Septembre 2005 Par Martin de DUVE Initiatives

Le tabac est nuisible pour la santé des fumeurs et des non-fumeurs, tout le monde le sait. Depuis une dizaine d’années, les non-fumeurs revendiquent de manière de plus en plus franche le droit de pouvoir évoluer dans un environnement sain et exempt de fumée. Une loi a été votée dans ce sens. Elle interdit de fumer dans certains lieux accessibles au public, elle est de plus en plus strictement d’application et sera fort probablement renforcée dans les mois à venir.
Passe-t-on de la dictature des fumeurs à la dictature des non-fumeurs? Et s’il s’agissait plutôt de développer une gestion courtoise du tabagisme, une coexistence pacifique dans le respect mutuel et le dialogue?
Après une campagne originale et humoristique visant l’arrêt du tabagisme au sein des lieux publics de l’Université catholique de Louvain, un pas de plus est franchi aujourd’hui, qui consiste à offrir aux étudiants qui le souhaitent une aide à l’arrêt du tabac. L’opération «Frisbee – Be free» est née.

L’origine du projet

C’est à partir d’une plainte que la campagne a démarré. En 1999, une étudiante en Faculté de Droit, soutenue par un groupe d’amis, s’est plainte du fait qu’elle ne pouvait plus assister au cours parce qu’elle était fortement allergique à la fumée de cigarette. La plainte a pris ensuite une dimension plus radicale, ce même groupe d’étudiants saisissant le Conseil des Affaires sociales et étudiantes, et le menaçant d’une action en justice si l’Université ne menait pas une action visant à faire respecter la loi.
La loi en question fait référence aux lieux privés ou non qui sont accessibles au public et qui font partie d’établissements ou de bâtiments dans lesquels (…) l’enseignement et / ou la formation professionnelle sont dispensés (arrêté royal du 15 mai 1990).
Cette menace a donné un coup d’accélérateur à l’action et l’a légitimée. Cependant, un climat tel que celui-là n’est pas a priori propice à la compréhension mutuelle.
L’asbl Univers santé (1) a saisi la balle au bond et a lancé une campagne de sensibilisation. Son objectif: rappeler l’interdiction légale de fumer dans les espaces privés accessibles au public et donc contribuer à la diminution du tabagisme passif dans un esprit de concertation et de dialogue. Il s’agissait d’éviter de passer de la dictature du fumeur à celle du non-fumeur, en sensibilisant tous les publics à la problématique dans un esprit positif.

La démarche globale

Plus de 3 000 étudiants interrogés
La première étape de cette campagne a consisté en une enquête afin de vérifier l’opportunité de mener une campagne de sensibilisation.
Durant l’année académique 1999/2000, 3.261 étudiants ont répondu à l’enquête d’Univers santé sur le tabagisme dans les espaces facultaires de l’UCL. Les résultats indiquent que la fumée pose effectivement un problème de qualité de vie puisqu’elle dérange 69 % des non-fumeurs. Les fumeurs qui ont répondu à l’enquête en ont largement conscience et 70 % d’entre eux sont prêts à faire un effort pour respecter la loi qui régit l’interdiction de fumer dans les espaces publics.

Tableau récapitulatif des données

2462 non-fumeurs (75 %), 758 fumeurs (24 %) et 41 non-déterminés (1 %).
69% (1678) des non-fumeurs sont dérangés par la fumée.
87% (631) des fumeurs ont conscience que la fumée dérange.
70% (507) des fumeurs pensent qu’il leur est possible de ne pas fumer dans les espaces concernés.
78% (1916) des non-fumeurs et 74 % (558) des fumeurs connaissent la loi interdisant de fumer dans les lieux publics.
89% (2175) des non-fumeurs et 62 % (468) des fumeurs pensent qu’il serait bon de rappeler cette loi.
83% (2029) des non-fumeurs et 71 % (536) des fumeurs estiment qu’il est utile de sensibiliser à la convivialité entre ces deux groupes.
28% (666) des non-fumeurs et 28 % (208) des fumeurs sont prêts à s’investir pour trouver des solutions concrètes.

