Depuis le mois d’octobre dernier, difficile d’être passé à côté : le film « Hors Normes » fait parler de lui. Ce long-métrage français est le fruit d’une collaboration entre Eric Toledano et Olivier Nakache, dont le duo est déjà reconnu pour des films tels que « Intouchables » (2011) ou « Le sens de la fête » (2017). Cette fois, ils ont choisi de braquer la caméra sur des jeunes atteints d’autisme lourd, et les personnes qui s’occupent d’eux au quotidien. Education Santé vous livre ses impressions sur le film.
Le pitch
L’histoire, c’est celle de Bruno (interprété par Vincent Cassel) et de Malik (campé par Reda Kateb) mais aussi et surtout celle de Joseph, Valentin, Dylan … et de tous ceux qui, dans l’ombre des systèmes de soins, vivent réellement dans ce monde à part qu’est celui des enfants, adolescents et jeunes adultes autistes. Bruno et Malik ont tous deux créé leur association respective, au sein de laquelle ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles de Paris et de sa périphérie, pour encadrer d’autres jeunes (enfants à jeunes adultes) atteints d’autisme dont les cas sont qualifiés “d’hyper complexes”. Les protagonistes se débattent avec un système qui les évalue et les contrôle mais ne les soutient pas. On comprend alors rapidement que le titre « Hors Normes » ne désigne pas uniquement les jeunes porteurs d’un trouble du spectre autistique, mais s’applique aussi à l’ensemble des personnalités mises en avant dans le long-métrage.
L’avis d’Education Santé
Inspiré d’histoires vraies, et notamment de celle de l’association « Le silence des justes » créée par le français Stéphane Benhamou, le film prend parfois des allures documentaires mais reste malgré tout une œuvre de fiction, et c’est là toute la force du duo de réalisateurs. Le pari était de parler des cas d’autisme lourd à très lourd (personnifié, entre autres, par le personnage du jeune Valentin qui devra plusieurs fois être entravé pour sa propre sécurité), une réalité douloureuse dont beaucoup de gens se détournent, tout en s’adressant à un public large et en livrant un film attrayant.
Pourtant, « Hors Normes » n’invite pas le spectateur à larmoyer sur son siège de cinéma pendant 117 minutes. Au contraire, nous l’avons trouvé enthousiasmant, drôle et touchant. Et cela tient en grosse partie au casting, et à la sincérité et la spontanéité avec laquelle les rôles sont interprétés.
Pour Education Santé, il s’agit donc d’un film qui peut permettre au grand public de découvrir une réalité dont il n’avait pas conscience, et avec elle toutes les difficultés qu’elle soulève.
Pour conclure, revenons sur la première scène du film qui offre un exemple parlant. En plein centre-ville, une fillette court avec violence, bousculant tout ce qui se trouve sur son passage (personnes adultes comprises). Elle semble en pleine crise. Après quelques minutes, les encadrants, 2 hommes adultes dont Malik, parviennent à lui sauter dessus sur un trottoir et à la plaquer au sol. Elle se débat en hurlant, et tout en la contenant, la première chose que Malik dit à son équipe est « Gérez les gens ! ». Une jolie façon de mettre en avant l’incompréhension que peut avoir un public non averti face à ce genre de situations hors normes, et donc aussi l’importance de parler de ce sujet.
Deux acteurs du terrain belge nous donnent leur opinion
La situation dénoncée dans le film, soit la précarité dans laquelle des associations non-agréées se débattent pour apporter une vie décente aux jeunes, présente une réalité française. Cependant, le contexte belge n’est pas diamétralement opposé, comme en témoignent certaines associations belges, telle que l’asbl Coupole1, ou l’asbl Soucoupe2. Elles se reconnaissent dans le schéma dépeint par « Hors Normes ».
Les asbl Bellerive et Mistral, qui s’occupent toutes deux d’adultes autistes, nous ont donné “à chaud” leur avis sur le film, éclairant ainsi plus finement la réalité dans notre pays.
