Juillet 2025 Par Camille GUIHENEUF Initiatives

Nathalie Kaisin est patiente-formatrice. Le 27 mars dernier, elle donnait un cours à la faculté de santé publique de l’UCLouvain dans le cadre du module sur les interventions en éducation thérapeutique du patient. Les étudiants ont ainsi pu entendre la voix d’une patiente qui se bat pour une médecine centrée sur le patient. Un témoignage rare, tant l’expertise des patients est souvent invisibilisée au cours de la formation initiale des soignants.

Cet article est le premier d’une série d’entretiens menés auprès d’intervenantes du cours Comportements et Compétences de santé de la faculté de santé publique de l’UCLouvain. Ce cours s’adresse aux étudiantsdésireux d’approfondir leur connaissance des dimensions relationnelle, pédagogique et éthique de la santé aux côtés d’acteurs du terrain. Camille Guiheneuf, chargée de projets au RESO – Service de promotion de la santé – a interrogé ces trois intervenantes sur leur expérience et expertise au regard des principes et méthodes du champ de la promotion de la santé.

photo nkaisin

Camille Guiheneuf (RESO) : Vous êtes patiente-experte et patiente-formatrice. Qu’est-ce qui vous a amené à endosser ce rôle ?

Nathalie Kaisin : Je suis diabétique. Ma maladie a été diagnostiquée lorsque j’avais 9 ans. J’ai donc traversé l’enfance, l’adolescence et entamé ma vie d’adulte avec le diabète. Petit à petit, j’ai découvert les limites qu’il m’imposait et les perspectives qu’il m’octroyait. J’ai consulté et fréquenté beaucoup d’hôpitaux, assisté à de multiples séminaires, colloques et conférences concernant le diabète. Puis, j’ai eu le souhait d’apporter aux patients ce que je n’avais pas reçu. J’ai donc poussé, il y a quelques années, la porte du coaching pour commencer à me former.Et aujourd’hui, je pense être devenue la « patiente-experte » que j’aurais voulu rencontrer pour m’accompagner tout au long de ma vie de diabétique, celle qui aurait pu me rassurer, me soutenir dans les moments difficiles et m’aider à me sentir bien.

Vous avez créé une Asbl « DiaCoach » à destination des patients-experts, des patients-formateurs, des patients-facilitateurs ou encore des patients qui interviennent dans la recherche. Puis, vous avez intégré l’« Association du Diabète » qui réunit des personnes diabétiques et des soignants. Souhaitez-vous compléter cette courte présentation à propos de vos expériences ?

En tant que membre de l’Association du Diabète, j’ai pu récemment bénéficier d’une formation supplémentaire, dispensée par le Patient Expert Center, pour être mieux identifiée en tant que patiente-experte. C’est une formation qui est de plus en plus considérée par les hôpitaux, les instances politiques, les firmes pharmaceutiques et le secteur de la recherche. L’Association du Diabète fait aussi partie de la Ligue des Usagers des Services de Santé (LUSS). C’est en partie grâce à la LUSS que j’ai rencontré, en tant que patiente-formatrice, des institutions publiques et beaucoup d’enseignants d’universités ou de hautes écoles qui m’ont proposé d’intervenir auprès d’infirmiers, de pharmaciens, de médecins…

Repère : Le patient-expert
Un patient-expert est une personne qui a acquis des connaissances nées de son expérience en tant que patient. Sans se substituer au rôle des soignants, il contribue activement dans un contexte de soins : avec une équipe soignante pour améliorer un programme d’éducation thérapeutique ; pour des projets de recherche ; ou encore pour la formation des (futurs) soignants… (Pomey et al., 2015). L’engagement dans une démarche partenariale patients-soignants incarne une manière de travailler fondée sur la collaboration et la reconnaissance mutuelle des expertises (Dans et al., 2025).

Lorsque vous intervenez auprès de futurs soignants, qu’est-ce qu’il est essentiel de leur enseigner pour que le partenariat avec le patient s’ancre dans leur pratique ?

endocrinologist teaching older patient how to connect continuous glucose monitor with mobil app.

Il peut être très difficile pour un patient de mettre en pratique les informations ou les conseils transmis par des soignants. Personnellement, j’ai ressenti à plusieurs reprises un manque de connexion entre ce que les soignants attendaient de moi et ce que je pouvais réellement mettre en œuvre dans mon quotidien. Ils ne se rendent pas toujours compte de cette déconnexion, car pour certains leur cursus est orienté sur l’apprentissage théorique plutôt que pratique. Même si les soignants ont beaucoup d’empathie, leur formation ne leur permet pas toujours de comprendre la réalité de ce que les patients vivent vraiment. Et quand bien même un enseignant tenterait de leur expliquer, son explication n’aurait pas le même impact que le témoignage d’un patient qui partage ses expériences avec toute la charge émotionnelle qui les accompagne. C’est pourquoi je pense que la transmission, dans la formation, doit se faire en partie par des patients qui soient en mesure d’expliquer leur réalité de vie, y compris toutes les difficultés rencontrées dans le quotidien, et cela sans être dans la colère ou la révolte.

