Décembre 2009 Par Christian DE BOCK Initiatives

Alors que l’école a été créée pour instruire les individus, on l’interroge aujourd’hui, comme on interroge la police: «Mais que fait l’école?». Dans ce lieu, l’enfant devrait avoir le temps de grandir et construire son devenir d’adulte apte à vivre avec les autres. Mais pour cela, il s’agit de lui donner le temps de «s’égarer dans des stades même fâcheux de son développement», comme le disait Freud.
Depuis plus de trente ans, Infor-Drogues travaille les questions de prévention en s’appuyant, notamment, sur sa pratique auprès des usagers de drogues et de leur entourage. Ses objectifs visent à fournir information, conseil et soutien à toute personne en difficulté ou en interrogation par rapport à l’usage de substances psychoactives.
Ses activités de prévention sont destinées aux professionnels de l’éducation et, plus largement, à celles et ceux qui accompagnent les jeunes. Les situations abordées avec eux amènent Infor-Drogues à inscrire ses interventions au-delà du champ des assuétudes et à travailler également la relation jeunes-adultes.
C’est dans ce contexte qu’Infor-Drogues a invité Violaine Clément , adjointe de direction d’une école secondaire à Fribourg (Suisse), enseignante de latin et de grec et psychanalyste d’orientation lacanienne.
Les jeunes en difficulté, et les professionnels aussi bien, Violaine Clément les rencontre au quotidien. Elle nous a convié à réfléchir avec elle sur les façons d’accompagner ces jeunes, en s’appuyant sur l’expérience qu’elle mène, avec d’autres, pour décrypter les questions que nous posent les adolescents – par l’expression souvent violente de leur malaise – et pour essayer d’y apporter des ébauches de solution, en se servant des crises et en tentant de traduire les cris.
C’est dans le cadre enchanteur de la Maison du Livre à Saint-Gilles (Bruxelles) que la conférencière partagea avec nous son expérience.
Dans ce lieu dédié à la lecture, elle centra son exposé sur l’oralité, nous expliquant que la clé de l’aide qu’elle peut apporter dans sa pratique réside dans son souci d’apprendre la langue de l’autre, source de richesse évidemment, mais aussi de bien des malentendus (au sens propre comme figuré), ceci étant valable avec les élèves dits difficiles comme avec les professeurs en souffrance.
Pas question ici de trucs et ficelles pour mieux ‘gérer’ (Contenir? Cadrer? Étouffer? Punir?) la violence verbale et/ou physique, mais d’une leçon plus modeste pour nous aider à ‘tenir notre parole’, à la fois pour s’exprimer, tout simplement, mais aussi pour respecter les engagements mutuels des profs et des élèves.
Le discours somme toute encourageant de la conférencière contrastait avec celui de la tribune hebdomadaire de Jean-Claude Guillebaud dans le supplément Télé Ciné du Nouvel Observateur . Celui-ci, le même jour, partageait avec le lecteur son inquiétude face à la ‘Dislocation du langage’ chez les jeunes des banlieues françaises, qui ‘parlent dorénavant une langue qui n’est plus celle des profs. Ni dans sa syntaxe, ni dans son imaginaire. L’effet de brisure, d’incommunicabilité en devient vertigineux’, ou encore, ‘Quand les mots eux-mêmes se dissolvent ou se décomposent, quand advient la désaffiliation de la parole elle-même, c’est que rôde, en effet, un obscur péril’, selon les formules élégantes de l’essayiste.
En bonne psy lacanienne, Violaine Clément ne fut pas non plus avare de formules percutantes, comme par exemple «On colle une étiquette aux élèves, dommage qu’il y manque un ‘h’ entre le ‘t’ et le’i’», ou encore «Nous voulons tous être des exceptions tout en aspirant à la conformité».
Si l’accent (à peine perceptible!) fut mis sur le pouvoir libérateur de la parole, la conférencière, sûrement inspirée par les lieux, nous recommanda aussi quelques belles lectures ( Jeanne Benameur et ‘Les demeurées’, le dernier Pascal Quignard ), tout en terminant par une citation du grand Sigmund.
Une soirée stimulante, qui nous laissa aussi perplexe par moments, avouons-le, et dont la question des assuétudes fut largement absente, ce dont on saura gré pour une fois à Infor-Drogues!
Christian De Bock