« Une ouverture d’horizon sur le monde de l’autisme et ses réalités de terrain »
Bérengère Delhauwe, directrice de l’asbl Bellerive qui offre un service résidentiel pour personnes adultes autistes.
« J’ai justement organisé un teambuilding avec mon équipe, et nous sommes allés voir le film !
J’ai trouvé le film très humaniste et réaliste. En effet, en France, il n’y a pas beaucoup de services qui accueillent les personnes autistes. Ce type de population est très souvent mélangée avec d’autres handicaps et, pourtant, ces personnes ont des besoins très spécifiques. Dans le film, nous voyons des cas lourds d’autisme qui demandent beaucoup d’interventions individuelles, c’est réaliste.
Ces jeunes se retrouvent dans des hôpitaux psychiatriques et, quand il est dit dans le film que « personne n’en veut ! » c’est aussi une réalité mais qu’il faut nuancer. Par exemple, un service comme le nôtre doit toujours faire un choix sur la candidature. C’est nécessaire notamment parce que l’infrastructure n’est pas toujours adaptée et que le travail « un pour un » (aussi appelé « en individuel ») est difficile à mettre en place d’un point de vue économique. De plus, pour les résidents qui sont déjà dans un foyer et qui y ont trouvé un équilibre de vie, il est compliqué d’accueillir une personne qui présente des comportements violents….
Mais quand bien même, en Belgique, nous n’avons pas assez d’infrastructures, plus d’enveloppe pour accueillir nos Belges, et plus de subsides. Difficile de fonctionner ! Pourtant, concrètement, c’est un besoin réel de créer des services spécifiques. Mais pas n’importe comment, il faut donner les moyens de le faire.
Quant à la détresse des parents représentée dans le film, elle est bien réelle. Chaque service a une liste d’attente et chaque semaine nous recevons des appels. Depuis quelques années, il est vrai que l’on parle beaucoup de l’autisme, mais cela reste encore un monde particulier à appréhender, dont la pédagogie est totalement différente de ce qu’on connaît traditionnellement…
Dans le film, on voit aussi que les responsables passent au-dessus des contrôles. Je pense que ce qu’ils entreprennent est honorable mais qu’il faut rester dans la légalité. Je me souviens d’ailleurs d’un reportage sur les institutions fantômes, services non agréés, non contrôlés : il y avait beaucoup de négligences, maltraitances… De l’autre côté, les contrôleurs font leur métier. Mais ce qui est horripilant, c’est que ce ne sont pas des personnes de terrain, ils ne comprennent pas la réalité du quotidien. Ils s’attardent en général sur les normes et pas sur la personne.
En conclusion, je dirais que Hors Normes est un très chouette film, touchant, où chaque professionnel du secteur peut, selon moi, se retrouver dans sa fonction. Il permet une ouverture d’horizon sur le monde de l’autisme et ses réalités de terrain (infrastructures, normes, encadrement, etc.). »
« Enfin, on parle des nôtres »
Brigitte Courtois, responsable pédagogique à l’asbl Mistral, centre pour autistes adultes à Liège
« Pour une fois, on parle de nos résidents !
Je trouve qu’on entend de de plus en plus souvent parler de l’autisme, et c’est très bien je n’en disconviens pas, mais il est surtout question des « autistes de haut niveau ». C’est-à-dire ceux dont les compétences font qu’ils peuvent s’intégrer, à un moment donné, d’une manière plus ou moins adaptée, dans la société. Mais nous par exemple, nous accueillons des personnes qui sont écartées depuis plusieurs années, avec de gros troubles du comportement. En résumé, on a plus de « Valentin » que de « Joseph » !
Même si la situation est celle de la France et pas celle de la Belgique, ça interpelle quand même et ça démystifie un petit peu. Je suis allée voir le film avec des amis, qui ne sont pas du secteur, et leur réaction a été très différente de la mienne. Quand on parle de l’autisme à quelqu’un qui est en dehors du secteur, bien souvent, ce qu’il imagine c’est un enfant qui a des problèmes de socialisation, qui est dans sa bulle. Or, des troubles du comportement comme ça, ce n’est, d’abord, pas toujours lié à l’autisme, et ensuite, pas la seule réalité de l’autisme. Je travaille dans le secteur depuis maintenant 40 ans et j’accueille encore souvent des jeunes ou des étudiants qui n’imaginent pas le côté de l’autisme qui est montré dans le film. C’est une question de représentation.