Repère : Le patient-formateur
Le patient-formateur, aussi parfois appelé « patient-enseignant », est amené à intervenir auprès de (futurs) professionnels de la santé. L’objectif poursuivi est de repenser les formations initiales et continues des soignants en prenant en compte la perspective des patients-formateurs (Lartiguet et al., 2023).

Comment qualifieriez-vous la visibilité des patients-formateurs en Belgique ?

Pour moi, elle est encore inexistante. Peut-être que certains enseignants sont mal à l’aise avec le changement ou qu’ils craignent que nous prenions leur place. Alors qu’en nous rencontrant, ils verraient que ce n’est pas le cas, le but n’est pas de les remplacer. Au contraire, nous souhaitons travailler en co-construction avec eux, pas sans eux. Contrairement aux enseignants, ce ne sont pas les patients-formateurs qui dispensent la théorie.

J’observe que, pour remédier à ce manque de visibilité, il y a tout un travail de communication qui s’opère de plus en plus et qui s’appuie sur des données scientifiques pour démontrer les bénéfices de l’intégration des patients-experts et des patients-formateurs dans l’organisation du système de santé. Quant à l’enseignement, c’est en partie grâce à la LUSS que de plus en plus de patients-formateurs se retrouvent maintenant dans les universités et les hautes écoles en Belgique.

Une des difficultés à laquelle nous faisons face pour améliorer notre visibilité est le rythme des cours. Par exemple, dans une université, les cours d’un quadrimestre débutent en février et se terminent au mois de mai avec un cours par semaine. C’est un rythme fatiguant pour une personne vivant avec une maladie chronique, d’autant plus pour ceux qui travaillent ou qui ont une vie de famille. C’est pourquoi nos interventions peuvent nécessiter des adaptations en fonction de nos besoins et de ceux des enseignants. Il est donc important qu’elles soient préparées en amont, en co-construction avec les enseignants. Par exemple, un format commun pour un cours peut être une intervention du professeur dans une première partie et d’un patient-formateur dans une seconde partie.

Actuellement, les patients participent-ils à la formation des soignants de manière structurée en Belgique ?

Il n’y a aucun cadre législatif pour le moment, ni au niveau de la recherche, ni de l’enseignement et des instances politiques. Contrairement à la France par ailleurs. Pour le moment, les législateurs belges se sont peu prononcés, alors qu’il est urgent de trouver un cadre légal, car l’enseignement fera de plus en plus appel aux patients-formateurs. Agir dans un cadre formel assure à un patient-formateur d’intervenir dans un processus pédagogique qui lui assure une légitimité et une reconnaissance dans sa contribution à la formation des soignants. C’est de cette manière qu’il peut ressentir qu’il est sur un pied d’égalité avec l’enseignant.

J’ai fait et je fais énormément de bénévolat. Ce qui me dérange de plus en plus, car il y a un recours abusif au bénévolat. Au bout d’un moment, ça créera un essoufflement des patients-formateurs qui risquent de ne plus pouvoir assurer toutes leurs missions. J’ai pu aussi constater que ce manque de formalisation réduit la diversité des profils des patients-formateurs. Par exemple, des personnes avec des moments de disponibilité flexibles, comme des personnes pensionnées, peuvent plus facilement s’adapter à l’absence de cadre. Mais cette absence réduit les possibilités pour les soignants de rencontrer des personnes plus jeunes qui devront peut-être prendre un jour de congé pour être présente.

L’idéal serait de tendre vers la professionnalisation. Mais en attendant, il y aurait au moins des niveaux de contribution qu’il faudrait légiférer. Et peut-être qu’en légiférant le statut de patient-formateur, les enseignants auraient davantage confiance en nos capacités et ils feraient davantage appel à nous. 

En quelques mots, quel serait votre message pour tendre vers un système de santé où la voix du patient serait bien plus entendue ?

J’aimerais dire aux enseignants et aux soignants « Essayez, lancez-vous ! ». Travailler à plusieurs, en co-construction, c’est beaucoup plus riche que seul. Vous n’avez rien à perdre à faire appel aux patients-formateurs.

Bibliographie

– Dans, C., Bragard, I., & Aujoulat, I. (2025). Quand les patients et les soignants s’engagent vers des pratiques de partenariat dans les soins. Dans P. Bonneels, & A. Laugrand (Dirs.), Petite introduction à l’anthropologie médicale et de la santé : Perspectives contemporaines (Tome 1). Académia. (À paraître).

– Lartiguet, P., Broussal, D., & Saint-Jean, M. (2023). L’invention du patient formateur : repenser l’ingénierie de formation et promouvoir le partenariat en santéPhronesis, 12(4), 129-146.

– Pomey, M-P., Flora, L., Karazivan, P., Dumez, V., Lebel, P., Vanier, M-C., Débarges, B., Clavel, N., & Jouet, E. (2015). Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santéSanté Publique, S1(HS), 41-50.