Les résultats de cette enquête montrent la bonne volonté de la majorité pour améliorer la situation. Autre point positif: la réalisation de ce sondage a permis de mettre la question à l’ordre du jour et d’effectuer dès lors une première phase de sensibilisation à la problématique.
D’une expérience-pilote à sa généralisation
C’est en partenariat qu’une expérience-pilote a été menée en Faculté de Droit en 2000 avec les étudiants (fumeurs et non-fumeurs), le Conseil des Affaires sociales et étudiantes, la Faculté de droit, le Vice-rectorat, l’Administration des affaires étudiantes, les Services des auditoires et Univers santé. Mettre l’ensemble des intervenants potentiels autour de la table afin que chacun puisse s’exprimer et s’approprier le projet est une étape déterminante pour la bonne réussite dudit projet et du ton que l’on veut y mettre. Suite aux excellents résultats du projet-pilote, cette démarche globale fut instaurée pour l’ensemble de l’Université.
Sur cette base, et après les ajustements nécessaires révélés par le projet-pilote, l’opération fut généralisée à toute l’Université en 2001. Préalablement à cette généralisation, le Vice-rectorat et Univers santé ont pris le temps de rencontrer tous les bureaux de Faculté et de les informer largement des résultats de l’enquête, des résultats du projet-pilote et des moyens mis en œuvre dans leur faculté pour la généralisation de l’opération. La coopération des facultés et des doyens a été sollicitée puisqu’elle s’était avérée indispensable dans le test.
Tous les moyens utilisés dans le test ont été réutilisés, parfois légèrement modifiés. En voici la liste:
-des affiches sur les portes d’entrée aux auditoires: «Vous entrez dans un espace non-fumeur».
-un courrier individuel à chaque étudiant, exposant les motifs de l’action: au verso se trouve une invitation à acquérir la carte de sport. L’association de ces deux messages en santé s’est avérée pertinente;
-un courrier du doyen à chaque membre du personnel;
-un programme logistique: retrait des cendriers intérieurs, mise à disposition de cendriers extérieurs, programme de nettoyage des abords. Ce programme a dû être intensifié et fait l’objet d’un plan pluriannuel;
-des affichettes humoristiques soutenant l’ensemble des messages. Le ton se voulait être une invitation au dialogue et au respect;
-une fiche d’information en santé «Atout santé tabac» a été rédigée et diffusée dans 60 présentoirs sur les deux sites de l’Université, à Louvain-la-Neuve et Bruxelles. Elle propose une information sur le tabagisme actif et passif, invite à la recherche de solutions de coexistence, propose une aide personnalisée aux étudiants qui souhaitent arrêter de fumer et dénonce les manipulations exercées par l’industrie du tabac;
-une aide aux fumeurs qui envisagent l’arrêt est proposée aux étudiants par l’équipe santé du service d’aide de l’Université.
Cette démarche globale a donné de bons résultats:
-l’objectif est atteint à quasi 100 % à Louvain-la-Neuve;
-à Bruxelles, certains auditoires n’ont pas d’accès extérieurs immédiats (en raison de travaux) et donc posent encore quelques problèmes;
-le soutien du doyen a été déterminant dans certaines facultés. Cependant l’annonce de la campagne n’a pas atteint toutes les entités. Deux d’entre elles ont entrepris d’enlever systématiquement toutes les affiches, ne se sentant pas concernées par la campagne. Cela révèle l’importance que chacun puisse s’approprier le projet, ou du moins en être personnellement informé;
-les affiches du caricaturiste Kanar (première campagne humoristique, que nous ne détaillerons pas ici): l’ensemble est plutôt bien perçu, cependant, quelques personnes nous ont fait part de leur mécontentement à propos de certaines affiches. Un séminaire du Département de Communication en a fait une évaluation systématique. Sur les 27 dessins, 19 contribuent tout à fait positivement au message, et 8 desservent la campagne et ont été retirés (association fumée/mort, stigmatisation du fumeur, culpabilisation et exclusion du fumeur). Univers santé s’est associée à trois étudiants fumeurs de dernière licence en Communication afin de réaliser une nouvelle campagne humoristique au ton nouveau, non-moralisateur et fédérateur.
Quelques facteurs semblent avoir contribué de façon déterminante à la réussite de ce projet:
-un engagement étudiant fort;
-l’implication directe des fumeurs dans le choix des messages;
-un partenariat multiple;
-une volonté des autorités;
-un volet matériel, structurel bien mené;
-un ton qui invite à la courtoisie, au dialogue, à l’exclusion de la fumée, pas du fumeur.
La campagne a été répétée chaque année depuis lors et le résultat positif persiste.
«Ceci n’est pas une cigarette», la campagne d’entretien
Une année d’action ne suffit pas. L’ensemble des partenaires ont donc décidé d’une campagne d’entretien plus proche encore du public cible et du ton voulu. Nouveau message aux étudiants et nouvelle campagne visuelle.
Parallèlement, Univers santé s’est associée à trois étudiants (fumeurs) du séminaire de Communication en vue de réaliser un nouveau visuel de campagne qui évite toute culpabilisation du fumeur et invite au dialogue, à la prise de conscience des efforts mutuels. Elles ont un côté humoristique, décalé (2). Le slogan pousse à la fédération des efforts.
Evaluation et perspectives
Globalement, la campagne et la démarche qui l’accompagne ont rencontré les objectifs à quasi 100%. Du jour au lendemain, on ne fume plus dans ces lieux, et l’on retrouve même dans les kots d’étudiants des affiches qui ont été dérobées (un signe qui ne trompe pas!). Les retours donnés par les étudiants encouragent la poursuite de la campagne et sa diffusion plus large.
On assiste également à un changement du comportement tabagique de certains étudiants, ceux-ci reconnaissent avoir diminué leur consommation depuis la mise sur pied du programme, ou avoir envisagé plus clairement d’arrêter de fumer.