Aujourd’hui, les enfants autistes sont pris en charge jeunes et ont donc plus de chances de s’en sortir sans élaborer de troubles importants du comportement. Mais les adultes que nous avons ici, ils ont fait des séjours parfois très longs dans les hôpitaux psychiatriques et ce sont des personnes avec de gros troubles du comportement qui sont refoulées d’à peu près toutes les structures parce que trop compliquées à gérer. La majorité de nos résidents ont fait des séjours plus ou moins longs en psychiatrie, de par leurs comportements. Donc évidemment, quand ils arrivent ici ça n’est pas toujours simple… Je pense notamment à un jeune que nous avons été chercher, il n’y a pas si longtemps, en psychiatrie. Il était en cellule d’isolement et lié sur son lit. Il est clair que quand on l’a amené chez nous et qu’on l’a mis dans un groupe de 7/8 résidents (à l’époque, actuellement nous sommes 15), ça a été compliqué. Il passait d’un meuble à l’autre sans mettre un pied au sol, il sautait de la table au buffet, et à l’appui de fenêtre parce qu’il était complètement déchaîné. Maintenant on a réussi à refaire une éducation. Il est allé en balade, et même à la foire avec une éducatrice en individuel la semaine dernière… un gros progrès ! On leur rend une vie décente et c’est ce qu’on voit dans le film, et ça c’est totalement vrai.
Un autre point très justement abordé dans le film, et qui m’a marquée, est celui de la surveillance de tous les instants ! Quand on voit Valentin sur le périphérique à Paris … c’est très réaliste. Il est clair que chez nous quand on arrive, on peut être un peu frustré de voir que les portes n’ont pas de clinche et qu’on les entend claquer derrière soi, mais c’est par souci de sécurité justement. La plupart des résidents n’ont pas la notion de danger. Tout à coup, ils vont marcher tout droit et s’en aller. On a eu une fois, il y a longtemps, un jeune homme qui a réussi à prendre la poudre d’escampette. Heureusement, quand on va se promener avec les jeunes, on fait toujours le même trajet, le même tour du pâté de maisons, et dans le même sens. Parce que, comme Valentin – et on le voit bien dans le film – s’ils ont l’opportunité de partir, il y a 90% de chances qu’ils prennent le trajet qu’ils connaissent. Donc là, effectivement, nous avions retrouvé le jeune homme sur le trajet qu’il faisait régulièrement.
A part ça, certaines situations, parfois un peu dramatiques dans le film m’ont faite sourire en tant que professionnelle parce que ça m’a rappelé des bons souvenirs ! On a vécu exactement les mêmes choses. Par contre, mes amis extérieurs au secteur ont été perturbés par certaines scènes. Le retour de Valentin en psychiatrie, par exemple. C’est-à-dire qu’on le prend pour le sortir progressivement, et quand on le ramène et puis qu’on le plaque au sol dans le couloir en psychiatrie, ça interpelle. Tous sont un peu choqués qu’on le mette au sol pour le maintenir. Pourtant chez nous c’est presque du quotidien, et ce n’est pas de la maltraitance, c’est simplement le fait de contenir la personne pour qu’elle arrive à se calmer. En psychiatrie, j’ai déjà vu ça … mais avec une seringue dans l’autre main. Donc je ne trouvais pas ça tellement larmoyant par rapport à ce qu’on vit au quotidien en tant que professionnels/elles. Tandis que les gens avec qui je suis allée voir le film en ont été fortement touchés.
Enfin, même si chez nous il n’y a pas beaucoup de structures qui accueillent des cas d’autismes aussi profond, on est quand même contents d’avoir des institutions, contrairement aux cas qu’on voit dans le film, à Paris, où ils doivent se débrouiller dans de tous petits appartements. C’est déjà rassurant. »