Entre 5 et 10 % des jeunes consommateurs de cannabis surconsomment. Onze d’entre eux témoignent dans Génération Cannabis (L’Harmattan). L’ouvrage comporte aussi des avis d’experts (psychiatre, psychothérapeute, juriste…) Ils étaient d’ailleurs réunis pour un colloque néo-louvaniste sur ce thème.
Nicolas, Sébastien, Mia… Ils ont entre 18 et 21 ans. Ils ont rencontré un problème de gestion de leur consommation de cannabis et frappé à la porte de La Chaloupe, service d’aide aux jeunes et aux familles. A moins qu’ils n’aient croisé dans le quartier un professionnel de la relation d’aide qui y travaille…
Le récit de leurs tracas est consigné par le menu dans «Génération Cannabis», paru récemment aux Editions L’Harmattan.
On n’ignorera rien de la spirale qui les a emportés. Certains en ont aujourd’hui fini avec le cannabis, d’autres pas. Et pourtant, comme l’a souligné Eric Janssens , Procureur du Roi, section Jeunesse au Parquet de Nivelles, « ceux – ci ont eu de la chance . Ils ont mis des mots sur leur expérience . Il faut se battre pour que les jeunes qui sont en pleine surconsommation trouvent une main tendue . Je suis frappé de voir arriver dans mon bureau des gamins à qui on n’a jamais dit non . Je suis le premier à le faire . Il y a un travail d’éducation et de communication à faire en amont . En aval aussi , quand vous téléphonez à une institution pour qu’elle accueille un jeune et que vous vous retrouvez septantième sur la liste , vous vous demandez si les bons choix politiques ont été faits .»
Même nécessité de redorer la fonction paternelle pour la psychothérapeute Diane Drory : « Il faut confronter l’enfant à des limites , lui montrer que le manque existe .» Un travail à mener à la maison et en milieu scolaire, tôt car les premières consommations apparaissent déjà à la fin de l’enseignement primaire.
Quant à savoir ce qui détermine une première consommation, Luc Descamps (responsable de La Chaloupe) évoque deux logiques: celle du «Pourquoi?» chez l’adulte et celle du «Pourquoi Pas?» chez les pré-adolescents et les adolescents: « Ils ont essayé pour le plaisir , par jeu , par curiosité , parce que l’ambiance était à la fête et aux expériences . Le « pourquoi ?» nous place dans le champ du principe de réalité , de la justification , de l’utilité . Le « pourquoi pas ?» dans celui du principe de plaisir , du gratuit , du léger …»
Le passage de la consommation à la surconsommation? Elle semble bien dépendre de trois facteurs: biologique (on est devenu accro au produit), psychologique (on est dans une période de vulnérabilité) et social (le cercle dans lequel on évolue se spécialise, on fréquente des fumeurs de joints).
Aïe les cervelets…
Pierre Schepens est psychiatre. Il dirige le service de psychiatrie de la clinique Saint-Pierre à Ottignies. Evitant les « deux écueils qui se profilent quand on évoque le sujet cannabis , soit la banalisation et la dramatisation », il avance quelques données qui pointent les effets du produit sur les adolescents.
« Sous influence , certaines connexions du cerveau ne sont pas utilisées . Savez – vous que le cervelet se développe tardivement de manière générale ? C’est le siège de l’équilibre , d’où cette allure parfois dégingandée chez les jeunes . Cet équilibre , il faut le stimuler , en sortant , en faisant du sport . Le jeune gagne à bénéficier de stimuli , tout le contraire du repli qui caractérise certains jeunes dépassés par leur consommation de drogues .» Où se situe le seuil d’une consommation normale? On peut citer le chiffre de 14 grammes par mois pour une consommation moyenne et de 28 grammes par semaine pour une consommation sévère, ou autrement dit quand l’usage d’une drogue dite douce se fait dur.
Encore faut-il se pencher sur le sens de l’addiction. «Génération cannabis», le terme a aussi été choisi pour l’ouvrage en raison du présupposé que le cannabis est généré par une histoire personnelle, « une souffrance enfouie qui traîne dans le sujet » selon l’expression de Diane Drory. Une histoire au présent aussi, comme l’explique le psychanalyste Jean-Pierre Jacques : « Cet abus pourrait s’expliquer en partie par le regard rempli d’angoisse ou de reproche , posé par l’adulte sur l’adolescent qui dérape . Il est flagrant qu’en phase de surconsommation le cannabis apaise l’angoisse de l’adolescent et décuple celle de l’adulte . Dans ce cercle vicieux , cette angoisse en excès chez l’adulte se déporte sur l’adolescent et entretient en boucle la nécessité d’une surenchère d’une consommation défensive . Cette hypothèse permet de rendre compte du fait clinique et sociologique de la diminution de la consommation à l’entrée dans la vie professionnelle , c’est – à – dire l’entrée formelle dans l’âge adulte , qui se soustrait au regard anxieux de ses propres parents .»
Paroles de fumeurs de joints
Si, dans les témoignages, la consommation démarre en groupe, lorsqu’elle s’accroît, elle se pratique en solitaire.
Autre caractéristique: le cercle des relations va souvent se restreindre à des consommateurs de cannabis. Voici ce qu’en dit Nicolas: « J’adore être stone avec des copains , être ensemble . C’est une jouissance : qu’on soit dans le même état (…). A partir de 16 ou 17 ans , j’ai commencé à fumer un petche pour moi : mon petche le jour et mon petche le soir , il me fallait mon moment à moi où j’étais stone . Une fois par jour au moins . J’étais pas tout le temps avec des gens et il me fallait être stone une fois par jour , ou même plusieurs . Dès que j’ai eu 17 ans , j’ai commencé à dealer . Et c’est quand j’ai commencé à avoir de la matte en permanence que j’ai consommé tout le temps . J’en fumais un le matin , je prenais une douille dans les toilettes à onze heures puis c’était deux à midi . Déjà rien qu’à l’école , j’en fumais 4 ou 5 .» Certains vont, par contre, rationaliser leur consommation de cannabis en dealant. En effet, mieux vaut avoir les idées claires pour faire du commerce! Sébastien, lui, a arrêté le cannabis dès qu’il ne lui a plus procuré de plaisir, sensation et valeur importantes pour lui. Il se sent tout autre: « Ce qui a changé , c’est le nombre d’heures de sommeil . J’étais tout le temps fatigué . Je dormais beaucoup quand je fumais , mais c’était pas un sommeil réparateur . Je ne rêvais plus quand je fumais . J’étais crevé le matin . Je mangeais énormément , je dévalisais le frigo . En fait , je mangeais , je dormais , je fumais .»
Si les jeunes témoins ont tous trouvé de l’aide auprès de l’association La Chaloupe, ils sont nombreux à avoir aussi été soutenu par leurs parents. Parfois maladroitement. La reconstruction d’un dialogue avec les parents va aider les jeunes à retrouver une consommation modérée ou à arrêter de consommer. Mais le coup de pouce décisif viendra plus sûrement d’un nouvel amoureux ou d’une nouvelle amoureuse. Valérie conclut: « J’ai envie de dire aux parents de ne pas nous laisser tomber , qu’ils soient là même si on les envoie à la merde , même si on dit le contraire .»
Véronique Janzyk
Génération cannabis, paroles de jeunes, paroles d’experts, sous la coordination de Luc Descamps et de Cécile Hayez, préface de Jean-Pierre Jacques, L’Harmattan, 2005, 300 pages.
La Chaloupe, chaussée de la croix 10, 1340 Ottignies. Tél.: 010 41 70 53.