Le projet «Frisbee – be free»

Cela nous amène à une nouvelle dimension de la gestion du tabagisme à l’Université.
Objectifs
Le projet, qui s’adresse à tous les étudiants, fumeurs ou non, a deux grands objectifs:
-informer les étudiants de l’offre de l’équipe santé pour un accompagnement à l’arrêt du tabac en ciblant les fumeurs ambivalents (partagés entre le plaisir de fumer et l’envie d’arrêter) et ceux qui se disent prêts à l’arrêt;
-sensibiliser les «prescripteurs» (médecins et pharmaciens des sites concernés) à leur rôle de partenaire dans l’aide à l’arrêt du tabac des étudiants UCL.
En vue de rencontrer ces objectifs, un partenariat s’est dégagé. En effet, l’équipe santé, travaillant déjà étroitement avec l’asbl Univers Santé, traite principalement les questions de santé dans une approche individuelle, les actions collectives de prévention et de promotion de la santé étant généralement assurées par Univers santé. Par ailleurs, dans la démarche globale initiée par l’Université et Univers santé depuis 2000, l’association des messages de prévention du tabagisme et de la promotion du sport s’est avérée pertinente. De plus, le choix du support (le frisbee) invite naturellement à contacter à nouveau le Service des Sports comme partenaire incontournable car le frisbee est inscrit comme nouvelle activité sportive offerte aux étudiants à partir du printemps 2005. Il est également évident que les étudiants, qui ont toujours été associés dès le départ à l’ensemble de la démarche, sont à nouveau partie prenante du projet, l’AGL s’est donc naturellement jointe au partenariat.

Les promoteurs

Service d’aide aux étudiants
Equipe santé du Service d’aide aux étudiants de l’UCL, rue des Wallons 10, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 20 02. Personne de contact: Isabelle Groessens.
Service des sports, Place des sports 11, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 45 01. Personne de contact: Jean Jacques Deheneffe.
ASBL « Univers santé»
Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 28 28. Personne de contact: Martin de Duve.
Assemblée Générale des étudiants de Louvain (AGL)
rue des Wallons 67, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 81 13. Personnes de contact: Catherine Mangez, Elisabeth Moens.

