoir ne permet pas l’implication du pouvoir local et ne favorise pas la complémentarité et l’harmonisation entre les multiples dispositifs coexistant sur un territoire local.
Si un organisme de pilotage opérationnel et de coordination devait voir le jour, il devrait rester dans une logique de service public. Il s’agirait de bien clarifier les relations entre le service public et le secteur associatif; ne pas mélanger contrôle, évaluation et soutien et bien définir ces termes. Le rôle de cette structure ne serait pas de mener à bien ses propres projets. Les subsides resteraient pour les projets mis en œuvre par le secteur associatif.
Historiquement le secteur de l’éducation pour la santé, puis de la promotion de la santé avait trouvé un équilibre entre contrôle public et initiatives associatives en mettant en place des processus de soutien de la qualité des projets et des pratiques à divers niveaux: outils de dépôt de projet et d’examen des demandes de subvention, appui méthodologique et logistique mis gracieusement à disposition des acteurs, etc. À enveloppe fermée, suffira-t-il d’installer un pilotage central pour améliorer la qualité des services actuellement rendus en termes de médecine préventive et de promotion de la santé?
Des outils de pilotage stratégiques existent actuellement au travers du programme quinquennal et des plans communautaires opérationnels, mais aussi par l’intermédiaire des PACP des CLPS et des avis du Conseil et encore, par l’obligation à tout opérateur de prévoir une évaluation pour solliciter une subvention. Il est donc faux de penser que le secteur de la promotion de la santé évolue actuellement sans pilotage. Certains secteurs ont développé, en sus, leurs propres outils de pilotage spécifiques, par exemple les stratégies concertées de prévention du SIDA et des IST, le comité de concertation intersectoriel de la vaccination, etc.
Dans l’organisation projetée, la concertation des acteurs est située au niveau de « l’organisme de pilotage et de coordination » qui aura pour rôle « de faciliter la déclinaison opérationnelle des priorités et stratégies définies par le Gouvernement et ses services » (extrait de la présentation du Cabinet de la Ministre). Le Conseil considère qu’il est important de maintenir un organe représentatif de consultation stratégique, tel que le Conseil supérieur de promotion de la santé, en dehors de la structure de pilotage.
Le Conseil estimerait adéquat d’aborder la nécessaire amélioration du pilotage de la politique de santé de la Communauté française au départ des atouts et des outils existants, notamment en accroissant les moyens consentis aux partenariats susceptibles de favoriser l’application de tels outils. Le Conseil estime que la plus-value potentielle d’un organisme central pour le pilotage de la politique de santé devrait être solidement argumentée sur base d’une analyse de faisabilité et des scénarios opérationnels, avant d’être actée par décret.
Enfin, le Conseil insiste sur l’absolue nécessité que cette réforme non seulement préserve le volume d’emplois au sein des différentes structures et l’expérience acquise par les professionnels en place. Au-delà, il souhaite surtout qu’elle apporte des améliorations en termes de stabilité et de valorisation des emplois dans le secteur de la promotion de la santé et de la médecine préventive. Stabilité et valorisation des emplois sont les conditions incontournables d’une professionnalisation et d’une amélioration de la qualité des pratiques et des services rendus à la population dans le cadre des politiques de santé de la Communauté française.
En conclusion, le Conseil reprend une ligne de force proposée dans le rapport d’évaluation: « que ce nouveau décret nous aide à bien faire l’essentiel ». Pour le Conseil, l’essentiel reste le développement d’un soutien pour une amélioration continue de la qualité des pratiques, aussi bien parmi les professionnels de première et de deuxième ligne que parmi les bénévoles, les acteurs institutionnels et les décideurs. Cette amélioration devrait s’articuler sur une mutualisation des expériences des acteurs de la Communauté française, qui intègre aussi les acquis des expériences internationales et qui soit diffusable au sein d’autres secteurs d’activité. Les missions d’un éventuel organisme de pilotage opérationnel et de coordination devraient prendre pour objectif principal cette mutualisation au service d’une réduction des inégalités sociales de santé.
Au vu des nombreuses remarques émises, le Conseil propose que soit mis en place un groupe de travail et le financement d’une équipe pour réfléchir à une réforme de fond autre que juridique.
Avis d’initiative du Conseil supérieur de promotion de la santé du 19 août 2011
Chantal Leva , Présidente du Conseil supérieur de promotion de la santé