Singularité du projet
Ce projet dispose de plusieurs particularités intéressantes qui montrent sa singularité et son originalité:
-la démarche et le ton adopté s’inscrivent dans une approche de promotion de la santé positive, et non dans une approche de prévention de la maladie;
-le ton s’est voulu, tout au long du projet, positif et non stigmatisant;
-le support est original et durable. Nous imaginons donc qu’il sera présent encore quelque temps sur les deux sites;
-la participation étudiante (des fumeurs et non-fumeurs) est effective à tous les niveaux du projet, y compris dans le choix des messages;
-le projet est porté par un partenariat large et efficace;
-le tout s’inscrit dans une démarche globale qui a déjà montré son efficacité.
L’aide aux fumeurs
En 2004, une enquête a été menée par l’Equipe santé et Univers santé auprès des étudiants fumeurs afin, d’une part, de mieux cerner leurs caractéristiques et d’autre part d’identifier leurs besoins par rapport à l’arrêt du tabagisme. En voici les informations les plus caractéristiques:
-la plupart des étudiants fumeurs présentent une dépendance physique faible;
-une partie importante d’entre eux s’abstiennent de fumer le week-end et pendant les vacances;
-trois-quarts des étudiants interrogés ont déjà essayé d’arrêter de fumer, la majorité ont essayé seuls, sans substitut ni accompagnement, et 60% ont tenu moins d’un mois.
Par ailleurs, la littérature dans le domaine de l’aide aux fumeurs nous informe que moins de 5% des fumeurs qui arrêtent seuls restent abstinents après 1 an. (3) Avec un accompagnement adéquat, on augmente les chances de réussite.
Nous voulons faire passer un double message: arrêter de fumer est possible et ce n’est pas qu’une question de volonté!
Suite à ce constat, nous proposons aux étudiants qui souhaitent arrêter de fumer un accompagnement d’aide aux fumeurs en collaboration avec leur médecin généraliste.
Notre volonté est de proposer cette aide aux personnes qui sont ce qu’on appelle fumeurs ambivalents ou prêts à l’arrêt. (4)
Comment dès lors faire passer un message tout public en s’adressant aux fumeurs intéressés sans que ce message soit perçu par les fumeurs «satisfaits» comme une volonté de la part de l’institution à ce qu’ils arrêtent de fumer?
Le message commun « Jeter la clope, un sport d’équipe » s’adresse à la fois aux non-fumeurs et aux fumeurs, que ceux-ci soient satisfaits, ambivalents ou prêts à l’arrêt. Il fait référence à l’arrêt du tabac, tout en soulignant le rôle de soutien de tout un chacun, fumeur ou non-fumeur.
Le frisbee propose un accompagnement d’aide à l’arrêt du tabac et les coordonnées de l’équipe santé du Service d’aide aux étudiants. Un petit feuillet explicatif est collé à l’intérieur du disque et informe un peu plus largement l’étudiant quant à l’aide proposée.
L’accompagnement, l’aide à l’arrêt du tabac s’adresse à l’étudiant fumeur ou même non-fumeur qui désire le rester. L’objectif est de proposer une approche globale de la santé et non une approche centrée sur un produit. Cela se traduit par une rencontre avec l’étudiant autour de ses préoccupations mais aussi autour de ses questions à propos de sa santé, de son bien-être et de son tabagisme.
Plus qu’un échange de théories, les entretiens se veulent un moment où l’étudiant développe des compétences nécessaires pour lui permettre de faire des choix en faveur de sa santé, de percevoir la place que le tabagisme occupe dans sa vie. Même si l’arrêt du tabac n’est pas le premier but des entretiens, on peut espérer que, sensibilisé à sa santé, l’étudiant amène quelques modifications dans son mode de vie.
Cet accompagnement vise essentiellement à permettre à l’étudiant de prendre en mains son bien-être et sa santé dans l’optique d’augmenter sa motivation et ses compétences pour arrêter de fumer ou diminuer son tabagisme. Il n’y a pas d’accompagnement «type». Il se construit au «cas par cas» en fonction de toute une série d’éléments (consommation, place de la cigarette dans la vie, degré de motivation à l’arrêt, notion de plaisir…). L’équipe dispose d’outils (grilles d’évaluation…) qu’elle utilise éventuellement en fonction des besoins.
En résumé, il s’agit pour l’étudiant de:
-mieux connaître sa consommation;
-mieux comprendre les motivations et les enjeux de l’attirance pour la cigarette;
-planifier et mettre en place des stratégies personnelles;
-être soutenu dans la démarche d’arrêt.
L’accompagnement proposé exclut toute délivrance de produits (y compris substituts nicotiniques) et toute prescription mais renvoie systématiquement au médecin généraliste de l’étudiant et à la pharmacie. Une aide médicamenteuse ou de substitution avec un accompagnement renforce les chances de réussite du sevrage. Pour couvrir ces champs complémentaires et non concurrentiels, les médecins et pharmaciens du site de Louvain-la-Neuve ont été informés et sollicités comme partenaires dans leur rôle de « prescripteur ».

Conclusion provisoire

«Frisbee – Be free» constitue une étape de plus dans l’ensemble de la démarche globale de prévention du tabagisme au sein de l’Université. En vue de faire durer la portée du message et de ce projet, l’action sera reproduite l’année académique prochaine. Par ailleurs, de nouveaux supports originaux sont à l’étude, et une grande campagne visant la dénormalisation du tabagisme et la dénonciation des manipulations de l’industrie du tabac est en projet.
Nous pensons que la multiplication des angles d’attaque constitue un gage de meilleure efficacité dans la lutte contre le tabagisme, tout en privilégiant sans cesse un ton invitant au dialogue, à la recherche de solutions de coexistence et en prenant en considération les représentations et attentes des fumeurs.
Martin de Duve , Univers santé
(1) Univers santé asbl développe des actions d’éducation pour la santé, de prévention et de promotion de la santé en milieu étudiant et en milieu de jeunes.
(2) Ces affiches ont été présentées dans ‘L’Université sans fumée’ , Education Santé, n° 176, février 2003
(3)Laperche J, Roucloux A, brochure « Mon patient fume… » 2003, Bruxelles, p.20
(4) Le cycle du fumeur en référence au processus de maturation du fumeur. in: Prignot. J, “A tentative illustration of the smoking initiation and cessation cycle” . Tobacco control Vol.9; 2000: p. 113
Fumeur satisfait: apprécie son tabagisme et n’a aucune envie spontanée d’arrêter de fumer.
Fumeur ambivalent: partagé entre le plaisir de fumer et l’envie d’arrêter.
Fumeur prêt à l’arrêt: prend la décision d’arrêter de fumer